Journal d’un civil (68) Le miracle, Hanoukah VI

Mercredi 14 décembre

Qu’est-ce qu’un miracle ? Le sujet est longuement débattu dans la tradition hébraïque. Deux écoles de pensée discutent. D’une part ceux qui disent que le miracle vient briser l’ordre de la nature, d’autre part ceux qui disent que non, le miracle vient de l’intérieur des lois de la nature. Comme souvent dans les débats juifs, vient un troisième qui réconcilie les deux.

Mais pour aujourd’hui, adoptons l’un des points de vue : le miracle comme venant de l’intérieur du monde naturel. Ce qu’on appellerait dans la culture occidentale la coïncidence, en tous cas la coïncidence signifiante. Un événement qui peut arriver, même si sa probabilité est relativement faible, mais un événement qui, en soit, n’a rien d’extraordinaire. Ce qui le rend extra-ordinaire, en plus de sa très faible probabilité, c’est le moment où il se produit. Le miracle, ce fait improbable qui se produit au moment déterminant.

Un peu comme dans les cartoons lorsque le chat tombe par la fenêtre du haut d’un immeuble et qu’il tombe sur un camion de matelas qui vient de s’arrêter pile au bon endroit à cause du feu rouge.

Commençons par des exemples connus, puisés directement dans le texte des textes. Il est possible de lire pratiquement tous les événements réputés miraculeux du Pentateuque de façon naturaliste.

Les dix plaies d’Egypte par exemple : prises séparément, elles sont presque chacune des événements naturels documentés, y compris de nos jours. (A considérer que la première, le Nil qui devient du sang, soit une métaphore : il devient rouge sang, ce qui arrive).

La traversée de la mer des joncs (le nom original de la mer dont on est loin d’être sûr qu’il s’agissait de la mer Rouge) ? Le texte lui-même dit que l’ouverture est due à un vent puissant qui a soufflé toute la nuit : “Moïse étendit sa main sur la mer et l’Éternel fit reculer la mer, toute la nuit, par un vent d’est impétueux et il mit la mer à sec et les eaux furent divisées.” (Exode XIV, 21, traduction rabbinat).

La manne ? L’exsudation d’un arbre ou d’un buisson que l’on trouve dans le Sinaï, et qui peut se consommer. Plusieurs candidats sont possibles, le plus prisé étant Haloxylon salicornicum.

Le gouffre qui engloutit Korah ? Il suffit de connaître la région pour savoir que les sinkholes, ces gouffres qui s’ouvrent soudainement, abondent. (Raison pour laquelle les plages de Ein Guedi, sur les bords de la mer morte sont désormais fermées).

Je pense que la liste suffit pour illustrer ce que j’essayais de dire plus haut : le miracle n’est pas tant dans le phénomène que dans la synchronisation qu’il y a entre le phénomène et les événements qui l’entourent. Ce que C. G. Jung appelait la synchronicité, qui était, selon lui, une autre façon d’organiser les événements, non pas de façon causale, mais en fonction de leur signification.

Depuis le début de la guerre, les histoires abondent. Elles circulent dans toutes les directions et sur tous les médias, y compris grâce au plus vieux média du monde : le bouche à oreille. Tu as vu l’histoire d’un tel ? Tu as vu la vidéo sur ceci ? Tu lu le tweet sur cela ?

Chacun a ses préférées. Les miennes sont sauvées dans un coin de l’ordinateur, pour référence, pour y revenir plus tard.

La plupart sont de petites histoires. Chacune, prise séparément représente un petit événement, parfois même un micro-événement.

Et pourtant les histoires circulent, elles sont relayées, même si elles ne font pas la une des journaux et n’intéressent parfois pas en dehors d’un petit cercle. Mais comme le rapporte quelqu’un : « Rabbi Gamliel Rabinovitch once said: “Every day God gives us a little loving pinch on the cheek to show us he’s watching over us, and that he loves us. But we need to look out for it as it may not always be obvious”. »

Certaines sont douteuses. Les commentaires ne se privent pas pour souligner tel ou tel point qui paraîtrait douteux. Elles sont beaucoup plus rares que ce qu’on pourrait penser. Ici, les coïncidences heureuses sont tellement abondantes que tout le monde les trouve tout à fait normale. (Je citerai à nouveau la fameuse phrase de Ben Gourion : celui qui ne croit pas aux miracles n’est pas réaliste. Et à examiner les 70 premières années de l’Israël moderne, on ne peut que conclure qu’il n’a pas tout à fait tort). Dans tous les cas, à notre âge des réseaux, elles sont rarement déformées. Elles restent figées dans leur première version, et, si elles ne sont pas exactes, c’est souvent que la première version ne l’était pas.

D’autres à l’inverse sont tellement évidentes et documentées qu’elles sortent dans la presse. Un article entier leur est consacrés, y compris dans la presse généraliste, tant l’histoire est étonnante.

Toutes ne sont pas positives. On voit parfois une synchronicité d’événements qui paraît glauque. Je ne rangerais pas celles-ci dans la catégorie miracles, dont on s’attend en général qu’il ait un résultat positif, mais certainement dans la catégorie des coïncidences signifiantes.

A quoi servent ces histoires ? A se remonter (un peu) le moral. Elles permettent de développer le sentiment que nous ne vivons pas un moment où nous sommes livrés aux forces du hasard. Derrière les terribles événements, on espère entendre la parole du psalmiste : « Il ne dort ni ne sommeille, le gardien d’Israël » (Psaume 121).

Mais elles témoignent aussi, et surtout, de la formidable vitalité du peuple israélien, qui est capable de prendre un traumatisme de l’ampleur du sept octobre, et de commencer aussitôt à le digérer. Et quelle meilleure façon pour rediriger son énergie qu’une histoire ? Qui plus est une bonne histoire ? Hanoukah sameah à tous. – Fin du 68ème jour, 13 novembre 2023, 1er du mois de tevet.