Journal d’un civil (75) Le zoo, le lion et le girafon

Mercredi 20 novembre

Je suis les nouvelles israéliennes de plusieurs façons. Via la presse traditionnelle dans un premier temps : je fais le tour de plusieurs médias que je connais depuis longtemps et qui donnent des informations en général de qualité. Via les réseaux sociaux dans un deuxième temps : X/Twitter mais pas seulement. Et via les réseaux informels israéliens, type groupes privés WhatsApp et bouche à oreille. J’essaye de recouper et de me faire une idée de ce qu’il se passe. Je ne me considère pas beaucoup mieux informé que la moyenne, mais j’essaye de faire mon travail de citoyen, qui, en ce moment, devient aussi la base de mon travail d’écrivain.

Je prends des notes, je sauvegarde, je créé des fichiers : je me retrouve avec une masse d’informations énorme qui grandit de jour en jour. Parfois, les informations se regroupent. Un thème surgit, qui paraît intéressant.

Ces derniers jours, j’ai l’impression d’être en compagnie de La Fontaine. Partout où je regarde, je trouve des histoires d’animaux qui en disent autant sur les êtres humains qui s’occupent d’eux (ou pas). En voici trois, que je dépose ici comme de petits origamis dans une arche de papier.

La première histoire concerne ce qu’on appelle en anglais un petting zoo (j’ignore le nom français équivalent). Il s’agit d’une petite ménagerie itinérante que son propriétaire emmène dans divers événements pour que les enfants puissent jouer avec les animaux et les caresser (en anglais « to pet »).

Geva, un habitant du sud, était le propriétaire d’un tel petit zoo. Je l’ai croisé deux fois, lors d’une fête organisée par une amie. Il y avait une petite chèvre, des lapins, des poules, un perroquet. Il travaillait avec des enfants de Sderot et des environs de la bande de Gaza, des enfants malades et des enfants qui souffraient de stress post traumatique.

Geva habite Sderot. Son quartier a été touché, et il a dû être évacué, comme pratiquement tous les habitants de la ville. Il est maintenant à Jérusalem. Son petit zoo était au kibboutz Nachal Oz, à quelques kilomètres de là. Le 7 octobre, il a été pris d’assaut par une centaine de terroristes. Il y a eu 22 morts et 11 personnes kidnappées. Les animaux, quant à eux, ont été soit tués, soit emportés. Le petit zoo de Geva n’est plus.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul endroit où les terroristes se sont attaqués aux animaux en plus de s’être attaqués aux êtres humains. On m’a dit qu’au kibboutz Zikim, qui se trouve à la frontière nord de la bande de Gaza, tout le troupeau de vaches a également été abattu.

L’amie qui nous a raconté cette histoire, et qui connaît Geva, a organisé une levée de fond, pour qu’il puisse acheter de nouveaux animaux et relancer son petit zoo. La ménagerie va recommencer, et bientôt on reverra Geva dans les environs.

Un peu plus tard, on a appris une autre histoire animale, cette fois par un réseau informel. J’ai demandé si je pouvais la partager, on m’a répondu qu’elle pouvait être maintenant de notoriété publique.

Celle-ci est étonnante : des soldats ont trouvé, dans une maison cossue de la bande de Gaza… un lion. Pas un lionceau, pas un lion en carton-pâte, un vrai lion. Apparemment il avait été donné par Israël aux Gazaouis dans le but de les aider à établir un zoo pour créer une activité économique intéressante.

Une amie de ma femme, qui est originaire d’Afrique du Sud, a fait remarquer que nourrir un lion coûtait extrêmement cher. Elle lui a demandé : tu as déjà eu un lion comme animal domestique ? Elle a répondu que non, mais qu’elle connaît la question. Selon elle, la façon la moins chère de le nourrir est de lui donner de la viande de cheval, et même la viande de cheval, c’est cher. autrement dit : le lion a été détourné du projet initial, au profit d’un potentat local qui l’entretenait chèrement.

Depuis, le lion a été ramené en Israël, dans un lieu approprié.

La troisième histoire est une histoire locale. Un petit girafon vient de naître au zoo de Be’er Sheva ! (J’apprends au passage comment on dit girafon en hébreu : gour girafa).

Le zoo demande sur Facebook, aux personnes qui suivent l’histoire, des idées de nom. Il faut que celui-ci commence par tet ou taf, les deux lettres hébraïques qui marquent le son [t] (dont le petit nom est plus précisément « consonne occlusive dentale sourde »). Pourquoi ? Parce que sa mère s’appelle Toy, et qu’ils veulent garder un air de famille.

Pour l’instant le girafon n’est pas visible, mais le public pourra bientôt le rencontrer. Le prénom qui revient le plus dans les propositions ? Tikva, espoir.

Le zoo, le lion et le girafon : on dirait presque le titre d’une fable de La Fontaine.

Fin du 75ème jour, 20 décembre 2023, 8 tevet 5784.