1er décembre 2023.
J’ai l’impression de vivre dans une série. Et pas une bonne. Une histoire à deux shekels, scénarisée par un des débiles du hamas.
Depuis que la trêve a commencé, les clifhangers sont les mêmes. Est-ce qu’ils vont vraiment rendre les otages dont ils ont donné la liste ? Est-ce qu’ils vont trouver des raisons absurdes pour faire traîner en longueur ? Est-ce qu’ils vont fournir des images grotesques pour faire croire, à ceux qui croient déjà, que le hamas est du bon côté ? Oui, oui, trois fois oui.
Et pendant ce temps-là, ils vont rompre les conditions du cessez-le-feu, mais personne ne leur en tiendra rigueur. L’Occident, comme la communauté internationale, n’en est plus à un détournement de regard près.
Je commence à en avoir un poil marre d’être le dindon de cette farce grotesque orchestrée par le hamas.
Ce matin, on ne sait toujours pas si la trêve va tenir ou pas. On nous dit oui, c’est dans les tuyaux, mais je n’y crois pas vraiment. Tous les micro-détails que j’ai relevés hier disaient le contraire.
Et ça n’a pas loupé : ce matin, à 5h42, alerte aux missiles sur la zone Sha’ar Haneguev, qui comprend la ville de Sdérot. Puis, à 6h52, rebelotte sur la zone d’Eshkol.
Autrement dit : avant la fin du cessez-le-feu qui était à 6h59. Cela s’ajoute au fait que l’attentat d’hier à Jérusalem a été assumé par le hamas, au fait qu’ils n’ont pas respecté le protocole de remise d’otage hier, en en libérant que huit, alors qu’ils devaient en libérer 10 (mais, ont-ils dit, deux de la veille comptaient pour aujourd’hui ; sauf que la veille, ils étaient censés faire partie d’un accord séparé négocié directement avec les Russes) et aux multiples incidents causés par les troupes du hamas tout au long de la trêve dans la bande de Gaza.
Sans compter la déclaration de Yahya Sinwar, le dirigeant du hamas dans la bande de Gaza, la première semble-t-il depuis le shabbat noir. « The leaders of the Occupation should know, October 7th was just a rehearsal ».
Le message est clair : les hostilités doivent reprendre.
Et voilà qu’entre sept heures et sept heures quinze on entend un avion de chasse passer au-dessus de l’immeuble. Pas besoin de demander dans quelle direction il va.
Il va falloir se remettre en mode guerre. Cela fait près de trois semaines qu’il n’y a pas eu d’alertes sur Be’er Sheva, il va me falloir un peu de temps pour me réadapter.
On a appris seulement ce matin qui étaient l’ensemble des otages libérés hier. Leurs noms sont :
Mia Schem (21 ans), Amit Soussana (son âge n’est pas communiqué), Aisha Zaidna (17 ans), Belal Zaidna (18 ans), Nili Margalit (40 ans), Shani Goren (29 ans), Ilana Gritzewsky (30 ans), Sapir Cohen (29 ans).
Hier on parlait également de trois corps qui auraient pu être rendus, mais avec la fin de la trêve, ça ne semble plus être d’actualité.
Ce matin, le sujet principal dans notre petit monde, c’est le déménagement. Il y a des cartons dans tous les sens, et je veux pouvoir en ouvrir un maximum aujourd’hui, afin que l’appartement ne soit pas dangereux pour ma fille, qui est à l’âge où on escalade tout.
Ma femme part avec mon fils, qui est encore plus énergétique que d’habitude. Ils vont aller jouer au parc qui est en face de chez nous : en cas d’alerte, il y a un abris anti-bombes juste à côté, et on peut aller s’y abriter en moins d’une minute.
De mon côté je commence à ranger et à organiser. En étant à ce point focalisé sur le jour où les déménageurs viendraient, j’en avais oublié l’étape suivante : tout carton fait doit ensuite être défait.
Heureusement, la physique du déménagement joue en notre faveur. Cette branche de la géométrie explique que tout objet mis en carton triple instantanément de volume ; la réciproque est tout aussi vraie : tout objet sorti d’un carton voit son volume divisé par trois. Exemple : une étagère de livres prend quarante centimètres de long, mais remplit deux cartons entiers. Cela devrait jouer en notre faveur.
