Le gauchiste, comme son comparse antinomique le droitard, est une construction intellectuelle. Il n’a jamais existé, dans l’histoire de France, à l’état chimiquement pur. Ses avatars, en revanche, sont légions.
Arrêtons-nous un instant pour essayer de dresser son portrait.
Le gauchiste est avant tout un croyant. Premier de ses nombreux paradoxes apparents, car le gauchiste est foncièrement athée et anti-religieux. Mais c’est qu’en réalité son ire est très ciblée : il ne s’agit de faire la critique que des religions abrahamiques, et plus spécifiquement du Christianisme. Au fond de lui, le gauchiste n’accorde aux autres qu’un vague statut de folklore à substrat superstitieux (quand il est au courant de leur existence). Sa religion à lui est simple : c’est celle de l’homme. L’être humain placé au centre, et au-dessus, de tout. L’être humain comme un dieu qui, fort de sa puissance, va pouvoir tout remodeler, tout plier à sa volonté, tout, y compris la nature, tout, y compris sa propre nature. D’où sa haine des religions à substrat biblique qui, bien que faisant l’éloge de l’humanité, amènent un Dieu supérieur pour venir tempérer ses ardeurs, souvent destructives.
Le gauchiste est croyant, mais il se voit également prophète. Il sait, lui. Il détient la vérité, ce qui lui permet de distinguer le bien du mal et le juste du vrai. Toute personne qui ne pense pas comme lui se trouve donc automatiquement du côté du faux et par là, du côté du mal.
Et pour compléter sa panoplie, le gauchiste est enfin messianique. Il veut les temps messianiques, il veut la paix et le bonheur universels, il veut le bien des hommes fût-ce contre eux même.
Partant de là, le gauchiste est évidemment évangélisateur. Comme il détient la vérité, toute personne qui ne se comporte pas comme il faut est déviante. Et si elle est déviante, c’est parce qu’on n’a pas partagé la vérité avec elle. La pauvre. Il s’agit donc de lui expliquer. De l’éduquer. Voir, si elle est un peu lente à la comprenette, à la rééduquer.
Car le gauchiste est pragmatique : il veut le bien de l’humanité, quitte à faire quelques sacrifices au passage. Le dieu qu’il sert est un dieu qui aime le sang. Le gauchiste, lorsqu’il prend le pouvoir, laisse dans son sillage des rivières carmin.
D’un point de vue psychologique, le gauchiste est plein de mépris. Contre tous ceux qui ne pensent pas comme lui en premier lieu, c’est-à-dire contre ceux qui ne sont pas dans le camp du bien, et qui veulent retarder l’arrivée du lendemain universel. Mais également contre ceux qui pensent presque comme lui. Le gauchisme est une idéologie de la pureté. Toute scorie est une déviance, toute déviance est inutile.
Avec une vision pareille du monde, le gauchiste est bien évidemment sérieux. Il ne rit pas. Il déteste la gauloiserie : il la trouve méprisable. Le gauchiste ne rit jamais : il ricane. Le seul objet de ses saillies et de ses sourires crispés concerne ceux qui sont en dehors de son camp. Ils n’ont pas trouvé la vérité, et ils persistent dans l’erreur ? Pointons-les du doigt et moquons-nous. Cela remplira deux fonctions : celles poussera peut être le déviant à rentrer dans le rang, et si ils résistent, la foule saura à qui s’attaquer.
Psychologiquement, le gauchiste est égocentrique. Il juge tout à l’aune de lui-même. Sa vérité bien sûr, mais également : ses opinions, ses sentiments et ses goûts. Après tout, sa religion est anthropocentrée, et quel meilleure incarnation de l’humanité que lui-même ?
Esthétiquement, enfin, le gauchiste n’aime pas le beau. Il pense que celui-ci est du côté du mensonge. Qu’il a quelque chose à cacher. Qu’il est un outil d’oppression aux mains de forces régressives. Qu’il date. Et qu’il faut s’en débarrasser pour avancer. D’où sa recherche permanente de la laideur. Laideur de l’architecture, laideur des images, laideur des vêtements. Il aime les couleurs ternes, les corps flasques et les maisons inconfortables. Pour le gauchiste, la vérité ne peut être qu’intérieure. Tout ce qui relève de la surface est superficiel et donc condamnable.
Avec un portrait pareil, on comprend pourquoi le gauchiste n’existe jamais à l’état chimiquement pur. Personne n’arriverait à cocher toutes ces cases simultanément : cela nécessiterait une ascèse qui relèverait du monachisme, or le gauchiste veut être dans le siècle, ne serait-ce que pour pouvoir faire du prosélytisme.
Mais les gauchistes réels s’inspirent de ce modèle et incarnent, chacun à leur manière, tel ou tel visage de leur idéal. Prager dit à son sujet que le gauchisme est la religion qui a eu le plus de succès au siècle passé. Ses églises sont en pleine mutation, mais les croyants sont toujours là. Toujours prêts à reprendre le combat, toujours prêt à reprendre le prosélytisme.
Image : Echo and Narcissus, John William Waterhouse, Walker Art Gallery, Liverpool, image de Wikipédia, domaine public.