Huizong, Empereur calligraphe (1/2)

Première partie : vie de l’empereur Huizong

La période des Song est l’un des sommets de l’histoire chinoise. Le pays est alors prospère, fortement peuplé et son développement, aussi bien culturel que technique, va avoir une influence sur le reste de l’Asie et du monde. La période Song est divisée en deux phases. La première s’étend de 960 à 1127, la seconde, appelée « Song du sud », continue pendant quelques cent cinquante ans, jusqu’en 1279.

La raison de cette cassure ? Le pays est envahi par les Jurchens, un peuple situé à la frontière nord avec lequel les Song ont des relations pour le moins complexes. La dynastie change de capitale, le pays rétrécit, et la mémoire de ce traumatisme national se transmet. Entre les deux, un empereur, Huizong, qui est d’emblée accusé par les historiens d’être la source de la débâcle. Mais, alors que l’historiographie chinoise donne une image très négative de lui, un autre aspect de sa personne résiste au temps. Car Huizong est également un artiste de premier plan, et un calligraphe hors pair. Au point qu’on dise que, s’il n’avait pas été Empereur, il aurait été considéré comme l’un des principaux calligraphes de l’histoire.

Portrait et analyse de l’œuvre de ce génie du pinceau.

Né en 1082, Zhao Ji (趙佶) est le troisième fils de l’empereur Shenzong, et, à ce titre, il n’est pas destiné à régner. Il reçoit une éducation de qualité, comme il sied aux princes de sang, mais il n’est pas préparé à l’exercice du pouvoir. Lui, ce qui l’intéresse plus particulièrement, ce sont les arts, notamment parce que deux de ses « oncles » (en réalité des parents éloignés), qui sont également ses tuteurs, sont des artistes accomplis.

L’un d’eux, Wang Shen, était un lettré connu pour sa collection de calligraphies et de peintures, l’une des plus importante du pays. Il fréquentait les grands artistes de son temps, et c’est avec lui que Zhao Ji va étudier, entre autres, la calligraphie. Il s’y adonne complètement : on raconte par exemple qu’il lui arrivait souvent de recopier le même texte dans tous les styles possibles, au moins une dizaine, quand les élèves « normaux » se limitent en général à trois ou quatre.

En 1100, son frère, décède après être devenu empereur. Zhao Ji monte sur le trône du dragon. Il quitte le manoir qu’on avait fait construire pour lui en dehors de la capitale, un lieu où il pouvait vivre de façon insouciante, et rejoint le palais, dans la capitale fortifiée. Sa vie change du tout au tout : il s’appelle désormais l’empereur Jiaozhu Daojun (Huizong est son « nom de temple », son nom posthume utilisé à la base dans un contexte religieux, mais devenu par la suite le nom courant sous lequel il est connu).

Il est jeune, mais dans le contexte de l’époque, c’est déjà un adulte censé être capable d’assumer la charge. Il est entouré de nombreux conseillers, et se trouve à la tête de l’administration impériale. Dès son arrivée il doit gérer une crise assez rude. Deux factions se combattent au sein de la cour. La première, qualifiée de réformiste, soutient la politique mise en place par Wang Anshi, qui était en quelque sorte le premier ministre de son père. La seconde, qualifiée de conservatrice, y est radicalement opposée. Les deux factions ont eu le pouvoir successivement : d’abord les réformistes, puis, au moment de la transition, les conservateurs, et, maintenant que Huizong est empereur, ce sont eux qui tiennent encore le pouvoir.

Huizong espère concilier les deux factions, et, pendant deux ans, il va tout faire pour trouver un arrangement. Constatant l’échec de cette tentative, il prend parti : il fait expulser le camp conservateur, prend des mesures extrêmement dures contre eux, et installe les réformateurs au pouvoir. Il ne le sait évidemment pas, mais il a semé là les graines de sa chute.

Les premières années du règne sont joyeuses. Le pays connaît une prospérité comme il n’en a jamais vu auparavant : la dynastie Song est à son apogée. Le territoire chinois compte entre 90 et 100 millions d’habitants. La capitale, Bianliang (aujourd’hui Kaifeng) est une ville de plus d’un million d’habitants. L’agriculture connaît un développent sans précédent. Les rendements sont meilleurs, les surplus permettent à la population de se développer et de prospérer.

Le niveau technique est également très avancé. On emploie du papier monnaie pour la première fois de l’histoire, on invente les caractères d’imprimerie mobiles (moins utilisés que la technique de l’impression par plaques étant donné le grand nombre de caractères dont il faut disposer), on découvre l’utilisation de la boussole et du vrai Nord magnétique. La culture suit le même chemin : lorsqu’on pense, aujourd’hui, à la culture classique chinoise, c’est souvent, sans le savoir, à la dynastie Song. C’est la période où se cristallisent les grands sujets de peinture, et c’est aussi le moment où l’art du thé prend son essor. Il est alors fouetté pour faire une émulsion, technique reprise par les Japonais, et utilisée jusqu’à ce jour.

Dans cette dimension, Huizong est dans son élément : il va contribuer à enrichir et à diffuser cette culture. Il va par exemple être un grand collectionneur. Il se procure des œuvres anciennes comme des œuvres contemporaines, et fait produire des catalogues extrêmement complets et précis des œuvres. La calligraphie n’est pas en reste : le catalogue qui lui est consacrée dresse la liste de mille deux cents œuvres réalisées par deux cent quarante-sept artistes différents, dont deux cent quarante-trois de Wang Xizhi et quatre-vingt-neuf de Wang Xianzhi, considérés comme les deux plus grands calligraphes de tous les temps.

