Journal d’un civil (171) Les terrains de jeu

Lundi 25 mars.

Aujourd’hui est le deuxième jour de Pourim. Il n’est pas fêté partout, uniquement dans les villes qui avaient une muraille à l’époque antique. A Be’er Sheva, il y a un doute. On a fêté Pourim hier, mais il y a quand même une controverse (of course). Certains disent qu’on devrait fêter le 15 du mois d’Adar, comme à Jérusalem, étant donné que Be’er Sheva faisaient partie de ces villes fortifiées. Il n’y a qu’une seule synagogue qui fasse la lecture de la Méguillah ce jour-là : je n’ai toujours pas réussi à trouver laquelle. Peut-être l’année prochaine ?

En tous cas, c’est un jour où les écoles sont fermées, et où, par conséquent, les parents qui n’ont pas de grands-parents sous la main ne peuvent pas tout à fait travailler normalement. Alors il faut s’occuper des enfants, et, dans notre cas, on a prévu une grande sortie ce matin.

Nous sommes allés dans un parc qui se situe à une demi-heure environ de chez nous, un parc que je ne connaissais pas encore mais que ma femme a déjà exploré.

Le terrain de jeu est assez grand et il est plein d’aventures pour les enfants. Il y a un câble avec une tyrolienne tout à fait sympathique, des endroits avec des cordes pour grimper, un énorme tourniquet et des tobogans à flanc de colline qui ravissent les grands et les petits.

Je m’assieds sur un banc pendant que les enfants partent explorer, et voilà qu’en face de moi, je vois un gars à la dégaine un peu étrange qui tourne autour d’une balançoire. Il se trimballe avec, dans une main, ce qui ressemble à une boule de bowling accrochée à une sorte d’aimant, et, dans l’autre main, un boîtier qui semble particulièrement le préoccuper. De loin, on dirait presque un compteur geiger. Costume de pourim ou travailleur municipal ? Je le vois faire des relevés, et lancer sa boule de bowling sur le sol. Il sort un mètre, il mesure, il tire sur la balançoire : c’est le gars qui s’occupe de l’entretien du parc et qui vérifie qu’il est aux normes de sécurité.

Il passe de jeu en jeu. Arrivé à la structure en cordes, il grimpe, s’assure qu’il n’y a personne, et lance sa boule de bowling d’une hauteur de deux mètres environ. Elle rebondit sur le sol. Cette fois-ci, il semble tester l’élasticité du revêtement, censé amortir les chutes potentielles. Et, lorsqu’il doit redescendre, il en profite pour glisser comme un gosse. Arrivé en bas, il a l’air ravi. Ravi des chiffres et ravi de faire ce boulot.

Derrière moi, il y a une sorte de tronc d’arbre suspendu par des câbles. Mon fils est dessus depuis quelques minutes et il s’agit de se balancer, en groupe et en cadence, d’avant en arrière. Les enfants crient « un, deux, trois, ensemble » et se projettent dans un sens et dans l’autre de toutes leurs forces pour faire bouger l’engin. La particularité ? Ils crient tous en russe. C’est une des mamans, assise sur le banc d’à côté, qui traduit à son mari, qui lui, ne parle qu’hébreu.

Un peu plus loin, ma femme discute avec une autre maman, qui a fait tourner le tourniquet un peu trop vite et qui a éjecté un de ses enfants qui ne se tenait pas suffisamment bien. (L’enfant en question a rit aux éclats et est remonté aussitôt sur le tourniquet) Elles parlent un peu en hébreu, et puis la dame lui dit, en anglais : « tu parles vachement mieux que moi (elle est russe), alors que ça fait huit ans que je suis là ».

Les aires de jeu sont des endroits formidables pour découvrir les différences culturelles. Ma femme me fait toujours remarquer à quel point on peut comprendre des choses importantes sur un pays en les observant. Comment ils sont agencés, comment ils sont traités, comment ils entretenus (ou pas) et comment les enfants jouent.

En regardant les terrains de jeu israélien, une chose saute aux yeux : ici, on aime les enfants. On leur fait des terrains de jeu magnifiques, on les entretient, on les soigne. Mais une autre chose saute également aux yeux : ici, on s’occupe de sécurité, mais il faut que chacun fasse sa part. Les parents et les enfants aussi.

