Journal d’un civil (169) Shabbat Zakhor

Samedi 23 mars

Le shabbat qui précède Pourim est un shabbat particulier. On lit à ce moment-là deux textes en sus du texte habituel de la Torah, qui traitent d’un problème spécifique : la rencontre avec Amalek.

Amalek est un peuple qui est mentionné dans le livre de l’Exode. Les enfants d’Israël sortent d’Egypte, échappent au Pharaon et à ses soldats, traversent la mer des joncs, et commencent alors leur pérégrination dans le désert. Ils sont attaqués par les Amalécites, un peuple qui n’habite pourtant pas dans la région, et qui est venu spécialement pour essayer de les éradiquer.

Voilà ce que raconte alors la Torah :

« Amalek vint et combattit contre Israël à Rephidime.
Mosché dit à Iehoschouâ: choisis-nous des hommes, et sors, combats contre Amalek; demain je me tiendrai sur le sommet du coteau, le bâton de Dieu en ma main.
Iehoschouâ fit comme lui avait dit Mosché, pour combattre contre Amalek; Mosché, Aharone et ’Hour montèrent au sommet du coteau.
Il advint que lorsque Mosché élevait la main, Israël était le plus fort, et quand il la laissait tomber, Amalek était le plus fort.
Les mains de Mosché étant devenues lourdes, ils prirent une pierre et la mirent sous lui, et il s’assit dessus. Aharone et ’Hour soutenaient ses mains, l’un de ça et l’autre de là; ainsi ses mains furent fermes jusqu’au coucher du soleil.
Iehouschouâ défit Amalek, et (passa) son peuple au fil de l’épée.
L’Éternel dit à Mosché: écris ceci pour mémoire dans le livre, et mets-le aux oreilles de Iehouschouâ: car j’effacerai entièrement Amalek de dessous le ciel.
Mosché construit un autel, et le nomma: L’Éternel, mon étendard.
il dit aussi: la main est levée sur le trône de l’Éternel; l’Éternel aura guerre contre Amalek de génération à génération. » (Traduction Samuel Cahen, Exode 17, 8-16).

Si l’image de Moise qui laisse tombe la main vous parait familière, c’est parce que l’expression française « baisser les bras » vient de là. Lorsque Moïse baissait les bras, Amalek prenait le dessus. Or baisser les bras, dans la perspective biblique, n’était que temporaire. Amalek serait défait.

La fin du Deutéronome mentionne à nouveau Amalek. C’est le premier passage lu le shabbat avant Pourim. « Zakhor ! Souviens-toi ! »

« Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek, en chemin, lors de votre sortie d’Égypte.
Comme il t’a rencontré en chemin et est tombé sur la queue de tous les faibles derrière toi, pendant que tu étais las et harassé; ne craignant pas Dieu.
Quand l’Éternel ton Dieu t’aura donné du repos de tous tes ennemis, à l’entour, dans le pays que l’Éternel ton Dieu te donne en héritage pour le posséder, tu effaceras le souvenir d’Amalek de dessous le ciel; ne l’oublie point. » (Traduction Cahen, Deut. 25, 17-19)

Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek, parce que, au cours de l’histoire, tu rencontreras à nouveau Amalek. Et qu’il faudra être vigilant pour que la catastrophe ne se reproduise pas.
Et effectivement, la Bible hébraïque comporte d’autres épisodes où les Amalécites reviennent pour essayer, à nouveau, de détruire Israël.

Le second texte de ce shabbat zakhor, la haftarah, est consacrée à un épisode du livre de Samuel, dans lequel le premier roi d’Israël, Saul, a la possibilité d’en finir avec les Amalécites. Mais, pris d’une pitié mal placée, il épargne le roi temporairement, et celui-ci a le temps d’avoir une descendance avant d’être exécuté.

