Olivier F. Delasalle

Opération Epées de fer – Journal d’un civil (10) Héros

Héros

Depuis plus d’une semaine, on voit passer, une à une, les histoires tragiques de ce qu’il s’est passé samedi 7 octobre 2023. Je n’arrive pas à les regarder en face. Chacune me bouleverse et je n’ai pas la place, dans ma tristesse, pour des centaines d’histoires.

Mais dans ces ténèbres poisseuses flottent quelques éclats de lumière. Des personnes ordinaires qui se sont comportées de façon héroïque. Des histoires de survivants. Des histoires de petits riens qui parfois prennent des allures de bouées et auxquelles on se rattache, même si elles sont fragmentaires, même si elles sont embellies, même si elles sont de troisième main.

Journal d’un civil (9) Actualité

Actualité

Dimanche, six heures du matin. Je rallume mon téléphone après trente-six heures de pause. Il y avait un consensus très fort, y compris chez les autorités rabbiniques, pour dire qu’on pouvait laisser notre téléphone allumé pendant shabbat, mais je n’ai pas eu la force. Besoin d’une vraie pause, d’autant que nous ne sommes pas sortis dehors, que le mamad est à dix secondes de n’importe quel point de l’appartement et que les sirènes sont là quand il faut.

J’ai une légère angoisse à l’idée de ce que je vais trouver dans les nouvelles. Est-ce que les bombardements ont continué avec la même intensité ? Est-ce que l’opération terrestre a commencé ? Est-ce que le bilan s’est encore alourdi ?

Opération Epées de fer – Journal d’un civil (7 et 8) Le week-end

Le week-end. Vendredi 13 oct.

En Israël, le week-end commence le jeudi soir. Ce qui veut dire que le vendredi est comme le samedi en France ; logique, étant donné que le samedi est comme le dimanche. Tout ça vient du fait que le dimanche est comme le lundi, ce qui veut dire que les Israéliens ont trouvé la solution pour se débarrasser des longs dimanches pluvieux et ennuyeux : ils les ont carrément supprimés.

Opération Epees de fer – Journal d’un civil (6) Le parc

Jour 6. Le parc.

Aujourd’hui je me paye le luxe d’une grasse matinée interminable : je me lève à 7h15. La journée commence tranquillement, avec un peu de café et quelques tartines. Je suis le dernier debout, tout le monde vaque à ses occupations. Ma femme me dit : ce matin, il y a une activité au parc Machin, on va aller retrouver une copine.

Très bonne idée. Cela fait presque une semaine qu’on ne sort que de façon très sporadique, et les enfants commencent à trouver le temps très long.

Opération Epées de fer – Journal d’un civil (5) Alarmes et fausses alarmes

Jour 5. Alarmes et fausses alarmes.

Cela fait trois jours que nous n’avons que des alertes sporadiques à Be’er Sheva. En un sens, on est presque des privilégiés. En général l’unique sirène se déclenche en milieu ou fin d’après-midi. Un schéma qu’on avait déjà repéré lors d’un précédent cycle de violence. La blague consistait à dire que c’était le moment du changement d’équipe : il fallait bien montrer qu’ils avaient fait quelque chose !

Ce soir, vers 19h45, je reçois une alerte étrange. Un simple son, particulièrement crispant, et un message du Homefront command qui dit en substance « enfermez-vous dans un endroit protégé et attendez les instructions ». L’alerte est étrange parce qu’elle n’est accompagnée d’aucune sirène, et parce qu’elle n’est pas relayée par les autres applications que j’utilise.

Opération Epées de fer – Journal d’un civil (4) Le sac-à-dos

Sac-à-dos

Ce matin je me lève le premier, vers 5h30. Pour la première fois depuis quelques jours, j’ai l’impression d’avoir un regain de vitalité, comme si quelque chose s’était activé et me permettait à nouveau de fonctionner normalement.

Comme tous les matins, je fais netilat yadaim, le rituel qui consiste, au réveil, à verser de l’eau sur la main droite et la main gauche, en alternant. Alors que l’eau part dans le lavabo, il y a comme quelque chose qui me pesait qui s’en va avec. Force symbolique et psychologique des rituels millénaires.

Opération Epées de fer – Journal d’un civil (3) L’unité

Opération Epées de fer – journal d’un civil. Jour 3.
Unité.

Il y a une semaine, nous mangions dans la soukkah d’un couple d’amis francophones. Très vite, la conversation porte sur nos multiples identités et sur les nombreux lieux où nous avons vécu. Et de là, elle glisse, au moment d’attaquer le poisson, sur la politique israélienne. Tout le monde semble plus ou moins d’accord : le pays est très divisé, c’est terrible, la société se fracture.

On était cinq et il n’y avait qu’une opinion : je me sens obligé de soutenir la position inverse. J’avance l’idée que la société israélienne donne l’impression d’une grande division, mais que ce n’est qu’une façade. Derrière, elle est d’une qualité absolument exceptionnelle. Stupeur sous la soukka : on est entre francophones, soyons un peu pessimiste quand même !

Opération Epées de fer – Journal d’un civil (2) Le jour d’après

8 octobre 2023. Le jour d’après.

Le jour d’après est, d’une certaine manière, pire que le jour même. Parce que hier on n’était sûr de rien. On savait à peine ce qu’il se passait, et, quel que soit l’événement considéré, il y avait un peu d’espoir que cela se résolve au mieux. Qu’on libère les prisonniers, qu’on retrouve les disparus et que tout le monde soit aussi sain et sauf que possible.

Mais aujourd’hui, le jour d’après, on sait. On connait la conclusion de beaucoup d’informations fragmentaires. Elles arrivent peu à peu au fil des heures, et s’assemblent, puzzle sanglant, dans la psyché nationale.

Opération Epées de fer – Journal d’un civil (1) La sidération

Jour 1. La sidération.

Six heures trente, matin de shabbat : première alerte sur Be’er Sheva. Moment de sidération. Est-ce que c’est vraiment une sirène ? Est-ce que c’est un exercice ? Est-ce que je suis en train d’imaginer le bruit ? Après trois rugissements je sais que non, c’est bien réel, et qu’il faut réagir : on a une minute pour aller aux abris.

Je dis à mon fils d’aller au mamad, dans la pièce blindée et je vais chercher ma fille qui dort encore. Ma femme arrive, les yeux encore englués. Qu’est-ce qu’il se passe ? Aucune idée.

Le silence du jardin et le souffle du désert

Il y a des moments de l’Histoire où le bruit du monde devient un fracas insupportable.

Le lettré, pour sa part, a besoin de silence. Son travail est délicat. Il a la responsabilité des valeurs et des livres, il a la responsabilité des mots et des idées. C’est un travail lent et intime, un travail qui demande un certain retrait. Un travail qui nécessite de trouver un endroit où le monde se taise quelques heures par jour.

Dans les périodes historiques où tout semble aller normalement, il suffit d’un bureau avec une porte qui ferme bien, ou même d’un coin de table dans un café où personne ne vient vous accoster.