Journal d’un civil (86) Le meal train

Dimanche 31 décembre.

Ce matin, j’ai une pêche magnifique. Alors j’en profite et je fais tout ce qui a besoin d’être fait le lendemain de shabbat. Je lance une lessive, je passe l’aspirateur, je fais la vaisselle, je balaye, je lave le sol. Je passe également une commande sur Internet pour les courses, qui arriveront dans l’après-midi. J’essaye de faire autant que je peux tant que la sciatique ne me lance pas.

De son côté, ma femme fait les courses. Aujourd’hui, elle prépare un repas pour la famille qui vient d’avoir une petite fille. A chaque naissance, tout le monde organise un meal train. Chacun s’inscrit pour un soir et s’engage à amener à manger. Ça peut être fait maison ou commandé dans un restaurant, le tout c’est que, pendant les premières semaines, le repas du soir soit assuré, afin que la famille puisse se concentrer sur ce qu’ils ont à faire.

C’est un vrai système de solidarité : un jour on contribue ; un autre jour on bénéficie. Le train est passé deux fois par chez nous, et les deux fois ça a été une aide extraordinaire. On découvre tout un tas de plat, on mange autre chose que des surgelés (une industrie de toute façon pratiquement inexistante dans notre désert), et au moins on n’a pas à se demander ce qu’on va manger le soir venu. C’est d’autant plus précieux dans notre réseau de nouveaux immigrés : presque personne n’a la chance d’avoir de la famille sur place pour aider.

Ce soir, c’est notre tour d’amener à manger, et ce sera : tacos. Ma femme achète de quoi faire une grosse quantité : une partie ira pour la famille, une autre partie pour nous (pour un repas potentiel cette semaine).

Les tâches ménagères terminées, la suite de la journée est consacrée à rattraper les nouvelles. Que s’est-il passé entre vendredi soir et dimanche midi ? A la fois peu et beaucoup.

Voilà ce qui m’a semblé le plus important. (L’exercice est difficile, parce que je sais d’emblée que, dans quelques années, avec le recul, certaines choses qui me paraissaient importantes seront insignifiantes et, à l’inverse, je serai passé à côté d’événement colossaux qui, sur le moment, étaient noyés dans la masse d’information. Mais c’est comme ça que fonctionne l’histoire, alors faisons notre part).

🔹Flou complet sur la possibilité d’un nouvel accord pour libérer des otages. La presse israélienne dit qu’il y a des pourparlers qui vont dans ce sens, mais un officiel du hamas au Liban dément complétement. Selon le Times of Israel, « Osama Hamdan déclare à Al Jazeera que le Hamas a informé les médiateurs que la priorité du groupe terroriste est un cessez-le-feu permanent et qu’il n’est pas question pour l’instant de libérer les otages avant l’arrêt des combats. » En début de soirée, le premier ministre confirme néanmoins : « le premier ministre déclare qu’il est possible d’avancer vers un accord sur les otages, alors que les familles se mobilisent pour leur retour ».

🔹Tsahal trouve une grande quantité d’armes fabriquées par l’industrie chinoise. La quantité semble indiquer qu’elles ont été amenées « dans un processus d’approvisionnement organisé ».

🔹Les attaques contre les bateaux passant au large du Yemen continuent. Un expert de la région note que depuis que la force navale Opération Prosperity Guardian a été mise en place sous l’égide des USA, le nombre d’attaque a néanmoins sensiblement diminué. Maersk, l’une des plus grandes compagnies de transport maritime au monde, a annoncé le 25 décembre que le fret allait reprendre, mais a annoncé le 31 une nouvelle pause.
L’attaque du 31 décembre, est décrite par AAE de la manière suivante : « Selon le commandement central américain, 4 bateaux houthis sont arrivés à proximité du même navire de la compagnie Maersk sur lequel ils ont tenté de lancer un missile / missile anti-aérien plus tôt.
L’équipe de sécurité du navire a tiré sur les embarcations des Houthis en même temps que l’appel de détresse lancé par le navire. Des hélicoptères de combat de l’US Navy ont été envoyés sur les lieux et ont demandé aux bateaux des Houthis de s’éloigner. Les Houthis ont répondu en tirant sur les hélicoptères américains. Les hélicoptères ont riposté et ont coulé trois des quatre bateaux, tuant leurs occupants. Le quatrième bateau a réussi à s’échapper. L’incident n’a fait aucune victime, à l’exception des Houthis. » [incident survenu le 31 décembre, à 2h47 UTC (ancien GMT)].

🔹Les partis chrétiens au Liban prennent de plus en plus de distance avec le hezbollah. Dernière déclaration en date, Samir Jaja, du parti Lebanese Forces, déclare : « nous soutenons Gaza à 100 % et condamnons ce que ses habitants subissent. C’est inacceptable. Mais la question se pose : en quoi les attaques en provenance du Sud-Liban aident-elles Gaza ? La situation à Gaza peut-elle être pire que ce qui s’y passe actuellement ? Ce qui se passe actuellement au Sud-Liban n’est pas le fruit d’une décision légale libanaise ni d’une décision gouvernementale. Aucune discussion n’a eu lieu au Parlement libanais à ce sujet. Les forces politiques libanaises ne se sont pas entendues à ce sujet. Ce qui se passe au Sud-Liban est une décision prise par une partie qui s’appuie sur des hypothèses non libanaises et les met en œuvre de manière indépendante. Entre-temps, 80 à 100 000 Libanais déplacés ont quitté leurs maisons dans le sud du Liban. »

🔹Toujours au Liban, le patriarche maronite a appelé au « retrait de tous les lance-roquettes des maisons des habitants du Liban afin d’éviter les tirs israéliens dévastateurs, [… ainsi qu’] au respect de la résolution 1701 du Conseil de l’ONU. »

🔹D’après le Wall Street Journal, Israël est en train de « monte[r] un dossier contre les terroristes du Hamas dans le cadre d’un procès à la Eichmann. Le Wall Street Journal a révélé que les enquêteurs de la police israélienne et les avocats de l’accusation sont en train de constituer l’un des dossiers les plus importants contre les terroristes du Hamas. » (Jpost).

