Il existe en français une distinction entre nationalité et citoyenneté, distinction que l’on a souvent tendance à oublier, réduisant le second concept au premier, au risque de perdre des nuances fondamentales.
La nationalité, c’est le fait d’appartenir à une nation, c’est à dire à un groupe d’hommes qui partagent (entre autres) une langue, une culture, une religion et un territoire.
La citoyenneté y est liée mais ne s’y confond pas. Elle est la possibilité de participer à la vie publique de cette nation, à la vie de sa cité.
La norme, dans le monde où nous vivons, est que chaque membre d’une nation est également citoyen de celle-ci, et, en ce sens, peut participer à la vie publique de sa nation.
Mais il existe des exceptions : des gens qui peuvent avoir la nationalité sans la citoyenneté. C’est le cas par exemple d’un enfant dont les deux parents sont étrangers et qui grandit dans un pays qui n’est pas le leur. Il peut en absorber la langue, les mœurs, la culture et les valeurs : en ce sens, il peut se sentir appartenir à la nation. Pour autant, il n’en aura pas toujours la citoyenneté : la possibilité de participer à sa vie civique.
On peut également voir le cas inverse : des gens qui ont la citoyenneté sans avoir la nationalité qui correspond. C’est le cas par exemple d’un enfant qui naît d’un parent étranger, qui, lui, vient d’un pays pratiquant le droit du sang. L’enfant peut ainsi obtenir le passeport sans rien savoir savoir de la langue ou de la culture du pays, voire sans y mettre un pied de sa vie. Techniquement, il pourrait participer à la vie civique de ce pays, mais le voudra-t-il ?
Entre ces trois scénarios (nationalité et citoyenneté conjointes, nationalité sans citoyenneté et citoyenneté sans nationalité), toutes les nuances sont possibles. A la fois sur le plan individuel, où les histoires familiales et personnelles permettent un grand nombre de possibilités, et sur le plan collectif, chaque Etat fixant des règles différentes sur sa citoyenneté et sur les règles qui les lient à sa nationalité.
Le quatrième scénario est un scénario hypothétique : ni nationalité, ni citoyenneté ? Personne ne grandit en dehors de toute nation. Aristote le mentionnait de façon ironique, en disant qu’une telle personne serait soit une bête, soit un dieu.
De cette typologie, on voit qu’en français courant, on confond souvent les deux. On parle par exemple de « déchéance de nationalité » quand on veut dire « déchéance de citoyenneté ». Lorsqu’on naît dans une nation et qu’on en fait partie, on ne peut pas la perdre. Car comment cela se passerait-il ? On nous forcerait à ne plus parler sa langue ? A ne plus connaître sa culture ? A oublier ses mœurs ? Ridicule.
Même chose lorsqu’on parle de « nationalité française » pour désigner quelqu’un qui a un passeport français. C’est un raccourci : on présuppose que la citoyenneté entraîne nécessairement la nationalité. Raccourci possible lorsque les catégories sont vécues pour elles-mêmes, mais qui risque de devenir caduque si on joue trop avec sa réalité.
Cette distinction permet également de penser un peu mieux une catégorie parente : celle de guerre civile.
La guerre civile, étymologiquement, c’est la guerre au sein de la cité : c’est donc la guerre qui relève d’une dissension entre factions possédant la citoyenneté. Mais pas forcément la nationalité !
C’est une guerre entre personnes vivant sur un même territoire, possédant peut-être les mêmes droits civiques, mais ne se considérant pas, ou plus, comme faisant partie de la même entité, du même groupement humain.
Il existe symétriquement un autre type de guerre, se déroulant sur le même territoire, mais faisant s’affronter les membres d’une même nation, des gens qui se considèrent comme faisant partie d’une même entité, mais ayant déplacé l’affrontement politique vers le champ de bataille.
Il existe en français une expression qui pourrait désigner celle-ci : guerre fratricide. La guerre des frères, c’est bien la guerre au sein de personnes qui partagent un lien qui relève plus que du lien politique. C’est le moment où la collectivité, qui se pense comme une sorte de grande famille, se déchire.
« La guerre des frères », c’est d’ailleurs une expression utilisée en hébreu moderne. On peut par exemple voir à Tel Aviv, sur le front de mer, un monument dressé aux victimes du bombardement de l’Altalena, un conflit qui opposa Tsahal, qui venait d’être créé, et l’Irgun, qui ne l’avait pas encore rejoint. Celle-ci emploie le terme « milhamat hahakhim » pour désigner le conflit.
Guerre des frères, car conflit armé au sein d’une même entité nationale.
De là on comprend que le rôle du politique, en tant que gardien des mots, est de s’assurer que ceux-ci continuent à être déployés à bon escient. Que citoyenneté et nationalité continuent à aller, en principe, de pair, et que leur disjonction soit l’exception plutôt que la règle. Et ce afin que les mots ne précipitent pas les événements pour avoir été utilisés à tord et à travers.