Journal d’un civil (34) Le calme

Ce matin, je continue le déménagement et j’amène quatre cartons de livres dans le nouvel appartement. Je m’installe dans mon nouveau coin lecture et je profite un peu du calme. J’entends seulement les voitures qui passent de temps en temps dans la rue de derrière et, dans le lointain, un chien qui aboie sans trop y croire.

Cela fait plusieurs jours qu’il n’y a pas eu d’alerte. Je commence à m’y habituer. Je sens la manière dont, peu à peu, je reprends un comportement normal. Je ne me pose plus de questions à chaque fois que je sors (quel chemin prendre ? Où sont les abris ?). Je ne consulte plus les nouvelles aussi frénétiquement qu’il y a une semaine. Et je me permets même de lire un peu, juste pour le plaisir.

L’école a repris. Le calme revient également dans la maison quelques heures par jours. Mon fils peut enfin jouer avec ses copains et, lorsqu’il rentre le midi, il est plus détendu. Hier, il s’est même assis sur le canapé pendant une grosse demi-heure avec une pile de livres. Depuis combien de temps est ce que ça n’était pas arrivé ?

L’immeuble aussi est calme. Ces derniers temps on entendait beaucoup les voisins. Entre les travaux, les enfants qui hurlent et les gens qui s’engueulent, la situation a parfois tendance à porter sur les nerfs. Et, chez les Israéliens, ce qui porte sur les nerfs se porte immédiatement sur les cordes vocales, qui ont besoin de vibrer autant que possible pour libérer les tensions. Depuis quelques jours, rien. Le seul bruit, c’est celui du balai du concierge qu’il passe de temps en temps dans le hall.

La rue aussi est calme. Au début de la guerre, il y avait beaucoup d’ambulances, des sirènes de police, et des avions de chasse qui passaient la nuit. Les avions continuent mais la rue est redevenue plus tranquille. Et quand je prends la voiture, même les autres conducteurs, d’habitude si pressés et si nerveux, paraissent conduire doucement et tranquillement.

Le bus enfin est calme. D’habitude, le bus du matin connaît un certain brouhaha, un bruit de basse tension qui parcourt les passagers qui vont bientôt commencer leur journée de travail. Mais depuis que je reprends le bus, pour aller à l’école avec mon fils, le bus est tranquille. Pour peu, le trajet en serait presque un moment méditatif.

Donc le calme.

Mais quel calme ?

Car il y a plusieurs types de calme : le calme d’avant, le calme pendant et le calme d’après.

Le calme d’avant, c’est le calme qui précède la tempête. Une impression qu’un événement se prépare, vague, diffus et qui rend un peu nerveux. L’atmosphère n’est pas normale, le bruit du monde se tait ; dans le lointain quelque chose bruit.

Le calme d’après, c’est celui qui s’installe quand l’événement bruyant, l’événement perturbateur, est terminé. La paix revient. Tout se détend. Tout se relâche. Tout redevient normal.

Le calme pendant, c’est un faux calme d’après : c’est l’œil du cyclone. C’est un répit temporaire, qui précède souvent une reprise en pire.

Donc le calme à Be’er Sheva. Mais quel calme ?

Sommes-nous dans les prémices du calme d’après ? Le nord de Gaza a été coupé, encerclé, et nos troupes y entrent peu à peu. L’absence de missiles sur notre zone est-elle due à l’affaiblissement des capacités opérationnelles de l’ennemi, qui préfère alors garder ce qui lui reste pour des cibles plus symboliques ? (En l’occurrence le centre, qui lui non plus n’a pas été touché depuis deux jours ; précisément le 7 novembre à 21h30).

Ou bien sommes-nous dans le calme du pendant ? Celui qui est le prélude à un nouveau déchaînement de ces nuages sombres qui s’accumulent sur le Moyen Orient ?

Car les nuages ne manquent pas. Outre les portes avions américains qui sont dans la région, on voit que les Iraniens et les Russes font avancer leurs pions. Au hasard, une des dernières nouvelles à ce sujet : « An Iranian Ilyushin 76 cargo plane belonging to the Pouya company, affiliated with the Iranian Revolutionary Guards, landed this morning at the Hamim airfield in Syria. This airfield is under full Russian control after it was expropriated about a decade ago from the hands of the Syrian army. The Iranians are shielded by the Russians because they know that Israel will not attack in this field. »

Et le hamas, qui se trouve également en Cisjordanie (la région qu’on appelle en hébreu Judée Samarie), commence aussi à s’activer dans cette région : « Saleh al-Aruri, number 2 in Hamas and in charge of the West Bank in the movement, yesterday delivered a venomous and targeted speech whose main goal was to arouse the Palestinians in the West Bank to military activity against Israel. He turned to the armed men in the West Bank and to the Fatah members and the operatives of the of the Palestinian Authority security apparatus with emotionally charged words so that they rise up and take action. He urged them not to abandon Gaza and to help it because the West Bank has the power to change the face of the campaign. Al-Aruri thanked the Houthis in Yemen, the Shiite militias in Iraq, Hezbollah in Lebanon and everyone who takes part in the campaign. He did not forget to also thank the demonstrators around the world and the USA and calls on everyone to continue and intensify their actions. »

Les milices shiites irakiennes ont essayé de se rapprocher de la frontière libanaise, et les Houtis, au Yemen, envoient également des missiles sur le sud d’Israël.

Autrement dit : il y a de plus en plus d’acteurs impliqués, avec de plus en plus d’armement, et des intérêts tout à fait divergents.

Mais pour l’instant, le calme. Relatif. – Fin de la 34ème journée, 9 novembre 2023, 25 heshvan 5784.