Il créé également des académies, où sont formés les futurs artistes, et attire à la capitale ceux qu’il considère comme les meilleurs. Son académie de calligraphie a un niveau très élevé : on y enseigne le style de onze maîtres différents, chacun étant choisi pour son excellence dans un type de caractères.

Il y tient : c’est que l’empereur est, lui-même, un excellent calligraphe.

Lorsqu’il monte sur le trône, son style est déjà sûr. Mieux : il a inventé, dans sa jeunesse, un style particulier, qu’il a eu le temps de perfectionner, un style qu’il nomme le style en « or grêle ». Sa caractéristique ? Des caractères aux traits fins, très fins, qui réduisent chaque idéogramme à ses caractéristiques les plus essentielles.

L’effet produit est saisissant. Outre le fait que le style est immédiatement reconnaissable, il donne une impression de vigueur et de fermeté, deux traits qui ne sont pas sans desservir l’empereur.

Il aime ce style au point qu’il va l’utiliser dès le début de son règne, et ce dans deux domaines tout à fait différents.

Le premier est purement politique : il concerne le bannissement de la faction conservatrice. Plusieurs listes noires sont produites successivement : elles contiennent les noms de cent à mille personnes déclarées persona non grata. Celles-ci sont alors exilées et interdites d’exercer des fonctions officielles.

La liste est inscrite sur une série de stèles, de la main de l’empereur, dans le style de l’or grêle, qui prend alors une dimension sèche et redoutable : l’empereur a décidé, l’empereur a écrit.

Peu de temps après, peut-être pour tempérer ses listes noires, Huizong va mettre en place une seconde série de stèles, cette fois-ci dans un contexte beaucoup moins sombre : celui de l’éducation.

Cai Jing, qui est l’équivalent de son premier ministre, poursuit l’œuvre de Wang Anshi commencée sous le règne de son père. Devant l’afflux d’étudiants à l’académie impériale, il crée une nouvelle institution pour le premier degré, l’académie de Biyong, qui va abriter plus de trois mille étudiants. L’entreprise est à la fois culturelle et politique. Il s’agit de former et de sélectionner les futures élites, mais il s’agit surtout de les former à la pensée jugée adéquate par l’empereur et ses conseillers.

Huizong écrit un texte à l’occasion de l’inauguration, texte qui va être gravé sur une stèle qui sera bien en vue dans l’académie. Le style choisi ? Celui de l’or grêle. Le texte est distribué à toutes les écoles des préfectures pour être gravé sur des stèles. L’écriture de l’empereur est à nouveau largement diffusée.

Huizong est un lettré, mais c’est aussi un lettré accompli dans les autres domaines du pinceau. En plus d’être un excellent calligraphe, c’est un très bon peintre, et un très bon poète.

Il écrit des traités, entretien une correspondance abondante : il n’y a pas un genre auquel il n’ait touché. Le catalogue de ses œuvres complètes compte cent chapitres !

Un autre événement important est à noter dans le règne de l’empereur Huizong, événement qui concerne directement notre sujet. En raison de l’augmentation de la richesse produite par le pays, le besoin de monnaie augmente également. Celle-ci est produite abondamment : on estime qu’au sommet de la dynastie Song il y avait 185 milliards de pièces en circulation (!). La tentation d’en produire trop est également présente. Les pièces de 10 sen en particulier sont soupçonnées d’être contre-productives. Un des conseillers de l’empereur écrit un mémoire sur le sujet pour expliquer pourquoi.

Le point qui nous intéresse n’est cependant pas économique : les mots écrits sur les pièces le sont dans la calligraphie de l’or grêle, renforçant encore, dans l’esprit du peuple, l’association entre l’empereur et son style d’écriture si particulier, ce qui lui vaudra d’être connu sous le surnom populaire d’ « empereur calligraphe ». 

Pour des raisons qui dépassent le cadre de notre sujet, le royaume des Song est attaqué en 1122 par les Jurchens, un peuple qui se trouve au Nord-Est et avec qui les relations étaient pour le moins complexe depuis des décennies. Leur infériorité militaire avait par exemple poussé les Song à accepter de payer un très lourd tribut annuel aux Jurchens. Mais comme ceux-ci dépendaient des biens manufacturés par les Song, le tribut finissait par revenir dans l’économie Song.

Toujours est-il qu’après un changement géopolitique dans la région, les Jurchens se sentent pousser des ailes et fondent sur les Song, dont la défense est totalement défaite. L’empereur est capturé dans la capitale en 1127 : c’est la fin de la dynastie, la chute de l’empire aux mains des barbares. Ou presque. Car la dynastie Song va se replier sur le sud du pays, où elle va continuer à prospérer pendant encore un siècle et demi.

En raison de la chute des Song du Nord, l’empereur Huizong a d’emblée acquis, dans l’histoire chinoise une très mauvaise réputation. Nombreux sont les penseurs qui ont essayé d’analyser au fil des siècles, les raisons de cet effondrement soudain. Beaucoup pointaient l’empereur du doigt, et c’est devenu un cliché que de le représenter comme un mou incompétent, plus intéressé par les arts que par les problèmes politiques, conseillé par un ministre de piètre qualité.

Le sujet concerne les historiens, mais il n’est pas exagéré de dire que la vision contemporaine que l’on a de Huizong est beaucoup plus nuancée. Ce qui nous intéresse nous, c’est son apport à la calligraphie chinoise, et son style de l’or grêle qui est devenu, jusqu’à aujourd’hui, un style absolument incontournable.

Voilà qui sera le sujet de notre prochain article.


Sources et commentaires en fin de la deuxième partie.