Suite de la première partie.
Samedi 6 août 2022
9 du mois de Av 5782
Je me réveille à cause d’un bruit étrange. Je jette un coup d’œil au réveil : il est deux heures du matin.
La première question qui me vient à l’esprit est de savoir si c’est une alerte aérienne ou pas. Il n’y a pas de sirène : ça n’en est pas une.
Le bruit vient de la chambre de mon fils. Il est en train de bouger dans son lit et de se réveiller.
Je me lève pour aller voir ce qu’il se passe. Aussitôt après, il vomit. Il n’a pas de fièvre, mais ça explique pourquoi il avait l’air aussi fatigué.
Je nettoie ses affaires, et je le recouche. Il se rendort aussitôt.
Le matin, on se réveille tôt, mais il n’y a eu aucune alerte.
La journée se déroule presque comme un shabbat normal, à ceci près qu’on n’emmène pas les enfants à la synagogue où il y a, en temps normal, un office pour les enfants.
Le matin je lis la parasha, la section hebdomadaire de la Torah qui correspond à cette semaine. C’est la première partie du livre du Deutéronome, un passage très intéressant dans lequel l’Eternel explique à Moise quelles seront les frontières du pays. De là à là, d’ici à là, et de là à là-bas.
Selon un commentaire, il faut comprendre : jusqu’ici et pas plus loin. Ce qui positionne le texte d’emblée dans un autre univers que celui de son époque, où l’ambition des empires était de constamment agrandir leur territoire.
Plus étonnant : il y est question des Philistins de Gaza, un peuple venus de la méditerranée et établi sur les côtes, qui, dans la Bible hébraïque est l’un des grands ennemis d’Israël. Le mot philistin a donné le mot grec de Palestine, nom imposé par les romains après leur conquête, et à la période moderne, le nom de Palestinien.
Dans notre région du monde, les résonances entre les textes sacrés et l’actualité nous semblent presque banals. La séparation entre la politique et la religion n’existent pas à la façon occidentale, et on trouve régulièrement des rapports entre l’un et l’autre qui n’ont souvent aucun lien, mais qui font des échos saisissants. Ainsi le passage sur le déluge qu’on lit chaque année aux alentours du mois d’octobre, et dans lequel la raison donnée pour celui-ci est « parce que la terre [en hébreu moderne on entend plutôt : le pays] était plein de violence ». Violence, en hébreu biblique : hamas.
A vingt heures onze, shabbat sort. On l’accompagne avec les chansons et les prières traditionnelles. La dernière chanson est consacrée à Eliyahou Hanavi, Elie le prophète, dont on espère la venue très prochaine, puisqu’il est censé précéder et annoncer le Messie, dont l’un des travaux est de reconstruire le Temple, et donc de réparer la brisure métaphysique, etc.
Ce soir, de façon imperceptible, on chante un peu plus fort et les mots semblent avoir un sens plus pressant.
Aussitôt, le jeûne du 9 av, repoussé donc au 10, commence. La plupart des gens jeûnent toute la journée, mais nous suivons une coutume un peu différente : on jeûne jusqu’au milieu de la journée. Une manière de marquer le deuil, parce que le monde n’a pas encore atteint son potentiel, mais également une manière de marquer notre joie d’être revenus. La délivrance n’est pas complète, mais elle a commencé.
Je regarde le téléphone pour voir quelles sont les nouvelles.
Un contact au Japon envoie un message de soutien. Il y a eu de multiples tirs de roquettes depuis Gaza, mais, apparemment plus de la moitié sont soit directement retombées à Gaza, soit se sont abîmées en mer.
L’information principale, c’est que l’armée a fait passer un message au hamas pour dire que si ils ne bougeaient pas, ils ne feraient rien. Autrement dit : la confrontation n’est pas avec le hamas comme lors de l’opération Bordure protectrice l’année dernière, mais avec le jihad islamique seulement, qui, bien qu’influent, n’a pas la même capacité opérationnelle. Si le hamas accepte, l’opération sera courte.