Vers onze heures, ma femme et mon fils reviennent, et, comme à leur habitude, ils ont vécu trois jours d’aventures en trois heures.
En allant au parc, mon fils a remarqué que la porte de la maison en face de chez nous était ouverte. Il y a un panneau qui annonce qu’une famille est en deuil, et que tout le monde est le bienvenu pour venir pour les shiva, les jours de deuil où l’on va rendre visite aux endeuillés.
Ma femme lui a dit qu’ils reviendraient plus tard avec quelque chose à manger, mais mon fils insiste : il entre sans rien demander de plus. Il dit bonjour à tout le monde, et, pendant une petite demi-heure, tout le monde est content de le voir.
Depuis qu’il est tout petit, il a cette capacité magnifique de repérer quand les gens ont besoin qu’on le remonte le moral, et de faire exactement ce qu’il faut pour. Quand il avait à peine un an, on pouvait croiser quelqu’un qui semblait triste dans la rue, il leur disait bonjour en faisant un grand sourire, et la personne repartait comme rechargée, un sourire aux lèvres.
Cet après-midi, même scénario dans l’ascenseur de l’ancien immeuble. On le prend trois ou quatre fois, à chaque fois on est avec d’autres voyageurs : il ne dit rien.
Mais lors du dernier voyage, un homme entre deux âges monte dans l’ascenseur. Mon fils commence aussitôt la conversation. Il lui demande pourquoi sa tête est comme ça. (Entendre « sans cheveux »). L’homme répond : comme quoi ? Mon fils ne connaît pas le mot pour dire « chauve » en hébreu, alors l’homme le lui apprend, en disant : c’est comme dans la chanson truc. Tu connais la chanson truc ? Il se met à chanter. Mon fils ne connaît pas la chanson, mais ça ne l’empêche pas de chanter quand même. Le mec se marre. Il a l’air transformé.
L’ascenseur arrive au rez-de-chaussée, la porte s’ouvre, tout le monde descend. L’homme dit shabbat shalom et part de son côté. Et voilà qu’il continue à chanter la même chanson, tout guilleret ! De retour à la maison, je jette un coup d’œil sur les informations.
Shabbat commence dans moins de deux heures, et il reste encore beaucoup de choses à faire avant de fermer l’ordinateur.
Mais pas le téléphone. Il n’y a pas eu d’alertes depuis que nous habitons dans le nouvel appartement, et je ne sais pas si on entend la sonnerie extérieure aussi bien que dans l’ancien appartement. Dans le petit séminaire en ligne que nous avons suivi cette semaine, le home front command a expliqué un point que j’ignorais : les sirènes sont faites pour l’extérieur. Quand on est chez soi, on est censé être alerté par un autre moyen. En général par son téléphone. Mais comme le shabbat, le téléphone est censé être éteint, on peut également allumer la radio sur une station spécifique (trois fréquences à Be’er Sheva) qui reste silencieuse tout le shabbat sauf en cas d’alerte. Beau système, mais mon poste radio est en ce moment dans un carton non-identifié.
Je vais donc laisser le téléphone allumé, je coupe toutes les alertes de messages et de sonnerie, et je ne laisse que l’application idoine fonctionner.
Les nouvelles que j’apprends avant shabbat :
Selon le gouvernement israélien, il y a toujours 137 otages à Gaza.
Un dirigeant international important fait une déclaration totalement débile. (C’est en train de devenir un gag récurrent : on croirait que j’invente, mais non, c’est réel, et aujourd’hui, c’est particulièrement collector).
Les alertes continuent.
Un porte-parole israélien dit que le hamas « will now take the mother of all thumpings ».
Un second dirigeant international dit quelque chose sans intérêt.
L’armée annonce un nouveau plan pour prévenir les civils. Gaza est divisé en plusieurs centaines de petites zones, chacune avec un numéro. Elle demande aux Gazaouis de connaitre le numéro où ils se trouvent et d’écouter les informations.
L’armée opère désormais dans le sud, dans la région de Khan Younis.
Un troisième dirigeant international dit quelque chose d’idiot. C’est un festival aujourd’hui. La fin de la semaine peut-être.
Et sur ce, je vais arrêter. Faire les derniers préparatifs et essayer de passer vingt-cinq heures dans une autre dimension, une dimension où la lumière est déjà là. Shabbat shalom. – Fin du 56ème jour, 1erdécembre 2023, 17 kislev 5784.