Journal d’un civil (94) Sous le radar

Lundi 8 janvier.

Le flux d’information continue est parfois difficile à gérer. On a l’impression d’avoir accès à tout, mais cette abondance peut nuire et suivre l’actualité devient parfois presqu’un métier à plein temps. Mais c’est aussi l’occasion de s’amuser. On peut ramasser les nouvelles en bouquets, et suivre un thème particulier pour voir comment il s’organise.

En ce qui me concerne, j’aime beaucoup les informations qui paraissent sans intérêt au premier abord, mais qui en disent long sur une situation ou une personne. C’est probablement mon regard d’écrivain, qui cherche ce qui ferait une bonne scène dans un roman.

J’ai relevé ces derniers jours quelques petites anecdotes qui méritent d’être notées quelque part, pour les retrouver un jour prochain.

1. Le drapeau rouge

En Iran, après l’attentat revendiqué par ISIS, le drapeau rouge a été hissé au sommet de la mosquée Jamkaran, à Qom. Celui-ci est appelé « drapeau rouge de la vengeance », et montre que le régime a décidé de venger cette attaque. Un spécialiste de la région note que la dernière fois qu’il a été levé, ce fut après la mort de Qasem Soleimani (le 3 janvier 2020, l’attentat a eu lieu alors qu’un hommage lui était rendu). D’après lui, le régime avait alors tiré sur un avion qui décollait de Téhéran. Le drapeau rouge de la vengeance a également été levé le 29 octobre, sur la mosquée Jamkaran et sur le dôme du temple de Shiraz, après une attaque à Shiraz.

2. L’Internet chinois

On parle à nouveau d’une montée de l’antisémitisme sur l’Internet chinois. Le réseau est contrôlé par l’état chinois, ce qui veut dire que des mouvements de ce type sont autorisés en amont, au minimum personne n’intervient sur les filtres. On peut trouver des exemples du genre de commentaires qu’on trouve sur la guerre en cours, ou sur les Juifs ou les Israéliens en général. Mais ce n’est pas le plus important.

Un article de VOA écrit : « mais sur l’internet chinois, au lieu de se faire l’écho des critiques formulées à l’encontre des États-Unis, les commentateurs nationalistes et les net-citoyens ont dirigé leur colère contre le peuple juif, ce qui, selon de nombreux net-citoyens, est le signe que le gouvernement chinois indique sa véritable position sur le conflit. Ou, comme l’a écrit un internaute, « En me basant sur la façon dont ce sujet a été organisé, je vois maintenant quelle est la position réelle de notre pays ». »

Ce n’est pas une grande surprise, mais ça participe de la constellation de petits faits qui dessinent les différents camps qui sont en train de s’organiser.

3. Le tunnel du 770

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, s’est déroulé un événement pour le moins étrange au siège du mouvement Loubavitch à Brooklyn. La police a dû intervenir pour évacuer un groupe de jeunes hommes qui avait entrepris, depuis quelques mois, de creuser un tunnel sous la synagogue actuelle, afin de l’agrandir. Le (petit) tunnel menaçait la stabilité de l’endroit, et la section des femmes avait dû être fermée. Hier, les responsables du site sont venus avec un camion pour cimenter ce qui avait été creusé. Les jeunes qui avaient fait cela se sont emballés, et la police a dû intervenir pour évacuer les responsables.

Depuis, le JTwitter anglophone est très agité. L’endroit est un lieu hautement symbolique de la vie juive américaine en général, et de la vie juive orthodoxe en particulier, et tout le monde connaît les lieux par le seul numéro de la rue où il se trouve. Sur les vidéos qui circulent, on voit plusieurs panneaux en bois être arrachés. Le plus impressionnant ? Dans le reste de la pièce, qui est bondée, tout le monde continue ses occupations. Ca ne suffit pas à interrompre l’étude.

