Journal d’un civil (52) Le dilemme

27 novembre 2023.

La guerre avait commencé avec une idée aussi simple que paradoxale : « faire la guerre comme s’il n’y avait pas d’otages, chercher à faire revenir les otages comme s’il n’y avait pas de guerre ». (Avi Melamed, cité par le Guardian dans un article du 22 octobre, semble être le premier à avoir utilisé cette formule).

Mais c’était avant que l’armée n’entre à Gaza, avant que l’accord de trêve ne soit conclu, avant que les premiers otages n’aient été libérés.

Depuis la donne a changé. Nous sommes face au moment que nous redoutions : libérer d’autres otages et perdre un avantage tactique certain, ou recommencer la guerre au risque de, peut-être, ne jamais revoir les otages qui sont encore à Gaza ?

Le cessez-le-feu est censé se terminer demain, mardi 28 novembre, à 6:59. Aujourd’hui encore, le hamas a fait des problèmes quant à la liste des otages qui devaient être libéré dans la quatrième étape de l’accord.

Quelle est la situation sur place ? On a appris ce matin, dans une interview accordée par le premier ministre Qatari, que le hamas ne savait pas où se trouvait environ quarante otages, femmes et enfants. On sait également que rien ne permet de dire s’ils sont encore en vie.

L’un des otages libérés a raconté une partie de son histoire. Il était gardé dans un immeuble qui a été touché par une frappe de l’armée. Il s’est enfui, et a erré dans la ville pendant quatre jours, sans savoir où il était et sans connaître la langue. Il a fini par être livré au hamas par des habitants lambda. Des civils, qui l’ont ramassé et l’ont rendu aux preneurs d’otages.

Et pendant ce temps, en Cisjordanie, deux hommes ont été lynchés, accusés d’avoir collaboré avec les services Israéliens.

Tous ces éléments s’empilent les uns sur les autres, et on doit vivre avec ces bouts de réalité plantés en nous.

J’ai l’impression de ressentir une dizaine d’émotions en permanence ; c’est épuisant. Entres autres :

La joie de savoir que certains otages ont été libérés,

la gêne à voir les otages retrouver leurs familles, des moments qui ne devraient pas être publics, mais qui surtout n’auraient jamais dû exister dans leur principe,

l’angoisse de savoir que d’autres continuent à être prisonniers,

l’incertitude face à la fin de la trêve et la reprise des combats,

l’ambivalence face à ces deux options, qui comportent chacune des risques et des avantages,

la tristesse en apprenant par bribes ce que les otages ont vécu, et en continuant à découvrir les récits du 7 octobre,

la haine également, face aux comportements monstrueux des agents du hamas,

la colère face à l’attitude de certains Occidentaux qui font semblant de nous soutenir mais qui font le jeu de l’ennemi,

l’incompréhension face à l’attitude d’autres Occidentaux, qui semblent totalement perdus dans leurs choix moraux alors que la situation est limpide de simplicité,

mais surtout l’espoir, l’espoir que tout va bien se dérouler et que quelque chose de bon sortira de cette noirceur.

Pour l’instant, les événements continuent. On n’a pas le temps de reprendre notre souffle. La pause dans les combats n’a fait que déplacer le champ de bataille. Il n’est pas dans les rues de Gaza city, il est dans les autoroutes d’Internet.

Vers 18 :30, on apprend qu’il y aura peut-être une extension à hudna, le mot arabe pour trêve. Quarante-huit heures de plus, suivant le protocole de l’accord déjà décidé. Cette fois, des soldats pourraient également être libérés.

On apprend également, de source venant de l’armée, que la famille Bibas, Yarden, Shiri, Kfir (10 mois), Ariel (4 ans) auraient été transférés par le hamas à une autre faction islamiste et qu’ils se trouveraient dans le région de Khan Younis (sud de la bande de Gaza).

Cette information apparaît dans le fil d’actualité du Times of Israel juste après une déclaration du ministre de la défense Gallant, qui dit que « lorsqu’Israël reprendra le combat contre le Hamas à Gaza, « il sera plus fort et se déroulera dans toute la bande de Gaza » ».

Vers 19h45, on apprend enfin que onze otages ont été remis à la Croix Rouge. Et leurs noms sont :

Sharon Aloni Cunio (33 ans) et ses jumelles, Yuli et Emma (3 ans), Karina Engel-Bart (51 ans) et ses filles, Mika (18) et Yuval (10), le frère et la sœur Erez Calderon (12 ans) et Sahar Calderon (16 ans), les frères Or Yaakov (16 ans) et Yagil Yaakov (12 ans), et Eitan Yahalomi (12 ans).

Ils font parti du quatrième groupe, le dernier selon la première partie de l’accord. Toute la question est désormais de savoir si la trêve va être prolongée. – Fin du 52ème jour, 27 novembre 2023, 14 kislev 5784.