Journal d’un civil (98) La Cour Internationale de Justice II

Vendredi 12 janvier.

Ce matin, préparation du shabbat. On fait les courses, on cuisine, on range, on nettoie. Je profite d’un relatif moment de calme dans la semaine pour aller au magasin de bricolage et acheter quelques menus accessoires dont j’ai besoin pour bricoler.

Je ne connais aucun des mots en hébreu, et je sais à peine comment ça s’appelle en français. Mais j’ai pris des exemples de chaque partie avec moi, pour expliquer : il me faut une vis avec un corps de ce diamètre, mais une tête de cette forme, et ainsi de suite.

Arrive sur place, la boutique est grande ouverte, mais il n’y a personne. Je dis « bonjour », pas de réponse. Je sors, je regarde autour pour voir si le vendeur est là ; personne non plus. Je patiente quelques minutes, un autre client arrive. Je lui dis : il n’y a personne. Il me répond : alors tout est gratuit ? (Blague internationale.)

Deux trois minutes de plus, et le propriétaire revient. Il devait être allé faire une course ou prendre un café un peu plus loin. Cette attitude de confiance, mêlée à l’ambiance de cette quincaillerie à l’ancienne, un petit magasin dont les murs sont couverts de tiroirs qui contiennent des dizaines et des dizaines de modèles de clous, de vis et de tout le bazar qui va avec, me donne l’impression d’être transporté ailleurs. J’imagine le Toulouse de mes grands-parents, et certainement de mes parents, à l’époque où mes ancêtres avaient une mercerie sur la place du Capitole, et où ils devaient procéder de la même manière pendant les moments de creux.

Alors, me demande le vendeur, qu’est-ce que tu veux ?

Je lui explique les différents accessoires dont j’ai besoin, je lui montre des photos, j’explique comme je peux, avec le vocabulaire dont je dispose. Et, miracle, il comprend tout. Il fouille dans ses petits tiroirs, il sort des exemples, je lui dis ça, pas ça, et plus grand, et plus petit, et, à chaque fois, il a ce qu’il faut. Deuxième miracle : le prix final est tout à fait raisonnable. A peine plus de vingt shekels.

Gros progrès par rapport à ma première visite dans un magasin de ce type, il y a quelques années, où j’avais expliqué au vendeur qu’il me fallait un tuyau comme-ci et comme-ça. Un kinor pour aller de là, à là. Le vendeur m’avait regardé d’un air consterné. Un kinor ? Je lui montre une photo, et il dit « ah, un tzinor ». Parce qu’un kinor, un violon, pour raccorder le robinet, ça risquait d’être compliqué.

Je rentre à la maison et j’en profite pour lire les nouvelles fraîches. La principale information concerne une attaque qui a eu lieu dans la nuit : les Américains ont frappé des cibles contre les houtis au Yemen.

Depuis le 19 novembre, les houtis ont attaqué 27 fois les navires circulant dans le golfe d’Aden, selon le American Central Command. Vers 1h30 du matin, les USA ont visé 60 cibles, dans 16 sites différents. Les houtis, ont répliqué dans la foulée, ce qui a été confirmé par les Américains. Le président Biden a déclaré : « Je n’hésiterai pas à autoriser une autre attaque ». Il a également déclaré que l’attaque avait été menée par les Américains, avec la coopération de la Grande Bretagne, et le soutien de l’Australie, du Canada, du Bahrein et des Pays Bas.

Enfin, depuis ce matin, a lieu la seconde phase des discours préliminaires à la Cour Internationale de Justice à La Haye. Ce matin, c’est au tour de l’équipe israélienne de présenter ses remarques.

Le compte-rendu est un peu plus court que celui d’hier, une dizaine de pages de moins. Je m’attendais à l’inverse : en général, il faut plus de temps et d’énergie pour démonter un mensonge que pour le monter. A nouveau je ne vais pas rentrer dans les détails de l’argumentaire. J’ai des notions de droit suffisantes pour arriver à suivre, mais probablement insuffisantes pour en dégager rapidement tous les points essentiels.

Quelques remarques néanmoins :

Le gain que cherchent nos ennemis n’est pas seulement la victoire juridique. La poursuite de la procédure et, éventuellement, sa conclusion favorable au plaignant, serait un bonus supplémentaire. Il s’agit à mon avis de créer l’agitation autour du procès, d’enfoncer Israël autant que possible, et de rallier tous les antisémites autour d’un événement clair. Ca n’a pas loupé : certaines de leur figures les plus notables ont fait spécialement le déplacement afin d’assister aux audiences.

Mais dans la salle, se trouvaient également des parents des personnes encore détenues en otage quelque part au fond d’un tunnel de Gaza. Il faut imaginer ce qu’elles doivent endurer. Voir un proche kidnappé dans les circonstances qu’on sait, être sans nouvelles, et s’entendre dire ensuite que notre armée, qui mène une guerre de défense, est en train de commettre un génocide. Il n’y a qu’en anglais que j’arrive à trouver un mot pour décrire cette situation, et il n’est pas poli.

Cette technique trouve son parallèle dans les réseaux sociaux, lorsqu’un compte effectue un balais à trois temps. 1. Lancer une accusation totalement fantaisiste 2. Bénéficier du buzz 3. Supprimer après quelques jours, en général sans se rétracter. Entre temps le mal est fait, la rumeur est lancée et poursuivra son œuvre délétère dans les esprits d’une partie de ceux qui l’ont lue. « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ». L’adage de Francis Bacon tient toujours.

Mais derrière tout cela, c’est en réalité, à mon avis, un nouveau front qui vient de s’ouvrir, ou en tous cas se renforcer, contre Israël : un front judiciaire.

Gallant a expliqué que pour lui, Israël se bat contre un axe.

Il y a la guerre à Gaza, où l’on se bat contre le hamas. L’objectif fixé est clair : démanteler le hamas et ramener les otages. Mais le jour où ces deux objectifs seront atteints ne sera pas le jour où tous nos problèmes seront résolus.

Il y a un front au nord, contre le hezbollah, et un troisième contre la Syrie, dans le Golan. Il y a un quatrième front contre du terrorisme de basse intensité dans la Judée-Samarie. Il y a un cinquième front au Yemen, contre les houtis, qui envoient des missiles sur le territoire israélien, et essayent d’empêcher l’approvisionnement du pays par le port d’Eilat. Il y a un sixième front qui est celui de l’opinion mondiale, qui se joue tous les jours dans les médias et en particulier sur Twitter, et voilà qu’un septième front s’ouvre, un front judicaire qui va se jouer dans l’une des institutions internationales (on pourrait dire que c’est une variante de ce qu’il se passe au conseil de sécurité ou dans les autres organisations onusiennes : une bataille institutionnelle).

Et derrière la plupart de ces fronts, se trouve un ennemi clairement identifié, qui affiche son objectif : l’Iran. Dont on a appris fin décembre qu’il recommençait à enrichir de l’uranium à un niveau proche de celui nécessaire pour faire des armes. Vraiment, sale temps sur la planète.

Fin du 98ème jour, 12 janvier 2024, 2 shevat 5784.