Mardi 30 janvier.
Aujourd’hui est passé comme au ralenti. On attend toujours la réaction américaine suite à l’attaque iranienne contre la base située en Jordanie. L’information principale, selon Reuters, est que Biden a choisi quelle serait la réaction. Et selon un article dans Politico, une fois qu’il donnera son feu vert, celle-ci sera mise en œuvre dans les deux jours. Elle devrait concerner plusieurs cibles.
On apprend également que l’administration américaine a fait passer le message aux Iraniens pour leur dire qu’ils n’étaient pas intéressés par une aggravation du conflit en cours. Ce à quoi les Iraniens auraient répondu que toute attaque sur leur territoire trouverait immédiatement une réponse.
Tout cela est distillé par les médias traditionnels, repris et amplifiés par les réseaux, dans un bruissement de gens qui semblent savoir mais qui préfèrent parler de façon anonyme.
Comme note une analyste spécialiste de la région : « Octobre 2023 : « La région du Moyen-Orient est plus calme aujourd’hui qu’elle ne l’a été depuis deux décennies » Sullivan
Janvier 2024 : « Nous n’avons pas connu de situation aussi dangereuse que celle à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui depuis au moins 1973 » Blinken
L’absence de réflexion stratégique est embarrassante. » (Zineb Riboua)
Et, dans le même ordre d’idée, on attend les résultats de la nouvelle négociation pour la libération des otages. Les pourparlers ont eu lieu à Paris, et on attend maintenant la réponse du hamas, qui a été invité par l’Egypte pour en parler.
Les familles des otages ont soupé de ce jeu depuis longtemps. Elles passent à l’action. A la frontière avec Gaza, elles manifestent tous les jours pour empêcher les camions de ravitaillement de passer. (Le ravitaillement est majoritairement récupéré par le hamas, qui s’en sert pour réapprovisionner ses troupes.) Pendant qu’on fait des ronds de jambe avec la communauté internationale, ce sont nos frères et sœurs qui sont prisonniers, dans des conditions auxquelles tout le monde pense mais sur lesquelles personne n’a envie de mettre les mots.
Blinken revient dans quelques jours. A nouveau, tout va être gelé avant que Monsieur le secrétaire d’état américain ne vienne dans la région pour dire comment, selon lui, doivent se passer les choses.
Partout, on attend. On est comme sœur Anne, mais au lieu d’être en haut d’une tour on est en haut d’un poste d’observation, et on attend, on ne voit que le désert qui poudroie et la pluie qui tombe.
C’est épuisant.
Nerveusement, on a l’impression d’être bloqué dans la fameuse histoire du gars dont le voisin du dessus balance, très fort, ses deux chaussures en rentrant chez lui à deux heures du matin. Le voisin se plaint que ça le réveille. Toutes les nuits, BOUM, BOUM, c’est insupportable. Le voisin dit qu’il fera attention, mais il oublie. Et ça reprend. Nuit après nuit, BOUM, BOUM. Jusqu’au moment où un soir, il rentre, il enlève sa première chaussure, la fait tomber sur le parquet (BOUM) et s’arrête avant de faire tomber la deuxième. Il la pose délicatement, sans aucun bruit. Le gars à l’étage du dessous est hyper-vigilent, et voilà qu’il n’y a eu qu’un BOUM ! Stressé au plus au point, après une heure d’attente, il fonce chez le voisin et l’engueule copieusement : et le second BOUM alors ?!
En anglais américain c’est devenu un proverbe : attendre que la deuxième chaussure ne tombe (waiting for the second shoe to drop). Cela décrit l’attente interminable d’un événement censé être inévitable.
On est dix millions à attendre que l’autre chaussure tombe. Lorsqu’elle va tomber, ça risque d’être une grosse chaussure.
En attendant, tout le monde aimerait prendre un peu d’air. Ma femme a réussi à aller à Jérusalem pendant quelques heures pour se changer les idées, mais je crains que mon horizon ne soit beaucoup plus restreint. La seule option pour l’instant consiste à aller rendre visite aux amis qui sont enfin rentrés chez eux dans un moshav en bordure de Gaza. Niveau dépaysement, ce n’est peut-être pas la bonne direction.
Une personne sur X explique combien il est important de se changer les idées quand on est impliqué comme nous le sommes. Elle a pris une journée de vacances pour aller dans le désert se promener. Pas de nouvelles, pas de stress, rien d’autre que la beauté et le calme. J’en rêve. Mais mon voyage ne peut être que par procuration, alors je suis différents comptes Twitter qui parlent des endroits où j’aimerais aller, et je profite de leurs photos et de leurs vidéos. En ce moment je prends souvent le train dans la campagne japonaise, pour voir les paysages sous la neige.
J’ai d’ailleurs reçu aujourd’hui ma nouvelle commande Amazon Japon. Voilà un service efficace. Cinq jours entre la commande et la livraison, week-end compris ! Les frais de port sont un peu plus élevés que ce à quoi on pourrait s’attendre, mais avec un service pareil, ça les vaut. Et comme dit ma femme : c’est toujours moins cher qu’un billet d’avion.
Cette fois-ci, j’ai commandé un livre dont je rêve depuis une quinzaine d’années : un dictionnaire historique de calligraphie (micro-niche : s’il y en a plus cinq de ce genre dans tous le pays, je serais étonné). J’ai étudié la calligraphie japonaise pendant des années, d’abord avec un professeur particulier (j’étais affilié à une école de calligraphie à Kyushu), puis dans un atelier. On choisissait le thème sur lequel on voulait travailler, on bossait chacun de notre côté et le professeur passait nous donner des conseils et corriger nos erreurs.
Le professeur amenait chaque semaine une série de livres, qu’elle traînait dans un chariot à roulettes. Des copies de classique, des manuels théoriques, des exemples de différents styles : tout ce qui est nécessaire à l’apprenti calligraphe. Mais mon préféré était l’épais dictionnaire historique. On cherche un caractère, et on a aussitôt une série de reproductions selon les styles, les époques ou les calligraphes connus. C’est une mine d’informations et un plaisir pour les yeux.
Le seul problème c’est que les dictionnaires de ce style sont épais, lourds, et relativement chers. J’en ai trouvé plusieurs au Japon, mais le rapport poids/prix était trop défavorable. Idem à Paris : j’en ai dégotté un dans une librairie japonaise, mais c’était trop encombrant. Prendre un dictionnaire de ce type, c’est renoncer à au moins dix livres de poche dans la soute de l’avion. Bonjour le coût d’opportunité.
Et voilà qu’Amazon Japon livre à nouveau en Israël. J’ai regardé ce qu’ils avaient sur le sujet, et j’ai fini par trouver celui qu’avait mon professeur. Merveille ! Je l’ai installé sur l’étagère au-dessus de mon bureau, là où je garde tous les livres de référence. Le titre est calligraphié en style de chancellerie (mon préféré) : sobre et élégant, lisible et pourtant expressif quand il est bien maîtrisé.
Quand je l’ai commandé, j’ai pensé (sottement) : il peut arriver ce qu’il arrivera ; au moins, j’aurais de quoi lire.
Si vis pacem, para libros.
– Fin du 116ème jour, 30 janvier 2024, 20 shevat 5784.