Entretien

Qui êtes vous ?
Olivier F. Delasalle, né à Tours en 1981. J’ai grandi en région parisienne, j’ai habité Paris pendant quinze ans, et voilà que je suis maintenant au milieu du désert, dans le sud d’Israël, à écouter les palmiers pousser.

Quel est votre parcours ?
Compliqué. J’ai fait rire beaucoup de conseillers d’orientations en leur disant que je voulais devenir écrivain. On m’a souvent dit : « Écrivain, ce n’est pas un vrai métier. Il est très difficile de vivre de sa plume. Arrête de rêver, reprend un peu de soupe et va faire tes exercices de physique ».

Comme il n’y avait pas de cursus particulier en France, j’ai essayé d’être un peu généraliste. J’ai passé un bac L, et j’ai fait une maîtrise de Lettres. Je pensais qu’étudier la Littérature m’apprendrait à écrire : grave erreur. Alors j’ai décidé de fabriquer moi-même mon cursus et de créer mon propre chemin pour devenir auteur.

J’ai essayé d’étudier les différents domaines qui pourraient m’être utiles. J’ai commencé par étudier le scénario de long métrage à l’Université Américaine de Paris pour apprendre à raconter des histoires. J’ai aussi étudié la psychologie, pour savoir comment créer des personnages riches, complexes et crédibles. J’ai étudié la philosophie, en particulier la philosophie chinoise, pour apprendre à réfléchir. J’ai étudié le journalisme pour affûter ma plume et m’intéresser au monde tel qu’il passe. J’ai appris la calligraphie japonaise, pour pratiquer un art qui combine l’écriture et le visuel, et le dessin, pour apprendre à regarder.

J’ai appris des langues étrangères. Chaque langue est une manière de voir le monde, et il me semblait qu’écrire, c’était agrandir son champs de vision. Je parlais déjà français et anglais, j’ai ajouté le japonais et l’étude des idéogrammes.

J’ai voyagé. Je suis allé voir à quoi ressemblait le monde loin de chez moi. J’ai rencontré des cultures radicalement différentes, des gens dont le mode de vie, les valeurs ou les mœurs n’étaient pas les miennes. J’ai essayé de comprendre comment eux voyaient le monde. J’ai essayé de découvrir ce grand bazar qu’est le monde.

J’ai également travaillé dans différents domaines : j’ai été coursier, concierge, professeur particulier. J’ai travaillé dans la banque, j’ai été gestionnaire dans une PME, j’ai fait de l’associatif.

Surtout, j’ai pratiqué. J’ai écrit des dizaines de livres, des centaines d’histoires, des milliers des pages, des millions de mots. La plupart sans grand intérêt. J’ai pratiqué dans le simple but d’apprendre en faisant. De comprendre de l’intérieur ce que c’était que créer un monde. De répéter de nombreuses fois le processus d’écriture d’un roman. Pour le plaisir, pour aguérir mon style, mais surtout pour maitriser la technique.

Enfin, j’ai essayé de vivre. De multiplier les expériences, les rencontres. J’ai connu les hauts, les bas, et toute la gamme entre les deux. J’ai fréquenté les lieux de pouvoir, et les lieux de misère. En un mot j’ai essayé de découvrir le maximum de choses. La vie s’est chargée de m’apprendre le reste. Au dix-neuvième, on disait qu’il ne fallait pas commencer à écrire avant quarante ans, avant d’avoir vécu, au risque de n’avoir rien à dire.

Scénariste, romancier, écrivain, comment définissez-vous votre métier ?
En général comme auteur. Cela me permet d’englober les différents médiums que j’utilise.

Comment en êtes-vous venus à la BD ?
Naturellement. Je considère que mon métier est de raconter des histoires : je n’ai, à priori, pas de médium de prédilection. J’ai grandi avec autant de bandes dessinées que de romans, et l’un et l’autre me paraissent être des formats intéressants à explorer.

Ceci étant, je considère que l’on vit actuellement un âge d’or de la bande dessinée dans les pays francophones. Je sais que cette idée n’est pas toujours populaire chez mes collègues, mais je pense que nous sommes à une période où tous les paramètres sont dans zones intéressantes. Il y a un public, des auteurs de qualité, des éditeurs passionnés et compétents, et des circuits de distribution qui fonctionnent à peu près. L’écosystème est globalement en bonne santé. Cela permet aux talents d’émerger. Il suffit d’aller dans une librairie et on peut trouver un livre intéressant pratiquement chaque jour!

En ce qui concerne mes intérêts plus particuliers, j’aime le métissage entre le cinéma et la littérature. L’enchainement des cases fait que la BD est un art séquentiel, et la présence d’un texte écrit, que le lecteur doit lire et pas seulement entendre en fait un art littéraire. C’est le genre de mélanges que je trouve intéressant à explorer.