« [Schemouel dit à Schaoul: l’Eternel m’a envoyé pour t’oindre roi de son peuple d’Israel, et maintenant écoute les paroles de l’Eternel].
Ainsi parle l’Eternel Tsebaoth: Je me rappelle ce qu’Amalek a fait à Israël; ce qu’il lui a opposé sur le chemin quand il montait d’Égypte.
Maintenant, va, et frappe Amalek; mettez en interdit tout ce qui est à lui; ne l’épargnez point; fais mourir les hommes, les femmes, l’enfant, le nourrisson, le bœuf, l’agneau, le chameau et jusqu’à l’âne.
Schaoul en instruisit le peuple, qui dénombra à Télaïme; (il y en eut) deux cent mille fantassins, et dix mille hommes de Iehouda (Juda).
Schaoul vint jusqu’à la ville d’Amalek, et mit des embuscades dans la vallée.
Schaoul dit aux Kéniens: Allez, retirez-vous, descendez de parmi les Amalékites, pour que je ne vous enveloppe pas avec eux; toi tu usas de bonté envers tous les enfants d’Israel quand ils montèrent de l’Égypte. Alors les Kéniens se retirèrent du milieu d’Amalex.
Schaoul battit Amalek depuis ‘Havilah jusque vers Schour qui est devant l’Égypte.
Il prit vif Agag, roi d’Amalek; mais il détruisit tout le peuple au fil de l’épée.
Schaoul et le peuple épargnèrent Agag, et le meilleur du menu bétail, du gros bétail, ceux de seconde portée, ainsi que les agneaux, et tout ce qui était bon; mais ils détruisirent tout ce qui était méprisable et chétif.
La parole de l’Eternel fut (adressée) à Schemouel, disant:
Je me repens d’avoir établi Schaoul pour roi, car il s’est détourné de moi, et n’a point exécuté mes paroles. Schemouel en fut irrité, et cria à l’Eternel toute la nuit.
Schemouel se leva de bon matin pour aller au-devant de Schaoul. On annonça à Schemouel, en disant: Schaoul est venu à Carmel, et il s’y est fait dresser un monument; il s’en est retourné, et, passant plus loin, il est descendu à Guilgal.
Schemouel étant venu vers Schaoul, celui-ci lui dit: Sois béni de l’Eternel ; j’ai exécuté la parole de l’Eternel.
Schemouel dit: Quel est donc ce bêlement de brebis à mes oreilles, et le mugissement des bœufs que j’entends?
Schaoul dit: Ils les ont amenés d’Amalek, parce que le peuple a épargné les meilleures brebis et (les meilleurs) bœufs, pour les sacrifier à l’Eternel ton Dieu, et le reste nous l’avons détruit.
Schemouel dit à Schaoul: Arrête, et je te déclarerai ce que l’Eternel m’a dit cette nuit. L’autre lui dit: Parle.
Schemouel dit: N’est-ce pas, quand tu étais petit à tes yeux, tu es devenu chef des tribus d’Israël, et l’Eternel t’a oint pour roi sur Israël.
l’Eternel t’a envoyé en cette expédition, et (t’a) dit: Va, détruis les pécheurs, les Amalékites, et combats-les jusqu’à ce que tu les aies anéantis.
Mais pourquoi n’as-tu pas obéi à la voix de l’Eternel? Tu t’es jeté sur le butin, tu as mal fait aux yeux de l’Eternel.
Schaoul dit à Schemouel: (C’est) que j’ai obéi à la voix de l’Eternel, j’ai fait l’expédition où l’Eternel m’a envoyé, j’ai amené Agag, roi des Amakélites, et les Amakélites, je (les) ai détruits.
Le peuple a pris du butin, des brebis, du gros bétail, prémices de l’interdit, pour sacrifier à l’Eternel ton Dieu, à Guigal.
Schemouel dit: l’Eternel prend-il plaisir aux holocaustes et aux sacrifices aussi bien qu’à l’obéissance à la voix de l’Eternel? Certes, obéir vaut mieux que des sacrifices, et être attentif est préférable à la graisse des moutons.
Car la rébellion est comme le péché de la divination, et l’opiniâtreté est comme l’idolâtrie, et le culte des thérâphime! Puisque tu as rejeté la parole de l’Eternel, l’Eternel te rejette (pour que tu ne sois plus) roi.
Schaoul dit à Schemouel: J’ai péché parce que j’ai transgressé la parole de l’Eternel et la tienne; parce que j’avais peur du peuple, et que j’ai écouté sa voix.
Et maintenant pardonne donc mon péché, retourne avec moi, et je me prosternerai devant l’Eternel.
Schemouel dit à Schaoul: Je ne retournerai point avec toi, car tu as rejeté la parole de l’Eternel, et l’Eternel t’a rejeté d’être roi sur Israël.
Et comme Schemouel se tournait pour s’en aller, il le prit par le pan de son manteau, qui se déchira.
Schemouel lui dit: l’Eternel a déchiré aujourd’hui de dessus toi le royaume d’Israël, et l’a donné à ton prochain qui est meilleur que toi.
Le fort d’Israël ne ment point, et ne se repent point, car il n’est pas un homme pour se repentir.
Il (Schaoul) dit: J’ai péché, maintenant honore-moi, je te prie, en la présence des anciens de mon pays et d’Israël, retourne avec moi, et je me prosternerai devant l’Eternel ton Dieu.
Schemouel s’en retourna à la suite de Schaoul, et Schaoul se prosterna devant l’Eternel.
Schemouel dit: Amenez-moi Agag, roi d’Amalek, et Agag s’avança vers lui avec aisance. Agag dit: Certainement l’amertume de la mort est passée.
Schemouel dit: Comme ton glaive a privé de maris les femmes, ainsi sera privée de toi ta mère, parmi les femmes; et Schemouel mit Agag en pièces, devant l’Eternel, à Guilgal.
Schemouel alla à Rama, et Schaoul remonta à sa maison, à Guibath-Scahoul. »

