Journal d’un civil (80) L’expédition

Lundi 25 décembre.

Un lundi matin, frais, sans nuages. Pour une fois, à huit heures et demie, fait rare, tout est prêt et on n’a aucun rendez-vous de prévu. Je suis à jour de mon écriture et je n’ai pas de travail particulier étant donné que tout le monde est plus ou moins en vacances pour la fin de l’année. C’est le moment idéal pour une expédition.

La destination du jour ? Une enseigne suédoise aux couleurs bleu et jaune.

LA destination de Be’er Sheva. Les gens adorent y aller pour se promener. C’est grand, les enfants sont bien accueillis et le rez-de-chaussée déborde de petits objets au prix attractifs. Comme dans tous les autres magasins du même type ailleurs dans le monde, mais, lorsqu’il fait 42°C l’été, ça ressemble presque à un parc d’attraction de l’ameublement.

Dans notre cas, aujourd’hui, il s’agit de trouver un meuble pour la cuisine, où installer tout notre appareillage, qui, pour l’instant est dans un vrac certain.

Le magasin se trouve « à l’autre bout » de la ville. Dix minutes de voiture, quinze quand il y a du trafic. Mais comme nous n’avons pas de voiture, nous devons prendre le bus.

D’après l’application idoine, il y a cinq ou six possibilités. Mais la plupart indiquent « trafic suspendu ». Étonnant. J’ai l’impression que ça concerne les bus interurbains. Est-ce que ça veut dire que le trafic routier n’a pas repris de façon normale ? Ou que l’appli n’est pas à jour ?

Google maps et Waze avait limité certaines fonctions dès le 8 octobre pour que les données disponibles ne soient pas utilisées par l’ennemi. On a appris que tout avait été remis en place la semaine dernière. Peut-être que certains systèmes sont encore verrouillés ?

Toujours est-il que nous partons vers 8h40. Le magasin ouvre à dix heures, on devrait être en avance.

Première étape : prendre le bus jusqu’à la gare routière pour attraper un second bus.

On marche une dizaine de minutes jusqu’à l’arrêt, on attend dix autres minutes, et voilà le bus qui arrive. Je lui fais signe, le gars me répond en faisant des gestes étranges, style sémaphore. Je refais un geste qui dit « on veut prendre cette ligne », il recommence ses simagrées.

Il s’arrête à côté de nous, et voilà que tous les voyageurs descendent. Le numéro du bus change, et affiche « 0 – pas en service ». La fameuse ligne 0, l’une des plus fréquentes de la ville.

Je consulte le panneau d’affichage : le prochain bus avec le numéro qui nous intéressait initialement est dans vingt minutes.

Je regarde les options disponibles : une autre ligne qui va à la gare routière passe dans 10mn. Ce sera donc celle-là.

Dix minutes plus tard, on monte dans le bus, on installe la poussette, on fait cinq minutes de trajet, on désinstalle la poussette, on descend. On change de quai, et voilà qu’on voit, à cent mètres de nous, un bus qui part. Celui qu’on devait prendre. Il nous passe sous le nez.

Qu’à cela ne tienne, on prendra le suivant. L’appli dit : dans vingt minutes.

On s’assied sur le banc, on attend, on attend, on attend. Des bus passent. Le numéro n-1, le numéro n+1, tout sauf le n.

Vingt minutes passent. Rien.

Je regarde l’appli : le prochain bus est dans vingt minutes de plus ! Et celui qui devait arriver maintenant, qu’est-ce qui lui est arrivé ? Annulé.

Une dame arrive. Elle demande : vous avez vu le bus machin ? On dit non, on l’attend aussi depuis des plombes.

Elle paraît ennuyée. Elle regarde le plan, elle cherche une alternative, mais elle arrive à la même conclusion que nous : pas le choix. C’est le seul bus qui va là où on veut tous aller.

Vingt minutes plus tard, enfin, surgit de nulle part le fameux bus tant attendu se pointe ! Tout le monde se précipite pour lui faire signe et s’assurer qu’il ne va pas sauter l’arrêt (comme cela arrive souvent).

On s’engouffre dans un bus déjà chargé (étant donné qu’il a ramassé également tous les passagers qui comptaient prendre celui d’il y a vingt minutes), et on installe la poussette tant bien que mal.

Le trajet dure une vingtaine de minutes, et enfin, on voit à l’horizon se dessiner la fameuse enseigne, comme un phare bleu et jaune dans le ciel de Be’er Sheva. On met pied à terre, on marche une dizaine de minutes jusqu’à l’entrée, et voilà, on est enfin arrivés. Je jette un coup d’œil à ma montre : il est 10h28.

Conclusion partielle : près de deux heures pour faire en bus ce qui prend quinze minutes en voiture. Joie des transports en commun.

Conclusion générale : les transports en commun sont partout dysfonctionnels. Ce n’est pas qu’à Paris, ça n’est pas qu’en France, ça n’est pas que sur la côte Est des USA. C’est un bazar sans nom un peu partout. J’ai vécu dix ans à côté de la ligne 13 et j’ai parfois l’impression de revivre certaines scènes.

Je ne connais que deux endroits qui sont capables d’organiser un système d’une telle complexité tout en garantissant les horaires : le Japon et la Suisse. Hommage leur soit rendu.

Retournons à nos étagères. Une fois sur place, on passe le reste de la matinée à farfouiller dans le magasin. On mesure, on prend des références, on teste telle ou telle référence. Très bon point sur la penderie pour l’entrée, mais surprise en découvrant un meuble pour vêtement totalement branlant.

Après une heure et demi dans le labyrinthe du haut, on a trouvé ce dont on a besoin. Le choix se porte sur deux meubles assez simples qui ne semblent pas faits, à la base, pour une cuisine, mais dont les dimensions correspondent parfaitement à notre besoin.

On paye, et, forts du sentiment du devoir accompli, on s’installe dans la petite cafétéria en face des caisses. Pour une somme tout à fait modique, on achète trois hot-dogs et une portion de frites, et on déjeune sur le pouce. Mention spéciale : les hot-dogs sont très bons, et on peut même acheter des cornets de crêpe glacée parvée pour deux shekels pièce.

Le retour est beaucoup plus simple. La caissière nous a donné une astuce : il ne faut pas attendre le bus à l’arrêt derrière le magasin (celui qui est le plus près) parce que des fois le bus ne passe pas là. Il faut traverser le boulevard et aller à l’arrêt du nouveau quartier en construction : là on est sûr de l’avoir. L’arrêt non desservi : c’est la carte qui manquait à ma famille « jour de transport pourri ».

On suit les instructions et effectivement, après dix minutes d’attente, on prend le bus. Et on a la correspondance presque aussitôt ! Retour : seulement 45 mn. Autant dire qu’en temps de transport bersabéen, on a pris l’Express.

Fin du 80ème jour, 25 décembre 2023, 13 tevet 5784.