Journal d’un civil (73) La machine à laver le linge

Lundi 18 décembre.

Ce matin je vois passer une nouvelle intéressante. Le premier ministre veut changer le nom de l’opération en cours.

Jusque-là elle s’appelait Opération Epées de fer. Pourquoi ? J’ai parfois l’impression que c’est un secret d’état. A chaque fois que j’ai demandé, à quelqu’un dans l’armée, qui s’occupait de trouver ces noms ou comment ils procédaient, on m’a toujours répondu avec des onomatopées et des propos vagues. Les Israéliens adorent faire ça pour faire mystérieux ; en réalité ça veut dire qu’ils n’en savent rien.

En l’occurrence, j’ai une hypothèse assez probable à proposer pour expliquer le nom « épées de fer ». En effet, on a trouvé cet été, dans le désert de Judée, dans une grotte près de Ein Guedi, quatre épées romaines en fer et une tête de javelot, en excellent état. On pense qu’elles datent de l’époque de la révolte de Bar Korba (132-135 de notre ère) et que les armes ont été prises aux Romains par des rebelles juifs. La découverte est importante : il est extrêmement rare de trouver des armes antiques, qui plus est des armes antiques en bon état. Pour comparaison, on ne dispose que d’un seul bouclier romain, et il date (de mémoire) du IIIème siècle de notre ère !

Le premier ministre veut donc changer le nom, car il dit « Epées de fer, c’est le nom d’une opération, pas le nom d’une guerre ». Parmi les propositions, on trouve, en anglais, puisque c’est la langue internationale de l’époque : the Gaza War, the Simhat Torah War ou the Genesis War.

Gaza War on comprend ; Simhat Torah War également : elle a commencé précisément le jour de cette fête, le lendemain des soixante ans du début de la guerre de Kippour. Mais Genesis War ? La guerre de la Genèse ? L’expression parait un peu étrange, parce que le récit de la création, dans la Genèse, se déroule en six jours (dans cette perspective nous sommes dans le septième, le temps de l’Histoire), et qu’une guerre de six jours, il y en a déjà eu une. Mais Genèse renverrait ici, je pense, au livre entier, que l’on a recommencé à lire, précisément, le jour de Simhat Torah, selon le cycle de lecture annuelle de la Torah.

Le Jerusalem Post note qu’un changement de ce type a déjà eu lieu par le passé : en 1982, l’opération Paix en Galilée a été renommée Guerre du Liban. Et en 2006, l’opération Just remission est devenue Change of direction, avant d’être appelée, à sa conclusion, Seconde guerre du Liban.

De son côté, le hamas a également donné un nom spécifique à son opération terroriste : « déluge d’Al Aqsa », en arabe « Tufan al-Aqsa« . D’après ce que j’ai pu lire, le mot tufan signifie « orage, inondation ». Il apparait dans le Coran dans le contexte de l’Arche de Noé (par exemple : surate XXIX, l’Araignée, verset 14), d’où la traduction de « déluge ».

On rapporte qu’un Gazaoui a écrit sur Facebook : « Ceux qui se préparent à un déluge doivent veiller à construire un navire pour leur peuple et ne pas se contenter de construire un sous-marin pour eux-mêmes… »

Toujours est-il qu’on verra dans les jours qui viennent si le nom israélien change. D’autant que d’autres fronts sont actifs. Pour l’instant l’armée intervient principalement dans la bande de Gaza, mais la frontière avec le Liban est sous tension depuis le début.

La ministre des Affaires étrangères française y était d’ailleurs en visite pour essayer de faire respecter l’accord qui avait suivi la fin de la guerre de 2006. La résolution 1701 prévoit en effet que seule l’armée libanaise et la FINUL soient présentes dans le sud du Liban. Il serait temps que la communauté internationale invite le Hezbollah à aller plus loin.

Et il y a également un front un peu plus lointain au Yémen. Les Houtis, qui sont des proxis iraniens, perturbent la navigation dans les alentours du détroit de Bab-el-Mandeb. Or c’est l’accès à la mer Rouge, et donc au canal de Suez. C’est une route d’approvisionnement essentielle : il suffit de se souvenir de l’incident qui avait eu lieu en mars 2021, lorsqu’un navire avait bloqué le canal de Suez pendant six jours. Une étude menée par le groupe d’assurances Allianz avait alors chiffré l’impact sur le commerce mondial à une perte de 6 à 10 milliards de dollars par semaine.

Les Américains commencent à voir rouge et ont lancé un projet d’alliance maritime pour aller leur expliquer qu’on ne plaisante pas avec les navires américains. (Alors que je rédige ce texte, mardi matin, on a confirmation que l’alliance est en place et qu’elle va intervenir. Certains pays semblent vouloir rester discret sur leur participation).

Moralité : la guerre risque de s’étendre à tout moment, et le nom de Gaza War pourrait soudain paraître bien petit.

Laissant de côté ces problèmes d’onomastique pour des problèmes bien plus dérisoires, ce matin nous allons au centre commercial. La mission du jour est double : acheter de la lessive et un étendoir à linge. Nouvel appartement, nouvel équipement, nous avons acheté une nouvelle machine à laver le linge.

