Article paru dans le Quotidien Luxembourgeois

Interview de Pablo Chimienti.

Belle entrée en matière dans le monde de la BD pour Olivier F. Delasalle et Léandre Ackermann avec L’Odyssée du microscopique. Un roman graphique léger et prenant.

Pablo Chimienti : L’Odyssée du microscopique est votre première BD. Comment êtes-vous tombé dans le monde des phylactères?
Olivier F. Delasalle : Je suis tombé dedans tout petit. J’ai lu beaucoup de BD en grandissant. Et puis, après des études de lettres, comme j’aime aussi beaucoup le cinéma, j’ai trouvé dans la BD une intersection parfaite entre le monde du 7e art et celui des lettres.

L’album est très beau, léger, décalé. Comment est née cette histoire?
Assez simplement. Tout est parti de cette idée du personnage principal, Elias, qui se réveille un matin et qui, tout d’un coup, se sent très différent de la veille et, surtout, se sent bien. Je voulais voir les conséquences de ce changement. Parce que, finalement, ça lui pose presque plus de problèmes que de solutions.

Oui, vous appelez ça, un « déni de bonheur ».
Oui c’est ça. C’est Sabrina, le deuxième personnage principal de l’histoire, qui lui dit ça. Ils se rencontrent un jour par hasard sur la terrasse d’un café et commencent à discuter. Sabrina est sage-femme et en entendant l’histoire d’Elias, elle fait un parallèle avec le déni de grossesse. Elle se dit qu’Elias fait un déni de bonheur dans le sens où, parfois, on s’invente des problèmes là où il n’y en a pas vraiment. Mais, de la même manière que la grossesse finit par se révéler à un moment, il y a peut-être un moment où on peut, d’un coup, changer de regard sur son existence.

Comment avez-vous modelé Elias et Sabrina? Ils ont la trentaine et, pour ainsi dire, ont tous deux perdu la foi en leur métier.
C’est tout à fait ça. Mais Elias va retrouver cette envie en changeant un peu, tandis que Sabrina, sans trop raconter la fin, va arriver à voir son métier sous un tout autre angle. Même si cela lui a demandé de faire un petit détour dans son parcours.
En fait, elle était à un moment de la vie où elle était en train de faire un bilan, où elle se demandait ce qu’elle avait réussi professionnellement. D’autant qu’il y avait, peut-être, une autre voie qu’elle aurait aimé explorer, celle de la religion.

Voilà, elle veut devenir rabbin. Pas courant pour une femme.
C’est vrai, ça ne court pas les rues, mais ça existe depuis les années 30. En France, la première a été Pauline Bebe, ordonnée en 1990; et il y en a pas mal dans les pays anglo-saxons.

Et pourquoi avoir choisi un journaliste qui ne supporte plus la vie dans sa rédaction?
J’ai commencé à écrire cette histoire en 2009, une époque où la presse traversait – et elle traverse toujours d’ailleurs – à la fois une crise et une profonde transformation. Une réalité que je voulais mettre en contrepoint avec ce qu’Elias vivait intérieurement.

En plus du déni de bonheur, il y a une autre trouvaille étonnante,celle du houmous qui, vous écrivez: « a fait plus que n’importe quel plan de paix pour rapprocher les habitants » du Proche-Orient. Ça sort d’où ça?
C’est une invention, bien sûr. J’ignore si le houmous a vraiment fait beaucoup pour la paix, mais je trouve que c’est une approche intéressante. C’est d’ailleurs toute l’idée de l’album, que de passer par les petites choses, le microscopique, pour voir ce qu’elles révèlent sur les grandes. La nourriture, on le sait, c’est un grand moment de convivialité et d’échange. Quand on mange, les problèmes disparaissent et ça crée des ponts. Au Moyen-Orient, peu importe le pays où on se trouve, les gens avec qui on se trouve, tout le monde mange du houmous et tout le monde est aussi persuadé que c’est chez lui que ça a été inventé.
En Israël, par exemple, un des plus grands débats parmi la population est de savoir qui fait le meilleur houmous. Je trouvais donc que c’était une clé d’entrée intéressante pour parler du Moyen-Orient. On pourrait peut-être proposer aux Nations unies de lancer la journée mondiale du houmous!

Blague à part, c’est ça le sens du titre de l’album, L’Odyssée du microscopique; finalement, ce sont les petites actions quotidiennes, les petits riens, qui peuvent, par effet papillon, réussir de grandes choses.
C’est ça. Les petites choses peuvent avoir des effets énormes. En gros c’est : « dis-moi quel objet t’utilises, je te dirai qui tu es ». Ou encore : « vide tes poches et je te dirai qui tu es ».

Et tout ça, ça dit quoi sur Elias et Sabrina?
Qu’ils sont en quête de leur place dans la société et surtout dans leur propre existence. Car on a tous quelque chose à amener, mais quoi? Et comment on le trouve?

Parlons du dessin de Léandre Ackermann, dont c’est aussi la première BD. Il est assez simple, en niveau de gris, avec peu de décors. Nécessité ou volonté affichée?
Un peu les deux. On a travaillé sur cette esthétique et l’idée d’avoir pas mal de zones blanches, des endroits où le regard peut se perdre. Je trouve que le blanc, le vide, ça apporte autant que le noir, le plein. Pour moi, c’est un écho au thème principal de l’album.