Le silence du jardin et le souffle du désert

Il y a des moments de l’Histoire où le bruit du monde devient un fracas insupportable.

Le lettré, pour sa part, a besoin de silence. Son travail est délicat. Il a la responsabilité des valeurs et des livres, il a la responsabilité des mots et des idées. C’est un travail lent et intime, un travail qui demande un certain retrait. Un travail qui nécessite de trouver un endroit où le monde se taise quelques heures par jour.

Dans les périodes historiques où tout semble aller normalement, il suffit d’un bureau avec une porte qui ferme bien, ou même d’un coin de table dans un café où personne ne vient vous accoster.

Mais dans les périodes où l’histoire accélère, dans les périodes où les structures semblent se décomposer, dans les périodes où les élites sont prises de frénésie, le silence est plus difficile à trouver.

Le lettré n’a souvent pas d’autre choix que de s’éloigner physiquement. Il lui faut quitter le centre et trouver un endroit neuf, un endroit à l’écart, un endroit à l’horizon duquel s’éteint le vacarme du monde, afin qu’il puisse se consacrer à son travail.

Car le lettré n’est pas un homme d’action. Ce n’est pas un homme « engagé ». Il peut le souhaiter, il peut le devenir, mais lorsqu’il incarne pleinement sa fonction, il a besoin d’être à l’écart. Dans le pire des cas, il ne lui reste qu’à fermer la porte et à contempler l’éternité des humanités.

Cela peut être, par exemple, la porte d’un monastère. Il s’agit alors de se concentrer sur l’étude de la Bible et de ses commentaires. Cela peut être la porte d’une tour, quelque part dans le Bordelais. Il s’agit alors de se consacrer à la lecture et dicter des textes qui traverseront les siècles, bien après que la fureur des guerres de religions ne se soient tue.

Cela peut être également, si l’on est un lettré chinois, dans les propriétés de province, bien loin de la capitale. C’est le cas de Su Dongpo, qui, ce faisant, reprenait l’exemple du Maître initial. Voyant que le dirigeant qu’il servait était sur une mauvaise pente, Confucius décida de quitter le royaume de Lu, et partit sur la route pendant plus de quatorze ans à la recherche d’un autre lieu où planter ses idées.

Toute la question est de savoir à quel moment partir. A quel moment le mécanisme de l’histoire s’est enclenché dans un mode automatique que l’on ne peut arrêter.

Et toute la question est de savoir où aller.

On raconte que lorsque Victor Hugo partit à Guernesay, son fils lui demanda ce qu’ils allaient bien pouvoir y faire. Il lui aurait répondu : « je contemplerai la mer et tu traduiras Shakespeare ». Ce fut l’une des périodes les plus fécondes du maître.

Pour ma part j’ai choisi le désert. Son horizon dissout les gargarismes du monde. Il ne reste que le silence et le ciel infini traversé par des nuages filandreux.

Alors que l’année s’achève et que la chaleur de l’été monte chaque jour un peu plus, je prépare doucement les projets pour l’année à venir. Langue française, littérature, Bible : le désert permet de se recentrer sur l’essentiel. Il devient alors comme un jardin, où les plantes sont les Lettres que l’on cultive patiemment et que l’on fait doucement fleurir pour les cueillir en bouquets de livres.

Bonnes vacances à tous, et à l’année prochaine !

Reprise du blog après les fêtes de Tishri, le 10 octobre.