L’école maternelle envoie un message disant que l’école sera fermée et jusqu’à nouvel ordre.
Une synagogue que nous fréquentons parfois envoie un pdf par Whatsapp : le livre des Lamentations en version bilingue. Une sorte de rappel que, selon la tradition, tout dépend de nous : notre capacité à avoir un comportement moral détermine les événements que nous traversons. Le jeûne est là, entre autre, pour nous inviter à l’introspection et chercher à nous améliorer.
Vers vingt et une heure trente, on entend beaucoup d’avions passer au-dessus de nous.
Dimanche 7 août 2022
10 du mois de Av 5783, jour du jeûne
La nuit a été calme. Ni alerte ni vomissements.
Elle a aussi été courte : mon fils se lève, frais et dispos, à quatre heures trente.
Surpris de voir que je n’ai aucun message de l’application censée gérer les alertes, je la teste, pour voir si elle fonctionne bien. Elle plante aussitôt. Je la relance, je teste à nouveau et cette fois-ci elle fonctionne tout à fait et se met à vagir.
J’essaye de suivre les nouvelles. L’information principale semble être que l’un des chefs du Jihad islamique est mort lors d’une frappe de Tsahal. Cela pourrait être la fin des hostilités.
D’après Tsahal, depuis vendredi, le groupe terroriste a tiré 580 roquettes. 200 ont été interceptées par le dôme de fer, qui n’intercepte que les rockets qui peuvent potentiellement tomber dans une zone habitée. Cent quarante cibles du Jihad islamique ont été visées.
En Israël, il y a eu vingt-huit blessés jusqu’à présent. Côté gazaouite, les chiffres sont toujours difficiles à confirmer, mais d’après des officiels du hamas, il y a eu trente-deux morts et deux cents quinze blessés.
J’espère que les hostilités se termineront rapidement. Un jour la paix viendra : aujourd’hui, elle paraît loin.
Ma femme part avec le bébé pour un rendez-vous médical. Je reste à la maison avec mon fils, qui joue dans le salon avec ses légos, étant donné qu’il n’y a pas école.
En milieu d’après-midi, je romps le jeune avec un repas léger.
Vers quinze heures, un gros cortège de voitures passe sur le boulevard en bas de l’immeuble. Les gyrophares hurlent.
A peine un quart d’heure après, la sirène retentit. Cette fois, c’est une alerte aérienne, il faut aller aux abris.
On prend les enfants et on s’enferme dans le mamad pendant une vingtaine de minutes. On ressort sans rien avoir entendu de notable.
Une heure après, dans un groupe WhatsApp, on apprend qu’il y aurait un potentiel cessez-le-feu à dix-sept heures ou à vingt heures. Le hamas n’a pas rejoint le combat.
A vingt heures onze, le 10 du mois de Av se termine. Le cessez-le-feu est acté.
Il y a un sentiment de soulagement, et aussitôt tout reprend comme si rien ne s’était passé. Ce qui aurait pu devenir un embrasement n’a été qu’une escarmouche. Jusqu’à la prochaine fois.
J’ai écrit ce texte il y a plusieurs mois, d’après les notes prises sur le moment. Il était programmé pour le mois d’avril, mais j’en ai repoussé la publication plusieurs fois, pour qu’il ne tombe pas pendant Pessah ou Yom Hatsmaout. Et voilà que hier, 9 mai 2023, un nouveau cycle de confrontation avec le Jihad islamique vient de commencer. Moins d’un an après, on attend, comme suspendu entre deux eaux, de savoir quel va être la prochaine action, et si celle-ci va nous entrainer vers plus de guerre ou plus de calme.
Le fil d’actualité des trois jours :
https://www.timesofisrael.com/liveblog-august-5-2022/
https://www.timesofisrael.com/liveblog-august-6-2022/ https://www.timesofisrael.com/liveblog-august-7-2022/
Image : An Israeli military AH-64 Apache attack helicopter fires flares while flying over Ashkelon in southern Israel on August 6, 2022. (Jack Guez/AFP). Source : https://www.timesofisrael.com/liveblog-august-6-2022/