En parlant de sécurité, le conseil qui n’en a que le nom, à l’ONU, vient de passer une résolution appelant à un cessez-le-feu à Gaza. Les USA n’ont pas voté contre : ils se sont abstenus.

On s’y attendait plus ou moins, mais il y a quand même un certain choc à voir ce pays, dont on est censé être un allié majeur dans la région, nous lâcher comme ça.

Les commentateurs de tous poils commentent chaque mot de la résolution tout autant que l’absence de certains autres.

Le texte entier est le suivant (tel que donné par ToI aujourd’hui ; le site du conseil de sécurité afiche une erreur) :

« The Security Council,
Guided by the purposes and principles of the Charter of the United Nations,
Recalling all of its relevant resolutions on the situation in the Middle East, including the Palestinian question,
Reiterating its demand that all parties comply with their obligations under international law, including international humanitarian law and international human rights law, and in this regard deploring all attacks against civilians and civilian objects, as well as all violence and hostilities against civilians, and all acts of terrorism, and recalling that the taking of hostages is prohibited under international law;
Expressing deep concern about the catastrophic humanitarian situation in the Gaza Strip,
Acknowledging the ongoing diplomatic efforts by Egypt, Qatar and the United States, aimed at reaching a cessation of hostilities, releasing the hostages and increasing the provision and distribution of humanitarian aid,

1. Demands an immediate ceasefire for the month of Ramadan respected by all parties leading to a lasting sustainable ceasefire, and also demands the immediate and unconditional release of all hostages, as well as ensuring humanitarian access to address their medical and other humanitarian needs, and further demands that the parties comply with their obligations under international law in relation to all persons they detain;

2. Emphasizes the urgent need to expand the flow of humanitarian assistance to and reinforce the protection of civilians in the entire Gaza Strip and reiterates its demand for the lifting of all barriers to the provision of humanitarian assistance at scale, in line with international humanitarian law as well as resolutions 2712 (2023) and 2720 (2023);

3. Decides to remain actively seized of the matter. »

Dans la foulée, le premier ministre a annulé la visite de la délégation israélienne censée aller à Wahsington cette semaine pour discuter des plans concernant Rafah. [note : Gallant est néanmoins sur place.]

Le sens de ces événements n’est pas encore tout à fait clair. Certaines interprétations sont tout à fait contradictoires.

Je relève néanmoins quatre idées :

Caroline Glick : « M. Biden a officialisé le vote au Conseil de sécurité des Nations unies aujourd’hui. L’administration a jeté Israël et l’alliance américano-israélienne sous le boisseau. La position américaine est que le Hamas doit gagner sa guerre contre Israël. C’est ce qui s’est passé aujourd’hui à l’ONU. »

Zineb Riboua : « L’administration Biden est en train de faire un sale coup ouvertement à Israël avec ces abstentions. Ne blâmez pas les autres alliés et partenaires dans la région s’ils commencent à envisager des partenariats avec la Russie, la Chine ou l’Iran. »

Khaled Hassan : « Ainsi, la délégation israélienne ne se rendra pas aux Etats-Unis et Tsahal ira à Rafah. S’ils veulent se battre avec nous [note: les Juifs], qu’ils le fassent. »

AAE : « Le Hamas est certainement satisfait. Si les Etats-Unis pensent que cela poussera le Hamas à être flexible pour parvenir à un accord, ils se trompent. La décision de l’ONU conduira à un durcissement des positions du Hamas. Le Hamas a le sentiment que les États-Unis sont également à ses côtés pour faire pression sur Israël. Il n’a aucune raison d’être flexible dans les négociations. »

Il ajoute : « Le problème de la démarche américaine à l’ONU est la façon dont elle est perçue par les acteurs de l’ONU. Elle est interprétée comme l’abandon d’Israël par son puissant soutien, les Etats-Unis. Vous souvenez-vous de ce qui a empêché le Hezbollah de se joindre puissamment aux combats au début de la guerre ? C’était la détermination américaine et sa position résolue aux côtés d’Israël. Aujourd’hui, la situation a changé. »

Fin du 171ème jour, 25 mars 2024, 15 adar II 5784.