Journal d’un civil (97) La cour internationale de justice I

Jeudi 11 janvier.

Aujourd’hui commence donc le procès à la Cour Internationale de Justice, sise à La Haye. C’est l’une des six organisations de l’ONU (cinq dans les faits), et sert à régler les différents entre les pays membres. En l’occurrence l’affaire s’appelle officiellement : « Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël). »

L’événement semble avoir été peu retransmis. Dans les médias anglophones, seul Al Jazeera a diffusé l’intégralité en direct.

La première journée est consacrée aux observations préliminaires : le compte-rendu fait 85 pages. Comme souvent dans ce genre d’affaires, il faut remonter le plus loin possible dans les sources pour se faire une idée : le filtre des médias n’est en général pas suffisant.

J’ai quelques notions de droit, mais je ne pense pas qu’elles soient suffisantes pour vraiment être capable de résumer le dossier et d’en extraire rapidement les points principaux.

Aujourd’hui, ce qui me parait ressortir, c’est l’aspect protéiforme de l’accusation portée contre Israël, une accusation qui se joue sur plusieurs étages.

Premier étage : l’accusation en elle-même, devant la cour internationale de justice. Pour l’instant, seule la partie accusatrice a présenté son cas. Elle livre une démonstration juridique simple : la convention pour la prévention de génocide dit a, b, c, les Israéliens y contreviennent sur les points suivants. Le tout est habillé avec une rhétorique assez habituelle, pleine de trémolos et de citations piochées dans tous les coins, souvent sans contexte. On a affaire à une présentation très partiale des faits.

On notera tout de même l’emploi d’un outil rhétorique extrêmement pervers. La technique consiste à prendre la ligne de défense évidente de l’adversaire et à la retourner en disant d’avance que s’il l’utilise c’est la preuve de sa culpabilité ou de sa mauvaise foi.

L’équipe sud-africaine utilise cette technique plusieurs fois, par exemple dans le cas des vidéos, dont on sait que l’équipe israélienne veut montrer les agissements du hamas : « L’Afrique du Sud a choisi, comme vous l’avez entendu, d’éviter la diffusion de vidéos et de photos explicites. Elle a décidé de ne pas faire de cette Cour un théâtre de spectacle. »

La technique est efficace et son emploi répété montre qu’il va falloir prendre les choses au sérieux.

Deuxième étage : l’effet que cela va avoir sur l’opinion publique mondiale. Les gens vont retenir le mot « génocide » et « Israël », ce qui va renforcer le narratif anti-Israélien qui tourne depuis des années, mais qui est à plein régime depuis le 8 octobre. C’est l’effet recherché. Il faut démonter ce narratif pièce par pièce, et j’espère que les candidats à cet exercice ne manqueront pas. Le point important à garder en tête est que le mot « génocide » n’est pas employé exactement de la même façon dans son sens courant et dans son sens légal.

Dans le sens courant, le mot génocide veut dire extermination d’un peuple. Quand une personne lambda entend ce mot, elle pense à la shoah, et comprend que c’est un élargissement du concept, et qu’il signifie des tueries de masse.

Mais ce n’est pas la définition légale, qui est beaucoup plus large. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui est la source de droit utilisé en l’espèce, définit le génocide dans l’article deux, comme :

« Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

Et la démonstration de l’équipe sud-africaine consiste à prendre ces différents points et à les illustrer un par un, en utilisant soit des exemples précis dont le contenu et l’angle sont soigneusement sélectionnés, soit en utilisant une rhétorique vague du style « il est bien connu que, etc. »

On n’en est qu’à la phase préliminaire : c’est dans la phase suivante que le débat va monter en intensité.

Troisième étage : la dimension symbolique de l’événement. Mettre le peuple juif en accusation, ici dans sa dimension nationale, est un vieux trope. Au Moyen Age cela prenait l’aspect des disputations, ces procès dans lequel on sommait les Juifs de justifier leur foi, ou dans lesquels on mettait en accusation le Talmud, qui finissait, plus souvent qu’à son tour, par être brûlé en place publique. La version moderne se pare des atours de la légalité internationale, des traités et des conventions, mais le bruissement qui l’entoure reste le même. Il serait exagéré de dire que le verdict a été décidé d’avance et qu’il s’agit maintenant de le justifier, mais comment aborder ce procès sans avoir l’impression que la balance est déjà trafiquée ?

Quatrième étage : sa signification dans l’ensemble des événements en cours. On pourrait presque dire que nos ennemis ont ouvert un nouveau front : un front judiciaire qui se déroule dans l’arène internationale. Dire qu’on est dans la pantalonnade est une litote, mais c’est manquer la cible. Les institutions internationales, dont le but était de garantir la paix mondiale et d’assurer l’ordre international après la seconde guerre mondiale, montrent leur déliquescence jour après jour. Elles sont remplies de nations qui n’en suivent ni les principes ni les valeurs, mais qui ont autant le droit au chapitre que les autres. Et après les avoir noyautées, elles peuvent désormais les utiliser à leur avantage.

Ces institutions étaient imparfaites, mais elles avaient le mérite d’exister. Maintenant qu’elles s’effritent et qu’un vide va s’installer, quel ordre international va prendre le relais ? Sale temps sur la planète.

Fin du 97ème jour, 11 janvier 2024, roch hodesh shevat 5784.