🔹Il y a eu onze alertes pendant shabbat.

Je profite également d’une journée un peu plus calme que d’habitude pour écouter une longue interview de Eylon Levy sur le compte Living Lchaim. Levy est l’une des porte-paroles du gouvernement israélien, ancien présentateur sur i24 news, et ancien conseiller média du président Herzog. Il fait partie des gens qui se sont révélés depuis le début de la guerre. Il y a quelques voix comme ça qui ont émergé et dont on ne sait pas aujourd’hui comment on ferait sans eux.

Levy est devenu tellement populaire qu’il y a un même qui s’est répandu sur les réseaux après une interview lunaire sur SkyNews. La journaliste lui a demandé : « ce matin, j’ai parlé à un négociateur d’otages qui a fait la comparaison entre les 50 otages que le hamas a promis de libérer et les 150 prisonniers palestiniens qu’Israël a dit vouloir libérer. Il a fait la comparaison entre les chiffres et le fait qu’Israël ne pense pas que les vies palestiniennes ont autant de valeur que les vies israéliennes ? » La tête qu’il a faite à ce moment-là, alors qu’il a dû entendre toutes les bêtises du monde, est devenue iconique.

Toujours est-il que dans cette interview, il revient sur un certain nombre d’observations qu’il a faites sur les massacres du 7 octobre. Il est éloquent, mais il amène surtout, à mon avis, une analyse qui va mériter qu’on y réfléchisse pendant les années qui viennent. Ce n’est probablement pas le premier à la dire, mais avec son sens de la formule et de la synthèse, il le dit de la meilleure façon que j’ai pu trouver jusqu’ présent. (source : interview sur la chaine YouTube Living Lechaim, 31 décembre).

« Le 7 octobre était une campagne d’extermination systématique : ils ont intentionnellement et méthodiquement essayé d’assassiner autant de personnes qu’ils le pouvaient, aussi brutalement qu’ils le pouvaient, et je pense que Chris Cuomo a fait un monologue fantastique sur sa chaîne l’autre jour en disant qu’il pensait que ce que le Hamas essayait de faire, c’était d’évoquer délibérément l’Holocauste dans l’esprit des gens ; ils ont délibérément essayé de recréer les excès les plus sauvages de l’Holocauste en réduisant les gens en cendres humaines parce qu’ils voulaient réveiller en nous ces peurs primordiales. »

Le journaliste lui parle ensuite d’une interview qu’il a faite dans laquelle l’invité a évoqué la comparaison avec la shoah, et les différences entre les situations historiques. Il demande alors à Lévy, ce qu’il en pense. Il répond :

« Il y a bien sûr d’énormes différences. L’ampleur, le fait que les nazis ont essayé de cacher leurs atrocités, que le Hamas les a filmées et diffusées, parce qu’il en était fier, le fait que nous avons un État et une armée et que nous pouvons nous défendre, et que nous pouvons poursuivre les gens qui viennent pour nous tuer.

« Mais il y a aussi des similitudes. Il s’agit d’un massacre mené avec une cruauté et une efficacité dignes des nazis, car 1 200 personnes assassinées en une demi-journée, multipliées par la durée de la Seconde Guerre mondiale, vous atteignez six millions de personnes. Et ce, au service d’une idéologie nazie qui cherche à assassiner violemment tous les juifs du monde.

« Je voudrais partager avec vous l’une des pensées les plus troublantes que j’ai eues après le 7 octobre, lorsque nous avons entendu les horribles témoignages sur la façon dont le hamas a brutalement torturé des personnes à mort, puis a mutilé et éliminé leurs corps.

« Pendant si longtemps, nous avons été habitués à penser que les nazis représentaient un niveau de mal inégalé. Il était tout simplement ontologiquement impossible que quoi que ce soit puisse approcher le mal des nazis et, par conséquent, quiconque suggérait de comparer quoi que ce soit aux nazis, est évidemment une accusation scandaleuse. Parce que philosophiquement, il ne pouvait y avoir rien d’aussi maléfique que les nazis. Mais le 7 octobre, nous nous sommes réveillés avec un mal comparable à celui des nazis, la seule différence étant les moyens. Car si le hamas avait eu les moyens de faire ce que les nazis ont fait, nous ne doutons pas qu’il l’aurait fait et qu’il aurait pris plaisir à le faire.

« Alors comment, en tant que peuple juif, continuer à vivre dans un monde où les nazis ne sont plus le symbole ultime du mal parce qu’ils ont rencontré leur égal dans les escadrons de la mort du hamas qui ont brûlé, décapité, torturé, mutilé et violé 1200 Israéliens le 7 octobre ? »

La question n’a pas fini de résonner dans nos esprits.

Fin du 86ème jour, 31 décembre 2023, 19 tevet 5784.