Journal d’un civil (63) Hannoukah I

Vendredi 8 décembre

Hier soir nous avons allumé la première bougie de Hanoukah. Comme c’est une fête pendant laquelle on peut utiliser le téléphone, on voit aussitôt les photos se multiplier sur les réseaux.

A la base c’est une célébration privée : on allume un chandelier chez soi, que l’on place près d’une fenêtre ou de la porte. Mais c’est devenu également une célébration publique : on allume des chandeliers dans les lieux publics, et, dans le monde anglo-saxon, c’est devenu un moment idéal pour les politiciens de faire un peu de communication pour montrer à quel point ils sont proches de la communauté juive.

Mais rare sont les politiciens qui savent réellement ce qu’on fête. Je me souviens d’un discours d’une femme politique américaine de premier plan à cette occasion, dans lequel elle expliquait à quel point Hanoukah était sa fête préférée, pour ensuite mettre en avant des politiques publiques qui montraient clairement qu’elle n’avait aucune idée de la signification de la fête.

En ce qui me concerne j’ai l’impression que la célébration publique n’est pas un substitut : c’est un complément. Après tout, le judaïsme a une dimension universaliste ; pourquoi y mettre un mouchoir pour une fois que certaines personnes s’y intéressent ? Universaliste et pas universelle, la distinction est importante. Universaliste parce que le judaïsme a un message à dire au monde entier. Mais pas universel, parce que personne ne pense que c’est une religion qui devrait être adoptée par le monde entier.

Donc Hanoukah a commencé, et je dois dire que l’ambiance est différente maintenant que nous habitons en Israël. En diaspora, Hanoukah est une sorte de concurrent face à Noël. Aux Etats Unis en particulier, où Christmas est devenu un rouleau compresseur qui a souvent un lien très lointain avec son origine religieuse. Au point qu’il y a des mouvements de chrétiens américains qui refusent tel ou tel élément de la fête dans sa version victorienne afin d’essayer de retrouver sa dimension chrétienne sous la dimension consumériste.

Comme Noël y est devenu une célébration de la société de consommation, les enfants juifs sont souvent un peu perplexes : les copains reçoivent la PS5 et nous on a des pièces en chocolat ? Qu’est-ce que c’est que cette arnaque ? Les juifs américains ont fait évoluer la fête dans les années 60 : les chrétiens ont Noel, nous on a Hanoukah. Et c’est mieux : au lieu d’une soirée avec des cadeaux, il y a huit jours avec des cadeaux !

Au moins, dans cette perspective, tout le monde se retrouve autour de la même religion consumériste.

Mais depuis qu’on est revenu en Israël, le rythme de la fin d’année a changé. Noël a disparu, tout comme le nouvel an. Le mois de décembre n’est plus le mois des fêtes de fin d’année, mais le mois où il fait encore bon avant que la saison des pluies ne s’installe, en janvier. Et donc le mois où tombe en général Hanoukah.

Cette année, on sent que l’ambiance n’est pas tout à fait la même. Il n’y a pas eu de fête à l’école, alors que c’est l’un des grands moments de l’année scolaire. D’habitude, les enfants apprennent des chansons et des chorégraphies, ils font un petit spectacle et après avoir distribué des beignets à toute l’assemblée, il y a des ateliers créatifs avec les parents. L’année dernière c’était un bazar pas possible, mais c’était bon enfant.

Cette année, l’école a fait une fête privée. On a eu les photos et les vidéos, et notre fils est revenu avec un sac chargé de bonbons, de gâteaux et d’une petite hanoukiah qu’il a fabriqué avec les maîtresses. Nous l’avons ajouté aux autres, et nous avons allumé la première bougie sur chacun des chandeliers. Chaque année on dit qu’on va en acheter un grand, et qu’on utilisera les petits flacons d’huile plutôt que des bougies en cire, et, chaque année, on se retrouve débordé par les événements, et on ressort les hanoukias qu’on traîne avec nous depuis des décennies.

Après l’allumage, on donne le cadeau de l’année aux enfants. Cette année, c’est le même cadeau pour les deux, mais c’est un gros cadeau : ils reçoivent la maison Duplo. D’habitude les légos sont à des prix délirants en Israël, mais cette année, avec un taux de change très favorable, ils sont presque au prix français. Toute la famille française s’est cotisée et on a pu acheter un set énorme, qui est arrivé par porteur spécial. (La boîte est plus grande que ma fille !) Les enfants déchirent le papier cadeau en poussant des cris de joie. On passe ensuite une grosse demi-heure à construire la maison et le reste de la soirée à jouer avec. Plaisir de donner et joie de recevoir !

