Journal d’un civil (84) Les concombres

Vendredi 29 décembre.

Les vendredis sont courts pendant l’hiver. A peine levés, on a quelques heures pour préparer shabbat et puis c’est déjà l’heure d’allumer les bougies.

C’est une petite journée dans laquelle on essaye de fourrer autant de choses que possible, encore plus en temps de guerre, lorsqu’on ne sait pas de quoi demain sera fait. (Expression toute faite dont on ne ressent la réalité que dans les moments extrêmes.)

    Je sais à peine de quoi hier était fait. Hier le hezbollah a encore tiré sur le nord du pays. Il y a eu des dégâts à Kryat Shmona, une ville non loin de la frontière libanaise. Un de mes amis a une maison dans un village encore plus près de la frontière. Il y a quelques temps sa maison a eu quelques dégats mineurs, mais celle de son voisin a été beaucoup plus touchée. Il me dit que pratiquement tout le village a été évacué.

    D’autres amis, dans le sud, dans un moshav (un village agricole) situé à quatre kilomètres et demi de Gaza sont dans la même situation. On dit qu’ils sont « déplacés », mais vraiment, le mot serait plutôt réfugié.

    Leur moshav a été miraculeusement épargné. Ils sont partis le lendemain, en voiture, avec quelques affaires. Ils sont allés à Timna, près d’Eilat dans un premier temps, où il y a une sorte de centre de vacances avec des bungalows, dans le désert. Et puis après une semaine, ils sont allés avec d’autres familles dans un kibboutz au sud de Jérusalem, près de Jéricho. Également dans un hôtel qui a des petites cahutes pour les vacanciers. A sept dans une chambre, deux parents et cinq enfants.

    Une autre famille du même moshav est partie aux USA pour voir de la famille depuis quelques jours. Ils cherchaient une location ou une maison pour les accueillir dans un quartier spécifique pour être proche de leur famille. Et tout d’un coup, ce qui paraît d’habitude très simple devient très compliqué. Ce n’est plus un voyage, c’est une expédition.

    Des histoires comme ça, il y en a des dizaines de milliers, puisqu’on estime qu’il y a environ deux cent mille personnes qui ont dû quitter leur appartement ou leur maison, ce qui représente deux pour cent de la population israélienne. Il y a des dizaines de villages à la frontière libanaise dans ce cas : comment penser que la situation pourrait continuer longtemps en l’état ?

    Ce matin le Yediot Aharonot, l’un des principaux titres du pays, a publié un article dans lequel il explique que l’Iran a accéléré le transfert d’armes au Hezbollah. Eux aussi se préparent.

    Pendant ce temps, on finit les derniers dossiers de la semaine. La machine à laver le linge tourne. Le repas est pratiquement prêt. Ce soir on aura un curry de poulet et une grande salade faite avec les produits de la ferme qu’on a reçu hier.

    Le panier était plus petit que d’habitude. Pour la première fois depuis qu’on se fait livrer de cette façon, il n’y a pas de concombres. Une journée sans concombre pour un Israélien, c’est un peu comme une journée sans pain pour un Français. Qu’est-ce qu’on va faire ? Que vont manger les enfants ?

    Ma femme en a trouvé au supermarché ce matin, mais il y avait un mini-psychodrame au rayon des légumes frais. Les concombres n’étaient pas Israéliens ! Une dame demande au vendeur : mais vous n’avez pas de concombres du pays ? Le vendeur dit si, mais en ce moment, ils sont minuscules.

    Il faut préciser que les concombres israéliens n’ont pas la taille des concombres français. Ils font environ la moitié, en longueur comme en largeur. Ceux qu’on mange à Be’er Sheva sont très vraisemblablement produits dans la région, ce qui fait qu’ils sont absolument délicieux. Ils restent frais seulement quelques jours : quand on les mange, on sait qu’ils sont sortis du champ il y a peu.

    Si le vendeur les trouve petits, c’est qu’en réalité ils ont la taille d’un gros cornichon. Pas vraiment ce qu’on cherche pour des salades composées. Alors on se rabat sur le concombre d’importation. Qui sait depuis combien de temps il a été ramassé ? Sera-t-il goûteux ?

    Réponse après shabbat. Shabbat shalom.

    Fin de la 84ème journée, 29 décembre 2023, 17 tevet 5784.