Journal d’un civil (153) L’entourloupe

Jeudi 7 mars

Les Démocrates sont dans la panade. L’élection arrive à grand pas, rien n’est prêt. Personne ne prend le candidat sortant au sérieux, pas même lui-même ; rien n’indique d’ailleurs qu’il est soit vraiment au courant qu’il l’est.

Les sondages indiquent que Biden est derrière Trump, mais ce sont des sondages nationaux, qui ne prennent pas en compte les caractéristiques de l’élection.

Le candidat républicain, lui, est en pleine forme (électorale). Il a survolé les primaires. Une seule candidate sérieuse s’est déclarée contre lui, et elle n’a réussi qu’à gagner dans le Vermont et dans le district de Columbia. Après le super Tuesday, qui a eu lieu cette semaine, l’affaire est pliée. Trump sera le candidat républicain.

Alors les Démocrates sont un peu fébriles. D’une part à propos du candidat. On a senti il y a quelques semaines qu’ils commençaient à se demander quoi faire. D’autre part sur la stratégie. Ils ont réussi à se laisser convaincre que le vote musulman allait être clé, et ont mis en place tout un plan censé régler leurs problèmes.

Pourquoi le vote musulman ?

Parce que l’élection présidentielle américaine n’est pas exactement une élection nationale : c’est la somme de cinquante et quelques élections, organisées par les états et autres collectivités.

Dans cette architecture assez complexe, l’élection se joue, depuis quelques décennies, sur un petit nombre d’états, qui votent tantôt d’un côté tantôt de l’autre, d’où leurs noms de « swing states », les états balançoires.

Les candidats se concentrent donc sur ces états en priorité, sachant que les autres leur sont plus ou moins acquis.

Le Michigan est un de ces états. En 2020, lors de la dernière présidentielle, Biden était arrivé en tête, mais de seulement 155 000 voies. Autant dire qu’il suffit de peu pour que l’état bascule côté républicain.

Le Michigan est également un état où se trouve une grosse communauté musulmane : environ 250 000 personnes (loin derrière l’état de New York, avec 725 000 environ). Ils ont d’ailleurs envoyé au congrès une députée d’origine palestinienne, dont les positions n’ont rien à envier à nos ennemis d’ici.

Le Michigan, enfin, est un état qui a une règle assez rare dans les primaires : on peut voter uncommited, c’est-à-dire « non engagé ». C’est une option qui permet de laisser la porte ouverte pour que le délégué choisisse, par exemple, un candidat dont le nom n’était pas sur le bulletin.

Les pro-hamas, pro-cessez le feu américains ont mis au point la stratégie suivante : vote non engagé, pour montrer le poids électoral aux démocrates, et ensuite chantage : soit vous suivez nos demandes de faire pression sur Israël, soit on ne vote pas pour vous et vous perdez le Michigan, et donc la présidence.

Les Démocrates auraient pu leur rétorquer : aucun problème, votez Trump, vous nous direz ce que vous pensez du résultat.

Au lieu de ça, tout est en train de se mettre en place pour ne pas froisser l’électorat musulman potentiel, qui, selon cette analyse est anti-israélien.

C’est probablement dans cette perspective qu’il faut lire un certain nombre de nouvelles qui nous parviennent depuis quelques semaines.

Par exemple : la pression américaine pour ne pas aller à Rafah ; la demande d’augmenter le nombre de camions qui entrent (alors que ça ne dépend pas d’Israël : on est en sous-capacité au niveau des contrôles d’après le porte-parole du gouvernement, mais de la distribution ensuite, que l’ONU n’arrive pas à assurer, étant donné que l’UNRWA est noyauté par le hamas) ; les parlementations qui n’aboutissent à rien avec le Liban et le hezbollah ; les demandes de cessez-le-feu et d’accord avec le hamas, et les négociations qui continuent sans fin ; le voyage de Gantz à Washington, visiblement contre l’avis du premier ministre.

L’objectif américain ? Difficile à dire, étant donné qu’ils avancent masqués. Dans l’immédiat un cessez-le-feu juste à temps pour le ramadan. Six semaines, qu’ils espèrent transformer en trêve plus permanente. Trêve qu’ils espèrent ensuite utiliser comme levier pour négocier avec le Liban le retrait du hezbollah, et avec l’Arabie Saoudite pour un accord de paix formel. Puis, en bouquet final, l’établissement d’un état palestinien. Où ? Dans quelles frontières ? A quelles conditions ? Personne ne sait, mais il est clair que c’est le but final, et, en toute logique, ce but devrait être accompli d’une manière ou d’une autre, dans la perspective de l’administration américaine actuelle, d’ici les élections, qui auront lieu en novembre.

Si ça paraît totalement absurde, voire franchement idiot, c’est probablement parce que ça l’est.

Mais à nouveau, si on fait cette hypothèse, certains événements prennent un sens. Par exemple l’accélération pour réformer l’autorité palestinienne, qui parle désormais de faire un gouvernement d’union nationale. Pourrait-on dire quand même que cette union nationale se ferait avec le hamas ?

Ça explique également pourquoi tout d’un coup, les bruissements de politique politicienne reprennent en Israël, avec en arrière-fond Ehud Barak, le véritable leader de l’opposition (Lapid trépigne d’entrer dans la coalition), qui verrait bien des élections en juin.

Le seul hic ? Rien de tout ça n’entre dans les intérêts d’Israël. Ce n’est pas dans notre intérêt d’avoir un cessez-le-feu avec le hamas, ce n’est pas dans nos intérêts de transformer ce cessez-le-feu en trêve, ce n’est pas dans nos intérêts d’avoir une autorité palestinienne qui fasse entrer le hamas dans ses rangs, ce n’est pas dans nos intérêts d’avoir un état palestinien à nos frontières.

Même Biden s’en rend compte, ce qui explique probablement pourquoi il applique autant de pression sur les Israéliens. Il a même demandé un mémorandum sur les ventes d’armes à Israël. Officiellement c’est juste pour bien coordonner. Tout le monde a compris que c’était une menace.

Gantz s’est rendu à Washington cette semaine. Le but du voyage n’était pas très clair. Certains ont dit qu’il espérait peut-être tirer un gain du fait de parler avec les Américains, qui voyaient en lui un membre du gouvernement qui n’est pas Netanyahou. Entendre : il espérait leur soutien pour l’après-Bibi.

Mais d’après le compte-rendu qu’on a, tout s’est passé à l’opposé : il a servi de punching ball, pour une équipe américaine qui en a visiblement gros. Ce qui permet d’en savoir un peu plus sur ce qui les contrarie.

Premier critique : il n’y a pas assez d’aide qui entre à Gaza. Deuxième critique : Rafah, mission impossible ; où vont aller le million de personnes qui s’y trouvent ? Troisième critique : la guerre était censée être terminée en janvier, tant que ça continue, on ne peut pas avancer sur les autres dossiers, en particulier le deal avec l’Arabie Saoudite.
Selon un officiel israélien, la conclusion de Gantz est : « Il y a actuellement une grande difficulté dans les relations avec les États-Unis et nous devons trouver un moyen de la surmonter. »

Tout le plan américain actuel repose sur ce fameux cessez-le-feu avant le début du mois de ramadan, qui doit commencer dimanche ou lundi prochain. On a appris aujourd’hui que le hamas avait dit non.

Les Américains vont encore être chagrin.

Fin du 153 ème jour, 7 mars 2024, 27 adar I 5784.