Mardi 20 février.
Depuis le début de la guerre, nous sommes assommés de nombres. Il y en a dans tous les sens, et ils semblent tous fonctionner comme un compteur qui ne s’arrête jamais. Ça tourne, ça tourne, ça tourne à en donner le tournis.
Le premier compteur, c’est le nombre de jours qui s’écoulent depuis le 7 octobre. Nous en sommes à 137. J’ai pris l’habitude de les noter au début de chaque texte, parce que, dès le départ, le temps me paraissait s’embrouiller trop rapidement. Au bout de trois jours, je ne savais plus tout à fait si on en était à trois ou quatre, et au bout d’une semaine, tout était complétement flou. D’autant plus que j’avais souvent un jour d’écriture de retard : le compte était indispensable.
Je ne suis pas le seul à procéder ainsi. La presse affiche chaque jour le nombre en question. Il est en une dans les versions papier, et sur un bandeau, en haut, dans les versions Internet.
Autre chiffre qui rythme les nouvelles : le nombre de morts à Gaza. En général, je le vois chaque jour dans l’après-midi, sur une chaîne d’information que je suis. La source ? Le ministère de la santé du hamas. Autant dire que c’est un chiffre à prendre avec de grosses pincettes. Durant les opérations précédentes, ils donnaient des chiffres qui étaient cohérents avec ceux que donnaient les ONG sur place, et ils étaient en général plus ou moins cohérents avec ce qu’observaient les Israéliens. Cette fois-ci il semble que ça soit loin d’être le cas. En premier lieu parce qu’il inclut les combattants avec les civils, en deuxième lieu parce que les chiffres sont assez fantaisistes.
Plusieurs personnes se sont penchées sur les données statistiques pour montrer toutes les irrégularités qu’elles contenaient. La dernière étude vient du Washington Institute. Le rapport commence en expliquant « qu’[il] révèle comment les statistiques du Hamas sont incohérentes, imprécises et systématiquement manipulées pour minimiser le nombre d’hommes et de militants tués. »
Autrement dit, c’est une manière de minimiser le nombre de soldats tués et d’accentuer la pression sur l’opinion internationale. Le hamas a donné il y a quelques jours le chiffre de 6 000 combattants tués dans ses rangs. Les Israéliens estiment que le chiffre s’élève à 12 000. Dans les deux cas, il permet d’évaluer le ratio entre les soldats et les civils. Le résultat est clair : il est beaucoup plus bas que dans n’importe quel autre conflit, qui plus est dans un contexte de guérilla urbaine.
Michael Oren explique : « Bien que le Hamas soit bien connu pour gonfler grossièrement le nombre de ses victimes, même les 28 000 morts civils cités par le « ministère de la santé de Gaza » donnent raison à Israël. Les 28 000 comprennent les quelque 12 000 terroristes tués par les FDI. Si l’on déduit ce nombre ainsi que les victimes civiles causées par les 30 % de roquettes du Hamas qui tombent à côté dans la bande de Gaza, on obtient un total d’environ 13 000 victimes civiles. Cela représente un ratio de près d’un combattant tué pour chaque civil.
« Selon le New York Times, le Boston Globe et l’Institut Watson de l’Université Brown, lors des guerres américaines en Syrie, en Irak et en Afghanistan, le ratio était de quatre civils tués pour chaque combattant. Pour l’intervention de l’OTAN en Serbie en 1999, ce rapport était également de quatre pour un.
« Outre les défis sans précédent auxquels sont confrontées les forces israéliennes à Gaza, leur succès dans la réduction des pertes civiles est également inégalé. »
Le hamas donne ses chiffres, le hezbollah également. A chaque fois qu’un de ses soldats est tué, ils publient une infographie un peu kitsch, qui montre sa photo et qui donne un bref aperçu de qui est la personne. Il est appelé « martyr en route vers Al Aqsa », ce qui est censé être un honneur. Mais il y a eu un moment où ils avaient arrêté de donner les noms, pour ne pas donner l’air d’être en mauvaise posture et de perdre trop de troupes, qui plus est de personnes importantes.
