Journal d’un civil (62) La peinture

7 décembre

Ce matin, je pars aux aurores pour ma dernière visite dans l’ancien appartement. Je vais faire un peu de peinture, ultime étape avant la remise des clés. Pas d’alerte, le ramassage scolaire fonctionne normalement : tout paraît favorable pour que je puisse disposer des deux heures nécessaires pour repeindre l’ancienne chambre des enfants.

Cela fait des mois que je voulais le faire. Les murs avaient subi la présence de deux enfants en bas âge pendant plusieurs années : une couche de peinture blanche n’est pas du luxe.

J’arrive dans ce grand espace désormais totalement vide, et j’ai l’impression de revoir l’appartement pour la première fois. Nous étions revenus en Israël au milieu de l’épidémie de Covid, en novembre 2020.

Nous habitions jusque là aux Etats Unis, en Virginie, et l’épidémie ne semblait pas se calmer. Ma femme et moi travaillions tous les deux à distance, coincé dans un petit appartement de la banlieue de Washington, avec un enfant d’un an et demi qui courait partout. On a tenu plusieurs mois dans cette configuration, jusqu’au jour où on s’est dit que, travailler à distance avec un ordinateur, on pouvait le faire de partout. Il était temps de rentrer en Israël.

Nous avions passé deux mois dans un Air BnB à Tel Aviv, et puis, début décembre, nous étions allés rendre visite à des amis dans le kibboutz où nous avions fait notre intégration quelques années auparavant. Au retour, nous avions visité cinq appartement à Be’er Sheva, qui était le premier choix dans notre liste de villes où habiter.

On me demande souvent : mais pourquoi Be’er Sheva ? La ville n’a pas une très bonne image, et vu notre profil (couple international, profession intellectuelle), les gens s’attendent à ce qu’on habite à Tel Aviv, à Jérusalem, ou éventuellement à Netanyah ou à Ra’anana. Mais Be’er Sheva ? Et puis quoi encore, Eilat ?

On a déjà habité à côté d’Eilat, mais la question n’est pas totalement absurde. La réponse est relativement simple. Nous avons vécu un an dans le désert de l’Arava, et nous avons adoré. Mais l’Arava est très enclavée, et nous voulions habiter dans une ville. Be’er Sheva répond aux deux critères. Sans compter qu’il y a une importante communauté anglophone, et une petite communauté francophone. Les infrastructures sont aussi importantes : un gros hôpital, une université de premier plan, et une gare qui nous met à seulement une heure de Tel Aviv, et une heure et demie de Jérusalem en bus.

Dernier point : le prix est très attractif. Pour le prix d’un studio à Tel Aviv on a trouvé un appartement gigantesque.

Mais le vrai point, celui qui me fait aimer Be’er Sheva et le Néguev, c’est la lumière. Une lumière exceptionnelle, toujours changeante et toujours agréable, une lumière qui invite à la méditation et à la promenade.

Ceci étant, ce fameux appartement était le premier que nous avions visité. Situé au 17ème étage, avec une vue imprenable sur la ville. Certains soirs, alors que nous prenions l’apéritif sur la terrasse, on se serait presque cru à Tokyo.

Mais tout a augmenté : le loyer, les impôts locaux et les charges locatives. Et parallèlement, la valeur locative a baissé. Une salle de sport a ouvert dans l’immeuble et a entraîné tout un tas de problème. Le syndic a changé et il a, lui aussi, entraîné tout un tas de problèmes. Les ascenseurs étaient une plaie : il m’arrivait d’attendre cinq minutes le matin avant de pouvoir descendre. Et une terrasse paraît toujours une bonne idée, jusqu’au moment où il faut nettoyer pratiquement tous les jours les chiures des pigeons si on veut pouvoir en profiter.

Moralité : on avait atteint le moment où ça ne valait plus le coup. Et lorsque la propriétaire est venue nous annoncer que le loyer allait encore augmenter, ça a été la dernière petite pichenette dont nous avions besoin pour aller voir ailleurs.

Mais, alors que je repeins la chambre, je repense à tous les moments, bons ou moins bons, que nous avons connus.

C’est là que nous avons vécu les confinements Covid. Dans un grand appartement sans meubles (parce que tous les magasins étaient fermés) et sans nos affaires (qui étaient quelque part dans un bateau dans l’Atlantique nord). C’est là que nous avons vécu nos premières guerres, à l’abris dans le mamad. Le premier soir, en dépit des explosions qui se sont enchaînées pendant plus d’une demi-heure, nous sommes dit que nous préférions être là plutôt que n’importe où ailleurs dans le monde.

C’est là également que nous avons accueilli notre fille. C’est là qu’elle a passé sa première année et qu’elle a fait ses premiers pas. C’est là que nous avons coupé les cheveux de mon fils pour ses trois ans, et qu’il est devenu un vrai petit garçon.

Après avoir fini de peindre la chambre, je range tous les outils et je repars. Avant de fermer la porte, je jette un dernier coup d’œil sur le salon, cette grande pièce lumineuse qui nous avait accueillis lors de notre première visite. Et je ressens beaucoup de gratitude d’avoir pu vivre ici pendant quelques années.

Je referme la porte à clé. Il est temps de passer à autre chose. Ce soir, Hanoukah commence. Ce sera la première fête dans notre nouvel appartement. De nouvelles aventures nous attendent. – Fin du 62ème jour, 7 décembre 2023, 24 kislev 5784.