Aujourd’hui, vendredi, c’est donc le premier jour de Hanoukah, mais c’est également le premier jour du week-end. C’est la première fois depuis des semaines que mon fils va à l’école un vendredi matin. Au point que je ne me souviens plus de l’horaire exact. L’assistante maternelle ne sait pas trop non plus d’ailleurs. Quand je lui demande à quelle heure ça finit, elle me répond : “vers midi et demi, quelque chose comme ça”.

Depuis que la guerre a commencé tous les calendriers sont approximatifs. Tout le monde fait au mieux, mais il ne faut pas s’attendre à être ébloui. Et pourtant tout tourne, tout avance, tout s’accompli. La machine israélienne est une merveille.

Le sujet du jour, c’est un soldat isolé américain, qui est en train d’être soigné à l’hôpital Soroka, le gros hôpital de la région.

Ici, les soldats isolés sont un gros sujet. Ce sont des soldats qui émigrent en Israël très jeune, font l’armée, mais n’ont pas de famille sur place. Ce qui leur pose tout un tas de problèmes particuliers. Où vont-ils pour le shabbat ? Qui s’occupe d’eux quand ils sont en permission ? Qui va leur rendre visite lorsqu’ils sont blessés ? Et, dans le pire des cas, qui les accompagne ?

Il y a beaucoup de systèmes de solidarité en place pour les aider, en général basés sur les réseaux en fonction du pays d’origine du soldat. Et comme le soldat dont je parle est originaire des Etats Unis, c’est sur un groupe Facebook idoine qu’un message a été posté.

Ma femme a répondu et elle est en contact avec un des amis du soldat. Hier, il avait de la visite, mais aujourd’hui apparemment, rien. Il aurait besoin de nourriture pour shabbat, alors ni une ni deux, elle prépare ce qu’on avait prévu pour notre repas, mais en plus grosse quantité. Ce soir, comme on est un peu patraque, c’est soupe au poulet (chicken soup), la grande recette ashkénaze qui garantit un prompt rétablissement. La marmite est sur le feu, et l’odeur des légumes et de la viande se répand peu à peu dans l’appartement.

Ma femme a également acheté un thermos pour mettre la soupe, et sa famille a fait un don pour qu’on lui achète une bonne bouteille.

Mais vers midi, l’ami du soldat nous dit que finalement c’est bon. Le message a été tellement relayé que le soldat est débordé ! Il a de quoi manger pour des semaines et il a trop de visites : il a besoin de se reposer !

Voilà une bonne nouvelle. Mais ça veut également dire que la coordination n’a pas été formidable. D’habitude on sait mieux faire. Une amie a été très malade l’année dernière, et il y a eu tout un système qui s’est mis aussitôt en place pour l’aider, elle et sa famille. Prévoir la nourriture, de l’aide pour les enfants, des visites, et s’assurer également qu’elle ne serait contactée toutes les cinq minutes pour demander des nouvelles. Quelqu’un s’occupait de centraliser tout ça et répartissait en fonction de l’offre et de la demande. Plusieurs mois après, elle est guérie, et force est de constater que le système était très efficace.

Je dis à ma femme qu’on pourrait peut-être reproduire ce système pour les soldats isolés ? Elle envoie aussitôt un message à l’amie qui s’occupe des nouveaux immigrants et qui connaît tous les réseaux. Effectivement il y a un groupe pour les soldats isolés, mais ce n’est pas très clair. Elle se demande même si le groupe est encore actif. Il faudra enquêter après shabbat.

Vers midi quarante je reçois un message du transport scolaire : on arrive. Le bus se pointe quelques minutes plus tard, je récupère mon fils, et l’assistante maternelle me demande : “vous savez qu’il n’y a pas école la semaine prochaine ? C’est les vacances.” Je confirme que je sais.

Le bus repart à toute berzingue, et on rentre à la maison. Bientôt shabbat va commencer. Mais comme c’est également Hanoukah il y a un petit changement : il faut allumer les bougies de Hanoukah avant les bougies de shabbat. Autrement dit : il faut que tout soit près encore plus tôt que d’habitude.

Et avec tout ça il faut que je rédige la note du jour et que je corrige la note de la veille. A peine treize heures trente et la journée touche déjà à sa fin.

Je voulais lire le livres des Maccabées pour vraiment me mettre dans l’ambiance de Hanoukah et essayer de désempiler les différentes couches dont est constituée la fête, mais ça sera pour plus tard. Peut-être ce soir, une fois que les enfants sont couchés.

Shabbat shalom à tous et hannoukah sameah. – 63ème jour, 8 décembre 2023, 25 kislev 5784.