A quoi ressemble votre journée de travail ?
La plupart du temps, mon emploi du temps est assez cadré. Cela m’est nécessaire pour arriver à produire et pour ne pas me perdre dans le piège du travailleur indépendant qui passe plus de temps à buller au café qu’à faire son travail.

Concrètement : écriture le matin, pratiquement au saut du lit, avec une tasse de thé bouillant. Déjeuner en regardant une série, puis le début d’après-midi pour la lecture et la correspondance. L’après-midi proprement dite pour le travail rémunérateur. Le début de soirée et les soirées pour les amis et la famille. Répétez cinq jours par semaine, une grosse quarantaine de semaines par an.

Comment vous viennent vos idées ?
Je n’en sais rien. Vraiment. Ce n’est pas un pirouette pour me sortir du piège. Ce que je sais, ce que j’ai appris et ce à quoi je m’applique, c’est comment créer les conditions pour que les idées arrivent, et que faire une fois qu’elles sont là. Mais le processus précis qui fait naître l’idée, je n’en ai, au mieux, qu’une vague intuition.

Alors comment fait-on ?
Comme pour la chasse aux papillons. On prend un grand filet, très large et très léger, et on apprend à le manier avec une infinie délicatesse. Les idées sont de petits phénomènes très fragiles qui peuvent s’effriter si on les manipule n’importe comment. La seule manière de les capturer c’est d’être attentif à leur surgissement. Dès qu’une idée arrive je la note, telle qu’elle me vient, même si la forme n’est pas idéale, même si les mots sont encore hésitants. J’ai tout le temps un carnet avec moi, et dès qu’une idée arrive, je la note. Peu importe l’endroit : chez moi, au restaurant ou dans le métro. L’essentiel est de la recueillir. Parfois ce sont des éléments de rien : un prénom, un titre, un bout de phrase. Parfois ce sont des éléments plus structurés : un dialogue, une scène, un rebondissement. Plus rarement, c’est un bloc complet, parfois un chapitre ou même une histoire entière. Dans tous les cas ce n’est que la première étape, un peu comme le potier qui va chercher de la terre. Ce n’est que le matériau de base. Une fois rentré à la maison, il va s’agir de lui donner forme.

Quelles sont vos influences ?
Elles sont nombreuses et éclectiques.

Alors quelles sont vos influences principales ?
En Littérature : Rabelais, Shakespeare, Diderot, Voltaire, Mark Twain, Jerome K. Jerome, Yasunari Kawabata, Natsume Sôseki, Hemingway, Toni Morrison, Stephan Zweig, Kafka, Roald Dahl, George Orwell, Albert Cohen, Jorge Luis Borgès, Italo Calvino, Milan Kundera, Pascal Quignard.

En Bande Dessinée : Osamu Tezuka, Akira Toriyama, Hergé, Goscinny, Bill Waterson, E. P. Jacobs, Joan Sfar, Hayao Miyazaki, Matt Groening, Junichiro Taniguchi, Lewis Trondheim, George Bess.

En matière d’essais et de philosophie: Lao Tseu et les philosophes taoistes en général, le moine citrouille aère, Tanizaki, Gaston Bachelard, les présocratiques, Carl Gustav Jung, Stephan Zweig, Henry Thoreau.

En matière de séries : Les Simpsons, Kaamelot et Seinfelf en boucle.

Pour le cinéma : les classiques américains de l’âge d’or hollywoodien, et les films des années 80/90.

Et ce n’est que la surface!

Combien de temps vous faut-il pour faire un livre ?
C’est assez variable. En ce qui concerne l’Odyssée du microscopique, j’ai écrit l’histoire générale au cours de l’été 2009. Etant donné que le livre est sorti en avril 2015, il aura fallu presque six ans. C’est relativement long, mais c’était le premier ouvrage que nous réalisions, Léandre et moi. En général une bande dessinée de ce type prend entre un et deux ans.

Dans les rues de Brooklyn a été bien plus rapide à écrire. Il m’a fallu trois mois environ pour faire le premier jet, et deux autres mois de réécriture et de finitions. Quand j’écris des nouvelles ou des romans, j’écris en moyenne mille mots par jour. Pour comparaison, un auteur comme Stephen King, qui a plutôt la réputation d’être prolifique, écrit mille cinq cents à deux mille mots par jour.

Quels sont vos projets actuels ?
J’en ai toujours plusieurs en cours. Je ne sais pas si c’est une optimisation de mon temps ou un dispersement total ! Quoi qu’il en soit je travaille actuellement sur la suite des Rues de Brooklyn, qui se passera en Israel, et sur un projet un peu dingue dans la forme, qui, dans sa version finale devrait faire dans les cinq cent mille mots et couvrir dix volumes (au moins). Le premier volume est fini, il devrait sortir d’ici l’été 2021. J’ai également un nouveau scénario de BD qui est en train de prendre forme, je suis en train de commencer le découpage.