28 oct. 2023
J’ai mal dormi cette nuit. J’ai fait des cauchemars, je me suis réveillé un nombre incalculable de fois. Les enfants ont mal dormi également. Ils se sont réveillés plusieurs fois à partir de trois heures du matin. Je me suis occupé d’eux et, à chaque fois, je me suis rendormi où j’ai pu : dans mon lit, sur le canapé du salon, sur le canapé du bureau et, pour finir, dans le lit de mon fils, pendant que lui dormait sur le canapé du salon. Un vrai mic-mac, pour essayer de trouver quelques minutes de sommeil de plus.
A six heures et demie, ma femme s’est levée et elle a pris le relais. Je suis allé me recoucher et j’ai dormi, à nouveau en plusieurs fois, jusqu’à neuf heures.
Chose rare, je me souviens d’un de mes rêves, le dernier du lot. Nous vivions dans un environnement de science-fiction, quelque part sur une planète lointaine. Des amis tournaient un film en amateur et je voulais faire partie de l’équipe. D’autant que, dans le rêve en question, j’avais les qualifications requises : je venais de finir d’écrire un livre qui racontait justement l’histoire d’une équipe d’amateurs qui tournait un film ! Ça n’a pas eu l’air de les impressionner. Ils dirent qu’il fallait voir. Et dans le rêve, je réfléchissais à la manière de terminer le livre que je disais avoir écrit : mon personnage se retrouvait dans un ascenseur qui tombe en chute libre, et j’entendais un compte à rebours : 5, 4, 3, 2, 1. – C’est là que je me suis réveillé.
Voilà un rêve d’une stupidité rare. J’ai rêvé que je mettais le personnage d’une de mes séries principales en situation de danger. Erreur ridicule : je ne ferais jamais ça en vrai. Quand on a un bon personnage, on ne le tue pas, et surtout pas dans le dernier opus de la série. Parce qu’on finit toujours par avoir envie de le faire revenir et qu’ensuite il faut inventer une raison (souvent idiote) pour que le personnage ressorte du chapeau. Confer Conan Doyle et Sherlock Holmes.
Tuer un héros est également une erreur littéraire : les vrais héros sont immortels. On n’imagine pas la mort de Tintin ou celle d’Astérix. Ça n’a aucun sens. Ça n’a aucun sens parce que ce sont des personnages de BD, mais cela va plus loin : cela n’a aucun sens parce qu’on sait qu’un archétype est indissoluble.
Sur ces considérations esthétiques, je me lève péniblement. On avait coupé la climatisation pendant la nuit et je me sens extrêmement déshydraté. Je bois pratiquement d’un trait toute la bouteille qui se trouvait sur la table de nuit. Ceci explique peut-être la mauvaise nuit.
Dans le salon, le reste de la famille est déjà debout depuis un moment. La journée a commencé. Les enfants sont habillés : bientôt il sera l’heure de sortir. Aujourd’hui, je préfère m’abstenir. Ma femme emmènera notre fils à l’office des enfants, pendant que je resterai à la maison avec notre fille.
L’office a lieu plus tard que d’habitude et dans un lieu différent. En temps normal, l’office pour les enfants a lieu devant la synagogue, pendant que les adultes prient à l’intérieur. Il y a plusieurs groupes : ceux qui préparent la bar ou la bat mitzvah étudient les textes, tandis que les plus jeunes animent un office, chantent et écoutent une histoire avant de partager une collation.
En période de guerre ou de conflit, l’office a lieu devant un abris anti-bombes. En cas d’alerte, tout le monde s’y engouffre et la maîtresse tire la porte.
D’après ma femme, ce matin, tout le monde avait l’air fatigué. Les enfants étaient plus dissipés que d’habitude. Lorsqu’un chat a sauté sur la toile qui sert à protéger l’endroit du soleil, mon fils s’est écrié : « hatoul ! Shadow puppets ! » (« un chat ! Des ombres chinoises ! ») et tout le monde a éclaté de rire. Le mélange des langues, l’incongruité de la situation, le fait que le moindre petit événement vienne dissiper la tension accumulée. Le chat est reparti sans rien dire.
On mange un peu, mais ce midi j’ai du mal à avaler quoi que ce soit. Un peu de riz, un peu de fromage, quelques tranches de concombre.
Vers quinze heures, ma fille se réveille en pleurant. Les dents lui font mal, rien ne la calme. Cinq minutes plus tard, une sirène retentit. Elle paraît un peu voilée, comme un écho plus lointain que d’habitude. On va néanmoins dans la pièce protégée, et voilà qu’une deuxième sirène se déclenche. Cette fois elle paraît normale : perçante, lancinante. Mon fils dit qu’elle lui fait peur. Je le prends sur mes genoux, pendant que ça sœur hurle sur les genoux de ma femme. Bonne ambiance dans le mamad cet après-midi.
Le reste de l’après-midi est un peu plus calme. On descend pour rendre visite à des amis qui sont quelques étages plus bas. On prend un thé en discutant de tout et de rien. Le mari travaille dans un magasin qui vend de la tapisserie, de la moquette, et, je le découvre aujourd’hui, du parquet. Les prix sont même relativement raisonnables. J’ignorais qu’il y avait du parquet dans le désert : vu la chaleur, j’ai du mal à imaginer pourquoi on choisirait autre chose que du carrelage. D’un autre côté, rien ne m’étonne à Be’er Sheva : dans les années 80/90, il y avait une grande mode qui consistait à mettre du lambris partout, dedans comme dehors !