L’histoire de la haine des Amalécites contre Israël continue : c’est l’un des thèmes de Pourim, et c’est pour cette raison que cette histoire est rappelée le shabbat qui le précède.
Le principal ennemi d’Israël, dans le rouleau d’Esther, est le ministre de l’empire Perse. Son nom : Haman le Agagite, autrement dit : Haman, descendant d’Agag, et donc l’Amalécite.
Amalek est devenu, dans la conscience hébraïque, l’archétype de l’antagoniste par excellence, celui qui vient pour détruire Israël. Les textes sont très précis, ils méditent longuement sur l’identité d’Amalek, sur ce qui les poussent à agir ainsi, sur la raison profonde de cette haine. Mais ce qui est sûr, c’est que ce type d’ennemi se lève régulièrement pour se confronter à Israël.

Mais comme le rappelle Mark Twain, dans un petit texte désormais fameux :

« Il [le Juif] a mené une lutte merveilleuse dans ce monde, à toutes les époques, et il l’a fait avec les mains liées derrière lui. Il pouvait se vanter et être excusé pour cela. L’Égyptien, le Babylonien et le Perse se sont élevés, ont rempli la planète de bruit et de splendeur, puis se sont évanouis dans les rêves et ont disparu ; le Grec et le Romain ont suivi, ont fait un grand bruit, et ils ont disparu ; d’autres peuples ont surgi et ont tenu leur flambeau bien haut pendant un certain temps, mais il s’est éteint, et ils sont assis dans le crépuscule maintenant, ou ils se sont évanouis. Le Juif les a tous vus, les a tous battus, et il est aujourd’hui ce qu’il a toujours été, ne présentant aucune décadence, aucune infirmité de l’âge, aucun affaiblissement de ses parties, aucun ralentissement de ses énergies, aucun émoussement de son esprit alerte et agressif. Tout est mortel, sauf le Juif ; toutes les autres forces passent, mais lui demeure. Quel est le secret de son immortalité ? » (dans Concerning the Jews, 1899, extrait d’un article paru dans Harper’s Monthly).

Fin du shabbat zakhor, 169 jour, 23 mars 2024, 13 adar II 5784.