La précédente nous a causé des problèmes dès le jour de la livraison. C’était il y a trois ans, en plein Covid. Il y avait un seul magasin d’ouvert à côté de chez nous, et nous avons acheté ce que nous avons trouvé. Le lendemain soir le gars est venu nous livrer. Il a installé la machine tchik-tchak et merci au revoir.

Seulement cette fois-là a été un bon exemple d’un moment où il aurait mieux valu que cela ne fût pas tchik-tckak. Juste tchik aurait été suffisant.

A la première utilisation, un problème s’est aussitôt révélé : le tuyau d’évacuation de l’eau usagée était percé.

Joie.

On est retourné au magasin, on a expliqué le problème, le gars a fait traîner en longueur, des fêtes sont passées par là, et on n’a jamais eu personne pour venir s’occuper de changer le tuyau. En attendant, j’ai continué à faire des lessives en mettant le tuyau d’évacuation dans l’évier qui était à côté.

Un jour, un réparateur est venu pour un autre problème. Je lui ai montré la machine et je lui ai demandé s’il pouvait faire quelque chose. Il a coupé le tuyau, il l’a branché dans l’évacuation, il a mis du scotch, et merci au revoir. Pas joli à voir, mais ça a marché deux ans de plus comme ça.

Quand est arrivée l’heure du déménagement, ma femme a proposé qu’on laisse la machine au propriétaire et qu’on en achète une nouvelle. J’ai dit non, pas de problème, on la mettra dans le nouvel appartement.

Grosse erreur.

Messieurs, rappelez-vous toujours du verset où l’Eternel à s’adresse à Abraham et lui dit « tu écouteras la voix de Sarah » (Genèse XXI, 12). Autrement dit : écoute ta femme, elle sait mieux que toi.

La machine a été emportée dans le nouvel appartement. Et les problèmes ont continué.

Tout d’abord, le pas de la porte qui mène à la buanderie était trop petit : la machine ne passait pas ! Je me suis dit : pas de problème, je vais démonter la porte, on va gagner deux centimètres et ça sera bon.

Je démonte la porte, gling gling, j’essaye de faire passer : non, ça bloque toujours. Le bouton de sélection des programmes est une énorme protubérance qui empêche le passage. Je tiraille sur le bouton, je brandouille le pas de vis, et ça finit par lâcher.

Je me dis : à tous les coups j’ai pété le bouton. Je vérifie : non, c’est juste déclipsé, tout a l’air en ordre.

Je pousse la machine, je tire, je peine et je finis par arriver à la faire passer et à l’installer au bon endroit. J’essaye de remonter la porte, et voilà que la barre de métal dans laquelle sont censées tenir les vis, tombe soudainement.

Ploc.

Sans elle, impossible de remonter la porte.

Pas de problème, me dis-je, je vais la récupérer et la réinstaller. J’examine la machine sous toutes les coutures, je cherche la trappe qu’il faut démonter pour accéder à l’endroit en question ; pas de trappe.

La machine est construite de telle manière que tout passe par le dessous ou par l’arrière. Ce qui veut dire que pour accéder à la partie frontale, où se trouve la foutue plaque, il faut démonter toute la machine , enlever le moteur, le tambour et tout le bastringue.

Je prends plusieurs avis, je regarde les possibilités, mais on arrive tous à la même conclusion. Il est temps de dire adieu à la machine et d’en acheter une autre.

La machine est morte, vive la machine.

Cette fois on va essayer de prendre quelque chose de bien. On décide de prendre une marque connue, et d’acheter auprès d’un vendeur qu’on a déjà utilisé. On commande la machine en ligne : elle sera livrée d’ici 5 à 12 jours.

Une semaine plus tard, les livreurs viennent. Ils montent la machine jusqu’au deuxième étage, et, en prime, ils embarquent l’ancienne. Que demander de plus ?

Le soir venu, j’ouvre le carton, je branche les tuyaux, et, avec l’aide d’un copain dont une partie du travail consiste à s’occuper de machines à laver, je vérifie que tout est en ordre.

Et nous voici donc aujourd’hui, à aller chercher les derniers accessoires dont nous avons besoin, à savoir : de la lessive et un étendoir.

L’après-midi, le cœur battant, nous lançons notre première machine. Comme on me l’a recommandé, elle va tourner à vide avec juste un peu de lessive pour enlever les odeurs.

La machine commence à tourner, on va manger.

Au bout de dix minutes, ma femme va chercher quelque chose dans la buanderie. Je dis, pour rigoler : elle ne fuit pas au moins ? Elle rit. Mais elle regarde par acquis de conscience.

Et j’entends un juron.

– Si !

– Si quoi ?

– Ça fuit ! Il y a de l’eau par terre !

– …

Fatigue.

Pas de déjeuner pour moi : à la place, je fais garde-malade pour machine à laver le linge. Et qu’est-ce que je découvre ? Que le tuyau d’évacuation est percé ! Le foutu tuyau d’évacuation, cette espèce de plastique en accordéon qui semble tellement fragile qu’il se déchire si on le regarde de trop près ! Le même que sur l’ancienne machine !

Grosse fatigue.

Fin du 73ème jour, 18 décembre 2023, 6 tevet 5784.