Un de mes professeurs appelait ça le syndrome du chalet suisse. Il expliquait que quand on se promène dans le pays, on voit partout des maisons avec un toit extrêmement pentu, comme un chalet suisse. Alors que l’architecture traditionnelle du cru serait plutôt le toit plat, qui permet d’avoir une terrasse où aller dormir pendant les fortes chaleurs estivales. Mais à un certain moment, une certaine classe sociale a fait construire des maisons avec des toits bien en pente, de ceux qu’on utilise en général dans les pays de neige afin que le poids ne fasse pas s’écrouler la charpente. Pour avoir des maisons comme en Europe. Il neige tous les ans à Jérusalem, mais à Be’er Sheva, rarement. (Jamais). Le jour où on aura besoin de toits pentus pour supporter le poids de la neige, l’heure sera vraiment grave.
Vers cinq heures, on rentre à la maison. C’est bientôt la fin de la journée, la fin du shabbat, la fin du week-end. Je profite d’un peu de calme pour lire la parasha de la semaine. Cette semaine, c’est la première section vraiment consacrée à Abraham et à son histoire. Et comme on est dans le prolégomène de notre histoire, les moments archétypiques sont nombreux.
On y lit par exemple l’histoire ses bergers de Lot et des bergers d’Abraham qui se disputent la terre. Abraham refuse la confrontation. Il dit : si tu vas d’un côté, j’irai de l’autre. Alors Lot s’installe dans la vallée du Jourdain et Abraham va ailleurs. Et les problèmes commencent.
Abraham se retrouve par exemple pris dans une guerre régionale qui met face à face « les quatre rois contre les cinq rois » : c’est un passage que les gens sautent en général parce qu’il est un peu compliqué. Il déborde de noms à coucher dehors, et il faut vraiment suivre pas à pas pour comprendre ce qu’il se passe. Mais j’ai longuement étudié cette histoire par le passé. J’essaye de me souvenir des grandes lignes de ce qu’on m’avait appris : à l’époque la terre d’Israël est prise en sandwich entre deux sphères d’influence : d’un côté la sphère égyptienne, de l’autre la sphère mésopotamienne. Les royautés locales sont dans l’une ou l’autre, et voilà qu’une ville change de camp, mettant en mouvement tout un bazar géopolitique. Plus ça change, …
Shabbat fini, je rallume les nouvelles. Que s’est-il passé pendant les vingt-cinq dernières heures ? Je regarde le fil d’actualité en partant du plus récent et je découvre qu’une rocket est tombée sur une maison à Be’er Sheva. Heureusement, il n’y avait aucun occupant dedans.
Je regarde sur Twitter et je me rends compte que plusieurs personnes m’ont contacté, inquiètes. Je poste un message pour rassurer tout le monde.
Je continue à lire les informations, et je découvre que la guerre vient de franchir un nouveau cran. L’armée a lancé des tracts dans Gaza City pour dire aux habitants que la zone était désormais considérée comme zone de guerre.
On apprend également ce qu’on soupçonnait depuis longtemps : les hôpitaux gazaouïtes servent de paravent aux postes de commandements du hamas. Voici une partie de la déclaration du porte-parole de Tsahal, communiquée vendredi lors d’une conférence de presse à l’intention de la presse étrangère :
« The central terrorist headquarters of Hamas is located under the central hospital in Gaza City – Shifa Hospital.
As part of a special briefing for international media, the IDF spokesman revealed a great deal of information proving that Hamas routinely and in emergencies uses humanitarian infrastructure in the Gaza Strip for the benefit of its terrorist activities while utilizing the humanitarian shelter to protect its terrorists and the leaders of the terrorist organization. The focus of the organization’s activity in the Gaza Strip is Shifa Hospital, the central and largest hospital in the Gaza Strip, located in the heart of Gaza City.
In the Shifa Hospital, there are several underground complexes used by the leaders of the terrorist organization Hamas to direct their activities and a tunnel that reaches the hospital which allows entrance to the Hamas headquarters without going through the hospital. In addition, inside the hospital there is a Hamas internal security control center, which is staffed with armed men in routine and emergency situations as well as their terrorist headquarters, from which coordinating terrorist activities such as rocket fire, directing forces, storing weapons and ammunition is carried out.
The hospital has 1,500 beds and about 4,000 staff members who serve as a human shield for the leaders of the Hamas terrorist organization. The entrance to the underground headquarters is made from a number of tunnel shafts adjacent to the hospital, and there is also an entrance from the hospitalization and treatment departments of the hospital. The hospital’s energy infrastructure that is supposed to be used by its patients is actually used at the same time by the organization’s underground terrorist infrastructure and the organization’s leaders. The leaders of the terrorist organization use this cover while endangering the civilian population.
At the same time, Hamas also now controls the existing energy resources in the Strip and chooses to divert them to its needs at the expense of the needs of the civilian population.
The information on the use of Hamas in the hospital is based on a very wide range of well-informed sources of the Israeli intelligence and the Shin Bet. All the information, most of which was not revealed here, was transferred to our intelligence partners in the world. »
Il est un peu plus de vingt-et-une heure. Le premier ministre donne une conférence de presse. Il a déclaré, entre autres, que la guerre serait longue et difficile. « Nous sommes prêts. C’est notre seconde guerre d’indépendance ».
Puisse la victoire arriver vite et facilement. – fin du 22 ème jour, troisième semaine, 28 octobre 2023.