Côté israélien, l’angle est un peu différent. En général on apprend le nom d’un soldat, qui est accompagné de sa photo, sur les réseaux ou dans la presse. Il existe un site qui donne un peu plus de détails, mais qui n’est accessible que depuis Israël.
Autre chiffre : le nombre d’otages encore retenus à Gaza. Il y a des débats autour du chiffre exact. A chaque fois que je lis un chiffre, je vois un commentaire qui dit « mais ça n’inclut pas telle personne » ou au contraire « ça inclut telle autre ».
D’autres chiffres arrivent, passent, et repartent aussi vite. Je n’y prête presque aucune attention : il s’agit des sondages divers et variés sur la politique israélienne. Si les élections avaient lieu demain, untel sortirait gagnant, untel serait en baisse. Tel parti obtiendrait tant de sièges, tel parti tant d’autres. Les coalitions possibles seraient x ou y. Ces sondages me paraissent aussi réels qu’une licorne frappant à la porte pour donner les numéros du loto. Pour une raison simple : je ne connais personne dans mon entourage proche ou moins proche, qui soit intéressé par la question. Ici, dans le Néguev, à quelques kilomètres du champ de bataille, la question politique ne se pose pas en ces termes. Ce matin, j’ai croisé un copain que je n’avais pas vu depuis longtemps. Et pour cause : il était en réserve à Gaza. Et maintenant qu’il est de retour, et il travaille à l’hôpital. J’imagine qu’il a une opinion politique, comme toutes les autres personnes à qui je parle et avec qui je vis. Mais personne, personne ne se dit : qui tire le mieux son épingle du jeu en ce moment ? La question est sans objet. Le jour où il y aura des élections on aura bien le temps de se la poser.
Une autre série de chiffres, beaucoup plus intéressante, est arrivée cette semaine : les chiffres de l’économie pour la fin 2023. Ils sont plutôt bons, en dépit de la guerre.
Le PIB a chuté de 19,4% au dernier trimestre. La croissance en 2023 est néanmoins restée positive, à 2%. (France : entre 0,5 et 0,9 selon les prévisions). Pendant le 4ème trimestre, la consommation a chuté de 8%, l’investissement de 22%, mais la dépense publique a augmenté de 22%. Dépenses militaires : 6% du PIB (27% au moment de la guerre de Kippour). Le commerce de biens avec l’étranger a augmenté depuis le début de la guerre, et ce en dépit des attaques des Houtis, mais reste en deçà de 2022.Le commerce avec la Turquie et la Jordanie reste stable. Pénurie de 100 000 travailleurs dans le bâtiment.
Les prévisions de la banque d’Israël et du ministère des finances : scénario 1, pas de guerre dans le nord : 1% de croissance et ratio dette sur PIB de 69%. scénario 2, guerre dans le nord. Croissance négative de -2% et ratio dette sur PIB de 72%. (Source : analyse des données du bureau des statistiques par Eyal Hashkes).
Mon récapitulatif préféré reste celui que je vois tous les matins, dans la newsletter que publie une amie, et qui fait une synthèse de toutes les informations de la veille. Elle commence tous les jours ainsi :
« Résumé de la guerre, jour cent trente-sept
134 personnes sont retenues en captivité à Gaza.
112 otages libérés.
11 corps d’otages sauvés.
32 otages assassinés à Gaza.
Plus de 1 400 Israéliens assassinés.
235 soldats sont tombés dans la bataille de Gaza.
6 soldats tombés dans le nord d’Israël.
3 soldats tombés en Judée et Samarie.
14 900 blessés.
13 300 roquettes tirées sur Israël.
186 000 Israéliens déplacés de leurs maisons.
1 nation juive unie dans la prière, la charité et les bonnes actions. »
Une nation unie, c’est le chiffre essentiel.
– Fin du 137ème jour, 20 février 2024, 11 adar I 5784.