Journal d’un civil (41) La colère

16 novembre.

Aujourd’hui, je vois passer, pour la millième fois, un tweet sur le thème « mais alors on peut plus critiquer Israël ». Et là, je craque. Fichez nous la paix cinq minutes. Allez critiquer Andorre, la Guinée Bissao ou le Bangladesh. Allez examiner leurs politiques publiques et expliquez-leur comment ils doivent faire, dites-leur ce que vous pensez de leur processus électoral ou du ramassage des ordures dans leur capitale. D’ailleurs, allez leur expliquer, que c’est vous, vu de l’Occident, qui décidez où se trouve leur capitale. Que lorsque vous envoyez un ambassadeur, il n’ira pas dans la ville où se trouve le siège de leur gouvernement (définition d’une capitale), mais dans une autre ville. Je suis sûr que ça les intéressera.

Cette rhétorique m’est odieuse. Les antisémites de tout poil passent leur temps à critiquer Israël en tirant dans tous les coins : ils mentent, ils exagèrent, ils déforment, ils détournent, ils inventent ; ça n’arrête jamais. Sur tous les réseaux, dans tous les lieux de pouvoir, dans tous les médias, dans tous les domaines culturels, ils répètent sans arrêt leur propagande. Il suffit de hurler le même message, encore et encore, tout le temps, et de taper sur tous ceux qui refusent de se soumettre ou qui hésitent à dire que le message est peut-être un gros de tas de bouse.

Pendant longtemps, en face, les pro-Israéliens, les Juifs, les Israéliens, avec toutes les combinaisons et toutes les nuances possibles, avaient des discours assez fades et surtout très polis. Ils s’excusaient de demander pardon et ils essayaient de montrer que l’autre, n’est peut-être pas que pétri de bonne intentions. L’attaquant venait avec un lance-flamme et le défenseur arrivait avec des cure-dents.

Le gars hurlait : « Netanyahou, nazi ! », et en face le mec répondait : « alors c’est vrai, on peut critiquer le gouvernement israélien, d’ailleurs je suis le premier à avoir dénoncé sa politique de réduction de la dernière tranche du taux d’imposition sur les micro-sociétés. Ceci étant, appeler à un génocide me paraît excessif. »

Heureusement, de nouvelles voix ont enfin émergé. Elles sont féroces, elles sont combatives et surtout, elles sont justes. Mais elles ont toutes émergées sur les réseaux sociaux. Aucune ne vient du sérail médiatique habituel, et, lorsqu’elles y ont accès, elles détonnent.

Aujourd’hui également (décidemment, c’est le jour pour me mettre en rogne), je vois passer un nouveau plan de paix « à deux états ».

Ça n’a pas attendu. Dès le 8 octobre, il y avait tout un tas d’analystes de salon parisien ou new yorkais qui nous disaient de façon très docte « il faut revenir à la solution à deux états, il n’y a pas d’autre solution ».

Quand j’entends ça, je sais aussitôt que le gars en question ne sait probablement pas de quoi il parle. Il répète un talking point qui traîne là depuis des décennies, sur une vieille fiche racornie que personne n’a pris la peine de mettre à jour, parce que tout le monde s’en fout. En plus, ça permet de prendre la posture du gars qui est équilibré dans ses points de vue, ça permet de gagner des points dans l’opinion et ça fait pas de mal.

Que la situation géopolitique n’ait rien à voir à celle qui existait au moment des accords d’Oslo ? Encore faudrait-il qu’à Paris ou à New York, on sache ce qu’il y avait dans ces fameux accords.

Que la solution à deux états ait été essayée à petite échelle et qu’elle a échoué ? Ne laissons pas le réel se mettre en travers de notre idéologie. (Car oui, Israël s’est retiré de Gaza depuis 2005 : il y a eu des élections, le hamas a été élu et depuis, on ne peut pas dire que l’état qu’ils aient construit soit vraiment réussi).

Sans compter que la « solution à deux états » n’est qu’une solution parmi tant d’autre. J’ai un jour fait un cours entier sur le sujet, il faut deux heures pour arriver à expliquer l’ensemble. Il y a au moins dix possibilités d’organisation des populations, des souverainetés et des états dans la région, pourquoi continuer à nous bassiner avec une seule, qui a échoué, et dont personne ne veut ?

D’ailleurs, pourquoi ce seraient les occidentaux qui viendraient imposer leurs vues au Moyen Orient en général et à Israël en particulier ?

On aurait presque envie de dire : mais que fait la communauté internationale ?

Ce que fait la communauté internationale, on le sait. Elle faiblit (jeu de mot antique). Ce n’est pas pour rien que De Gaulle appelait l’ONU le « machin » et que Ben Gourion disait, de son côté, « oum, shmoum* ».

L’ONU, l’institution qui a donné la présidence du UN Human Rights Council Social Forum à l’Iran sans trembler des genoux. L’ONU dont le président a déclaré après le massacre du 7 octobre : « the attacks by Hamas did not happen in a vacuum ». L’ONU, qui a voté plus de résolutions contre Israël que contre n’importe quel autre pays du monde.

La communauté internationale, comme beaucoup d’états occidentaux, c’est beaucoup de parlote, beaucoup de corruption et surtout aucune action. Il paraît qu’en 2005, quand Israël s’est retiré de Gaza, laissant aux Gazaouis les clés de leur destin, l’Union Européenne, et la France en particulier, s’était engagées à contribuer à garantir la sécurité d’Israël. A nouveau, ça serait comique si ça n’était pas tragique : depuis, combien de dizaines de milliers de missiles nos voisins gazaouis nous ont balancé sur la figure ? Sans que la communauté internationale ne dise rien ? Et sans que la garantie de la France ne semble jouer ? Elle avait peut-être perdu le reçu.

Cela fait des années que l’on dit haut et fort que le hamas construit des tunnels en utilisant les matériaux de construction acheminés par la communauté internationale pour reconstruire Gaza. Que c’est un problème colossal. Et qu’il faut absolument faire quelque chose tant qu’on peut. Et qu’a-t-on eu en retour ? Des bâillements polis de ces petits messieurs de New York, qui trouvaient encore une nouvelle résolution à voter contre Israël.

Et avec un historique de ce type, on vient nous donner des leçons ! On vient voir Israël en disant qu’il faut faire preuve de proportionnalité, qu’il faut faire un cessez-le-feu, qu’il faut montrer de la retenue. Mais qui sont ces tristes sires qui parlent la bouche en biais et qui commencent chaque phrase en disant « nous soutenons le droit d’Israël à se défendre » (variante de « nous soutenons le droit d’Israël à vivre dans des frontières sûres »), avant, dans le même souffle, de demander à ce qu’on renonce à nos droits les plus fondamentaux ? Ils n’en manquent pas, de souffle.

Je profite de cette fin de paragraphe pour reprendre le mien.

Des fois, il faut que ça sorte ; eh bien ce soir, c’est sorti. Passons à autre chose. – Fin du 41ème jour, 16 novembre 2023, 3 kislev 5784.


* oum est le mot hébreu pour ONU, et shm- est un préfixe dépréciatif qui s’utilise en reprenant le premier mot.