Journal d’un civil (57) Shabbat Vayshlakh

2 décembre 2023.

Shabbat commence tôt ces jours-ci. En Israël, l’hiver est une de mes saisons préférées ; on peut profiter d’un jour complet de repos et avoir tout de même une longue soirée lorsque shabbat est terminé. Presque un air de week-end de trois jours.

Vendredi soir, les enfants dînent peu de temps après l’allumage des bougies, et nous dînons après eux. Le plat principal est une recette américaine : des sloppy Joes. De la viande hachée avec des légumes, dans de la sauce tomate, le tout dans du pain frais acheté à la boulangerie. Parfait pour notre premier shabbat au milieu des affaires du déménagement.

Le lendemain passe au rythme habituel. Levés tôt, petit-déjeuner avec de la hallah fraîche et du café, et office du matin pour les enfants. Puis on joue un peu au parc, on déjeune, et c’est l’heure calme, l’heure où on essaye de faire la sieste ou du moins, de baisser un peu le rythme pour pouvoir se reposer.

Vers quinze heures on sort à nouveau au parc et les enfants jouent jusqu’à la tombée de la nuit. Les autres enfants du quartier arrivent peu à peu, et ils s’empilent en descendant le tobogan ou sur les balançoires. Ils rient, ils crient, ils courent – pour eux, c’est un jour tout à fait normal.

On croise un ami qu’on n’a pas vu depuis un moment : il vient d’avoir un fils. Il nous dit que la brit aura lieu lundi à la synagogue unetelle, à 13h. C’est le troisième bébé à naître dans notre entourage proche en quelques semaines. On pourrait se dire que c’est notre milieu qui veut ça, mais non, en Israël les gens ont des enfants. Y compris lorsque les temps sont durs ; peut-être encore plus quand les temps sont durs.

On reste dans le parc à manger des petits gâteaux alors que la nuit tombe doucement. Dans le ciel, des nuées d’oiseaux migrateurs. Chaque coup d’aile déploie un rouge flamboyant. Et bientôt, l’étoile du berger apparaît en face de moi. La température se fait plus fraîche, on serre un peu plus la petite laine sur nos épaules. C’est mon moment préféré de la semaine, suspendu pendant quelques minutes entre le silence du shabbat et le bruit de la semaine qui bientôt va recommencer. Un goût d’éternité facilement accessible.

On rentre à la maison, on dit la havdalah, et voilà, c’est l’heure de se plonger à nouveau dans le bain des événements. Que s’est-il passé pendant les vingt-cinq dernières heures ? On a entendu les avions passer au-dessus de nos têtes toute la journée. Ma femme m’a dit également qu’elle a vu beaucoup d’hélicoptères.

Je ne regarde pas encore le téléphone, qui est resté allumé pour pouvoir servir en cas d’alerte. Mais des alertes, à Be’er Sheva, ce shabbat, il n’y en a pas eu.

Au lieu de revenir à l’actualité, on prépare un dîner léger et on met un film familial. Ce soir c’est Chérie, j’ai rétréci les gosses. Une heure et demie : la durée parfaite pour passer un bon moment et mettre les enfants au lit à peu près à l’heure normale. Mon fils est fasciné. Il est assis à côté de moi sur le canapé, fatigué de sa journée, emmitouflé sous une petite couverture. Ma fille fait des allers-retours entre les jouets et le canapé. Et, lorsque les restes de sloppy Joe sont réchauffés, elle réclame un sandwiche entier juste pour elle.

A dix-neuf heures trente, après la douche, les enfants vont se coucher. Je m’assieds dans le fauteuil en face de leur chambre, j’ouvre le téléphone, et je commence le chemin des nouvelles.

Que s’est-il passé depuis hier après-midi ?

Des frappes près de Damas.

Des alertes sur une grosse partie du pays, toute la journée. Un commentateur explique : l’armée est à Khan Yunis, qui est l’une des bases de lancement principales. Il est possible que le hamas utilise tous ce qu’il peut en prévision du fait que bientôt, il n’aura plus rien.

On apprend le décès probable de plusieurs personnes qui étaient otages, d’après le témoignage de ceux qui ont été libérés. Mais aucune nouvelle de la famille Bibas. On sait que le père est vivant : on l’a vu dans une vidéo de guerre psychologique absolument atroce. Je ne peux même pas écrire ce qu’ils lui ont fait subir et qu’ils ont filmé. On ne sait pas si sa femme et ses deux enfants, dont Kfir, le bébé de dix mois, sont encore en vie. Le hamas affirme le contraire.

Erdogan déclare qu’il ne peut pas accepter que « le hamas soit un groupe terroriste ». C’est noté.

Il semble qu’une équipe du Mossad soit au Qatar pour des négociations regardant une trêve, mais que les négociations aient échouées.

On voit aussi des déclarations des dirigeants américains qui semblent penser qu’Israël est une colonie et que c’est eux qui l’administrent. C’est un sujet en soi.

Les troupes de Tsahal ont trouvé des dizaines de roquettes sous une école de l’UNRWA. L’organisation de l’ONU montre régulièrement à quel point elle est rongée par la corruption morale. On apprend également, d’après le témoignage d’une personne libérée parlant sous couvert d’anonymat, qu’elle était retenue prisonnière chez un professeur de l’UNRWA. L’organisation a aussi démenti, mais son historique est disponible facilement. Il est d’une laideur à la hauteur de ce qu’il se passe dans la bande de Gaza.

Un dirigeant international de premier plan dit quelque chose de ridicule. Une fois n’est pas coutume, c’est un qui parle depuis l’hexagone.

Et ce matin, alors que je rédige ce texte, j’apprends qu’il y a eu un attentat à Paris, fait par un Iranien. La plaie islamiste est présente partout dans le monde. Elle a tissé son réseau et a envoyé ses agents dans tous les pays. Que ce soit en occident, en Asie, ou Afrique. Les Américains ont déclaré la guerre contre le terrorisme il y a plus de vingt ans ; je crains que nous ne soyons encore, à l’échelle de l’histoire, qu’au début. – Fin du 57ème jour, 2 décembre 2023, 18 kislev 5784.