Journal d’un civil (67) Un matin au parc, Hanoukah V

Mardi 12 novembre

Ce matin les enfants tournent en rond comme de petits lionceaux en cage. A peine huit heures, ils sont déjà en train de courir partout. La solution est simple : les emmener au parc. Où ils pourront courir et se dépenser dans un endroit un peu plus adapté qu’un appartement post-déménagement.

Alors on se prépare, on sort et on s’installe dans le petit jardin d’enfants qui est en face de chez nous. J’ai emporté un thermos de café et les enfants vivent mille aventures pendant que je les regarde depuis un banc.

Aujourd’hui il y a un moment de calme comme je n’en ai pas connu depuis longtemps. Et comme à chaque moment de calme, une partie de mon esprit se demande si c’est le cœur du cyclone, ou si, vraiment, les opérations à Gaza sont tellement victorieuses que les tirs sur Be’er Sheva, et, espérons sur le reste du pays, vont se calmer.

Il me suffit de consulter l’application qui fait la liste des alertes pour me rendre compte que, vraiment, ça n’est pas encore la fin.

Alors j’essaye de ne pas y penser, et de profiter du moment. Je repense à une scène du Rebecca d’Hitchcock, dans laquelle la nouvelle madame de Winter dit : « I wish there could be an invention that bottled up a memory like perfume and it never faded, never got stale. Then, whenever I wanted to, I could uncork the bottle and, and live the memory all over again. »

Pour moi, cette invention existe : c’est la poésie courte. Je l’ai apprise de la forme du haiku, en lisant en particulier Bashô, dont le journal a longtemps été un de mes livres de chevet. La dernière fois que nous sommes allés au Japon, nous avons visité le lieu où se trouvait son ermitage. Il y a un petit musée charmant et un jardin très agréable.

Plus jeune, je pratiquais souvent cette forme. Je ne l’appellerais pas haiku, parce que le haiku japonais n’est pas tout à fait ce qu’on pense qu’il est, en particulier depuis qu’il est devenu une forme poétique courante dans le monde anglo-saxon.

Disons que c’est une forme de poésie courte à rythme ternaire, qui me permet de fixer une image, un souvenir, une expérience, et des les mettre de côté pour quelques années. J’ai récemment retrouvé un carnet dans lequel j’ai par exemple écrit une série sur un automne à Paris au moment de Hanoukah. Alors que j’ai une très mauvaise mémoire, ces courts textes m’ont permis instantanément de me replonger une dizaine d’années en arrière, et de ressentir exactement ce que j’avais vécu alors.

Ce matin était un bon matin, un matin plein de lumière et du rire de mes enfants. Alors j’ai pris des notes et les notes sont devenus une guirlande de petits poèmes, que je pose là afin de toujours les avoir à portée de main.

Un matin au parc

Le ciel bleu sans taches
Sourire de printemps
Au mois de décembre.

Une petite main a chipé
Un thermos de café
Cours cours cours !

Tronc d’argent et feuilles d’émeraude
L’arbre à palabres
Attend les blablas.

Contre ma jambe
Un chat pelé, oreille coupée
Réclame du café.

Crissements craquements
La grue met en branle
Un sac de gravats.

Un téléphone crache
De la musique lancinante
– Adamo et Bécaud !

Toboggan, enfants
Cris, embouteillage
Un de plus, un de plus !

Les enfants réclament
De la limonade
Chocolat fraise.

Bourdonnements
Sans source ni direction
Hélicoptères partout.

Les palmiers dressés
Dans le ciel de décembre
Pas de Déborah.

Première gorgée de café
Se brûler les lèvres
Et ne plus rien sentir.

Fin du 67ème jour, 12 décembre 2023, 29 kislev.