Des Japonais à Jérusalem (1/2)

C’est un groupe étonnant : un groupe de Japonais sionistes. Un groupe que les Hiérosolymitains connaissent souvent de façon un peu confuse. On les voit une fois par an faire une parade au moment de Soukkot, et de temps en temps au Kotel. Lorsqu’ils s’y rendent en groupe, au moment de leur pèlerinage annuel, ils sont habillés avec une tenue bleue qu’on ne peut pas louper. Parfois ils viennent même en tenue traditionnelle, en kimono. Ce groupe, ce sont les Makuya. Portrait d’un mouvement né en même temps qu’Israël et ami d’icelui depuis.

Le quartier de Givat HaMivtar est un petit quartier paisible de Jérusalem. On s’y promène à l’ombre des arbres, bordé par les maisons en pierre dorée. Au détour d’un rue à flanc de colline, on tombe sur un portail discret, et une pancarte qui dit simplement : « centre Makuya ».

On pousse le portail et on est transporté dans une autre endroit, à quelques milliers de kilomètres. C’est un petit coin de Japon à Jérusalem : le jardin est planté de bambous et parsemé de pierres élégantes. A l’entrée, on enlève ses chaussures et on enfile de petits chaussons.

Au rez de chaussée, une grande salle, où l’on a construit un espace pour la cérémonie du thé. On trouve également une cuisine et les appartements du directeur. Comme la maison est construite en appui de la colline, le sous-sol se trouve être également ouvert sur l’extérieur.

On descend un petit escalier, on slalome entre les installations, et on croise des petites pancartes en japonais, d’autres en hébreu. Enfin on débouche sur le lieu principal : la grande salle de réunion, qui est aussi bordée de livres, une bibliothèque de plusieurs milliers de livres, en japonais, en hébreu et même en grec.

Une gigantesque calligraphie est installée sur l’un des murs. A côté, un drapeau israélien et un drapeau japonais. Et à la place d’honneur, une photo de la famille impériale.

Un centre à Jérusalem, les Makuya en ont rêvé pendant des années. Et c’était finalement une étape logique sur leur parcours. L’endroit sert aux étudiants qui viennent du Japon pour étudier à l’université hébraïque. C’est également un lieu de réunion et de prière. Mais il sert aussi de centre culturel pour faire découvrir la culture japonaise aux habitants du quartier et de la ville. Ateliers origami, rencontre avec les étudiants en langue japonaise de l’université, conférences, cérémonie du thé, c’est un pont en construction entre Tokyo et Jérusalem.

Alors qui sont les Makuya ? Et comment sont-ils arrivés dans ce coin du monde, à un moment où tout poussait les Japonais à aller dans un sens contraire ?

Pour comprendre cela, il faut au préalable connaître quelques éléments d’histoire japonaise. Car leur histoire s’insère dans une perspective plus large, celle de l’arrivée au Japon du christianisme, et donc, indirectement, de la Bible et de la culture hébraïque qui lui a donné naissance.

Après deux siècles d’isolement et de fleurissement culturel, le Japon est forcé par les Américains d’ouvrir ses frontières au milieu du dix-neuvième siècle. S’en suit une période troublée dans l’archipel, qui finit par un changement politique majeur : l’empereur, qui n’était plus qu’une figure symbolique et qui avait été remplacé par une figure militaire, le shogun, reprend la main et règne à nouveau totalement. C’est le début de l’ère Meiji.

Le sujet ? Moderniser le pays, et lui faire rattraper le retard phénoménal qu’il a sur l’occident, retard qui a forcé le Japon à capituler aux demandes américaines face aux bateaux, et aux canon, du commandant Perry.

La stratégie adoptée ? Etudier l’occident et s’approprier tout ce qu’il est nécessaire de s’approprier. Le succès est éclatant : en quelques décennies, le Japon rattrape l’occident et bat même la Russie lors de la guerre de 1905, prouvant qu’il était désormais dans le camp des grandes puissances.

Parmi les innombrables choses que les Japonais ont importées, on trouve le christianisme. Essentiellement dans ses différents versions protestantes, les missionnaires américains étant particulièrement intéressés à évangéliser ce pays qui leur avait été fermé pendant deux cents ans. D’autant plus que l’une des raisons de la fermeture avait été un conflit entre les japonais chrétiens et le pouvoir central. Et le succès semble au rendez-vous à la fin du dix-neuvième, à tel point que tous les missionnaires sont persuadés que bientôt, l’archipel sera chrétien.

C’est aller un peu vite : la fin du XIXème connaît un renouveau religieux dans l’ensemble du pays, le christianisme étant un exemple particulier d’un phénomène plus large. Il attire principalement les élites urbaines, qui sont intéressées par son aspect éthique, tout en y voyant l’une des clé du succès occidental. A l’inverse, dans les campagnes, ce sont des mouvements religieux populaires qui émergent. Les sociologues des religions les appelles Nouveaux Mouvements Religieux, pour les distinguer d’une part des pratiques shinto, qui ont été agglomérées et qui sont devenues religion d’état, et d’autre part des différents types de bouddhisme.

