Journal d’un civil (18) L’école

Aujourd’hui le moral est revenu. Le voile gris qui pesait sur nous s’est déchiré. On a mieux dormi, on a mieux mangé ; tout paraît un peu moins compliqué.

Ce matin, l’école revient sur le devant de la scène. Mon fils est en deuxième année maternelle. Il a commencé le premier septembre, s’est arrêté quinze jours entre Kippour et la fin de Soukkot (ce qui serait un peu l’équivalent des vacances de la toussaint), et n’a pas repris depuis. Autrement dit : pas d’école depuis le 22 septembre, depuis plus d’un mois.

Ses copains lui manquent et il entend beaucoup moins d’hébreu. Sans compter qu’il commence à trouver le temps long à la maison.

Aujourd’hui, deux événements se superposent. Le premier : la maîtresse vient avec une assistante maternelle pour dire bonjour aux enfants. A onze heures, on reçoit un message sur le groupe de parents pour annoncer dans quel ordre se fera la tournée. Elles arrivent avec un sac chargé de petits jouets, de matériel de loisirs créatifs et de cahiers de coloriage. Il y a même quelques activités éducatives dans le kit, mais les instructions sont en hébreu : c’est les parents qui vont devoir travailler le plus !

Mon fils est ravi de les voir. Ils discutent un peu et elles repartent pour aller rendre visite à un autre enfant. On poste ensuite les photos et les vidéos sur le groupe : c’est une joie de voir ses camarades de classe aussi heureux de voir leur maîtresse.

En plus de cette visite, la mairie a organisé une deuxième surprise. Le service qui s’occupe des activités extra-scolaires m’a contacté il y a deux jours, pour me demander de confirmer notre adresse. Ils m’ont sorti tout un baratin à deux cents kilomètres heures pour m’expliquer pourquoi ils avaient besoin de mon adresse : je n’ai rien compris. Rien, si ce n’est que j’ai confirmé qu’ils avaient bien la bonne adresse. Ce matin je reçois un coup de fil : c’est le livreur de la mairie, j’ai un cadeau pour votre fils, vous habitez bien à telle adresse ? – Oui. – Formidable, j’arrive dans cinq minutes.

Je l’attends en bas de l’immeuble, et effectivement, cinq minutes plus tard, il rappelle : il nous attend sur le parking. Il nous fait un signe de la main, il descend, va chercher un sac dans le coffre, et le donne à mon fils. Les deux semblent aussi contents l’un que l’autre. On le remercie, et il repart pour la prochaine livraison.

On reste en bas de l’immeuble, assis sur les bancs et on regarde ce qu’il y a dans le sac : du sable kinétique, de la pate à modeler, un jeu de cartes avec des voitures et des camions (ils connaissent leur public !), un jeu de domino, un livret de coloriage Toy Story, une balle qui s’allume quand elle rebondit et un jouet pour se calmer les nerfs à base de petits bouts de plastique à pousser pour faire plop-plop. Autrement dit : le bonheur, pour un petit garçon de quatre ans.

On mange et on met le bébé au lit pour la sieste. On en profite pour se reposer un peu, mais vers quatorze heures trente le téléphone se met à hurler, aussitôt suivi par la sirène de la rue. Alerte sur Be’er Sheva.

On va dans le mamad, on ferme la porte et on attend. Comme il y a de moins en moins de choses dans le mamad (à cause du déménagement en cours), on joue avec la balle reçue ce matin. Elle rebondit dans tous les sens, elle s’éclaire, les enfants se la passent en riant. Pendant quelques minutes on oublie tout à fait où on se trouve et pourquoi on est là. Il y a presque comme une atmosphère de vacances : on joue comme on jouerait sur la plage d’Ashdod ou de Tel Aviv. A la différence près que, quelque part dans le bleu du ciel, se trouve des nuages gris, les décombres des missiles que le dôme de fer a fait exploser il y a quelques instants pour les neutraliser.

Après une dizaine de minutes on ressort. Le bébé ne se rendormira évidemment pas, alors on installe les jeux, et, pendant deux bonnes heures, tout se passe bien. Il y a quelques disputes autour du jouet qui fait plop-plop (énorme succès), mais la pâte à modeler met tout le monde d’accord. Je peux même me reposer un peu sur le canapé : le traitement pour la sciatique est censé se terminer aujourd’hui, mais la douleur est toujours là, même si elle est moins forte. Le déménagement n’aide évidemment pas, mais que faire ?

J’en profite pour envoyer quelques messages. Un couple d’amis a emprunté une voiture pour quelques jours et propose de nous aider à transbahuter quelques cartons dans le nouvel appartement. Je pose quelques questions pratiques à mon comptable, qui est à Jérusalem. Et je donne des nouvelles à un ami qui habite loin.

A seize heures trente, rebelotte. Sirène sur Be’er Sheva. J’attrape le bébé, mon fils court au mamad, et ma femme arrive alors qu’elle était dans une réunion. On s’installe dans le mamad, mais cette fois la tension est plus forte. Les enfants sautent partout ; on essaye de ne pas écouter ce qu’il se passe dehors.

Après neuf minutes c’est tellement le bazar qu’on ressort avant les dix minutes réglementaires. Soixante secondes qui ne changent probablement rien, mais dans ces périodes intenses on s’accroche à des détails.

Le reste de la soirée est calme. On arrive même à manger un repas chaud à une heure décente. On discute des derniers développements. Ma femme me dit qu’il y a un groupe qui cherche des lieux pour les soldats sur Be’er Sheva. Certains ont besoin d’un endroit où dormir, d’autres juste de venir prendre une douche, ou de passer un shabbat avec une famille. On s’inscrit aussitôt.

La rumeur veut également que l’école de mon fils réouvre peut-être dimanche prochain. On nous a dit : si c’est le cas, ce sera sans le transport. Cela me paraît plus que raisonnable : je préfère l’emmener et aller le chercher moi-même. Mais sans voiture, cela va nécessiter de prendre le bus : toute une logistique à réfléchir.

Bah. On verra demain. – fin du 18ème jour, 24 oct. 2023.