4. Idan Ameidi blessé

L’acteur principal de la série Fauda a été blessé à Gaza. Bien qu’étant une immense star, il a répondu à l’appel comme tout le monde. Peu avant l’annonce officielle, une rumeur circulait. Certains disaient « préparez-vous, la soirée va être mauvaise ». Et effectivement, l’annonce a peiné le pays. Son cousin a posté un message sur Instagram demandant de prier pour lui : son nom hébraïque est Idan ben Tova. Une fois à l’hopital, il « a subi une intervention chirurgicale urgente, grave et longue ». Son père a depuis déclaré que ses jours n’étaient plus en danger et qu’il est à nouveau conscient.

Fauda est l’une des séries phares de la télé israélienne. J’avoue ne l’avoir jamais regardée. Je suis persuadé que la série est excellente : les Israéliens ont un art de raconter les histoires qui est exceptionnel¹. Mais les séries de guerre sont aussi très réalistes, et je n’arrive pas à regarder en fiction ce que je sais être la réalité au bout de la route qui passe en bas de chez moi. Dans la première saison, Fauda raconte la traque d’un des principaux terroristes du hamas.

Il faut aussi savoir que les stars de séries ou de cinéma sont, en Israël, des gens presque comme les autres. Un copain qui travaille dans la sécurité pour un hôtel de Tel Aviv travaille avec une des actrices de Fauda, qui a certes un second rôle, mais un second rôle assez important d’après ce que je comprends. Comme ça ne paye pas suffisamment, elle est également réceptionniste de nuit, après les tournages.

5. Aaron Barak défend Israël à l’ICC

Israël a été assigné par l’Afrique du Sud à la cour pénale internationale. Le motif ? Accusé de génocide à Gaza. Il peut être bon de rappeler à ce moment-là, que le mot génocide a été créé par un avocat, Raphael Lemkin, qui était juif, en 1944, pour désigner ce qui jusque là n’avait pas de nom spécifique en droit : l’élimination d’un peuple entier. En l’occurrence, il étudiait les politiques menées par les nazis contre le peuple polonais. Accuser Israël de génocide après le 7 octobre montre l’état de déliquescence morale d’une grande partie de la communauté internationale².

Israël a accepté de comparaître. C’est l’ancien président de la cour suprême Aaron Barak qui défendra le pays. Le nom ne dira quelque chose qu’à ceux qui suivent la politique israélienne. Aaron Barak est celui qui, au début des années 90, a lancé ce qu’il a appelé « la révolution constitutionnelle ». Il a en particulier élargi les pouvoirs de la Cour suprême pour lui donner un rôle un peu similaire à celui de la Cour suprême américaine (et ce faisant, suivant le chemin de John Marshall dans le fameux cas Marbury v. Madison). Ceci est controversé jusqu’à aujourd’hui, au point que ces derniers mois, alors que le pays traversait des moments de tension très forts à propos d’une série de lois proposées par le gouvernement Netanyahou de l’époque, toute une partie du débat tournait autour de Barak et de sa révolution constitutionnelle.

Envoyer Aaron Barak est aussi significatif que surprenant. L’un des ministres actuels, situé à l’extrême droite de l’échiquier politique israélien (différent des échiquiers politiques français ou américain) s’est offusqué que ce soit lui qui ait été choisi. Le premier ministre lui a répondu : « C’est un survivant de l’Holocauste qui jouit d’une réputation internationale ». L’Afrique du sud se couvrira de honte jeudi ; Israël répondra, par la voix de Barak, vendredi.

Fin du 94ème jour, 8 janvier 2024, 27 tevet 5784.

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¹ Un de mes articles de cette année devait comparer le style narratif israélien au style narratif japonais à travers deux séries spécifiques, et montrer à quel point ils étaient proches, et, par contraste, très différent de la façon occidentale de raconter une histoire.

² Sur le cas spécifique de l’Afrique du sud, je recommande, pour ceux qui voudraient creuser un peu la question, de vous intéresser au problème de pénurie d’eau dans ce pays et au rôle qu’Israël s’était proposé de jouer.