A l’intersection des deux, va très vite apparaître un besoin pour un christianisme japonais. Un christianisme débarrassé de ce que certains perçoivent comme des éléments doublement étrangers. Etranger au Japon, mais également étranger à la culture biblique originelle, qu’ils découvrent en lisant le texte biblique directement.

Uchimura Kanzō, le fondateur du mouvement sans église, l’un des premiers de ces mouvements à se structurer, écrit par exemple que le christianisme japonais est « le christianisme reçu par les Japonais directement de Dieu, sans le moindre intermédiaire étranger ; ni plus, ni moins ». (1)

Et c’est là, d’une certaine manière que commence l’histoire des Makuya, puisque c’est dans ce contexte que nous rencontrons son fondateur : Ikurô Teshima.

Né en 1910 à Kumamoto, dans le sud du pays, sur l’île de Kyushu, il se convertit au christianisme à l’âge de douze ans après être allé dans une église baptiste avec sa sœur. Il est formellement baptisé en 1927, et après avoir finit ses études à l’école de commerce de Nagasaki (aujourd’hui intégrée à l’université de Nagasaki), il commence à fréquenter le mouvement sans église.

En 1945, il revient à Kumamoto, et s’occupe de différents business. Il organise un groupe d’étude biblique avec ses employés (ce qui à l’époque est une pratique assez courante dans les entreprises où les chrétiens sont nombreux) et publie différentes revues.

L’année charnière est 1948. Après avoir protesté contre la destruction d’une école par les autorités américaines qui occupent alors le Japon, Teshima craint d’être arrêté. Il prend le maquis, et se réfugie dans la campagne sauvage, non loin de Kumamoto, sur le mont Aso. Il y reste près d’un mois, mangeant la nuit dans une auberge située non loin de là, et se cachant dans la montagne la journée.

Fatigué, seul, terrifié à l’idée d’être capturé, Teshima passe beaucoup de temps à prier. Un jour il rapporte avoir eu une expérience spirituelle très forte, au cours de laquelle il a entendu une voix profonde en lui qui cite un verset d’Isaïe.

Teshima s’engage auprès de Dieu à faire ses œuvres, et redescend de la montagne. Ce soir-là, selon l’histoire rapportée, la police militaire est partie dans un autre secteur. Teshima était libre de revenir : on était début mai 1948.

A ce moment-là, Teshima démarre un nouveau groupe d’études bibliques, et suit le style du mouvement sans église : il enchaîne les cours, analyse les textes. C’est deux ans plus tard, lors d’une retraite avec ses élèves, qu’il va connaître une autre expérience spirituelle.

La situation internationale est mauvaise : la guerre de Corée vient d’éclater. Les troupes américaines présentes sur le territoire japonais sont en alerte. La population craint d’être entraînée dans une nouvelle guerre régionale. La Corée se trouve à moins de deux cents kilomètres des côtes de Kyushu.

Lors de la retraite organisée, Teshima, frustré de voir que son enseignement semble au point mort, connaît un moment de désespoir intense et se met à prier à haute voix. Ses élèves le rejoignent. Et peu à peu l’expérience les transforme. Ils comparent cela à la Pentecôte décrite dans l’évangile.

Et c’est effectivement le chemin que le groupe va prendre à partir de là. Teshima change le nom du mouvement et l’appelle désormais Makuya, un mot dont les idéogrammes (幕屋) signifient littéralement « la pièce aux rideaux » (en français le mot approprié dans le contexte serait en réalité « tentures »), et qui traduit le mot hébreu « ohel », le tabernacle construit par les Israélites dans le désert et au sein duquel Moïse rencontrait la présence divine.

A partir de là, les sociologues des religions placent le mouvement Makuya comme étant un mouvement pentecôtiste, mais également comme étant un mouvement qui s’enracine dans la culture japonaise populaire, à l’image des Nouveaux Mouvements Religieux, avec qui il partage une approche plus émotionnelle qu’intellectuelle et en s’adressant à des strates de la société beaucoup plus diverses que l’élite urbaine qui continue à être la catégorie la plus attirée par le christianisme.

Notre sujet n’étant pas une étude de la théologie ou de la pratique Makuya, intéressons-nous maintenant à leur lien avec Israël.

(A suivre : deuxième partie)

(1) Dans Indigenous Christians movements, p. 153 (voir bibliographie complète en fin de partie deux de l’article.
Image : https://www.reddit.com/r/pics/comments/46euw3/japanese_makuya_praying_at_the_western_wall_in/

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