Journal d’un civil (107) Les films

Dimanche 21 janvier

Aujourd’hui j’ai encore une fièvre en yoyo. Un coup 39, un coup 37, un coup 39. Je suis incapable de faire quoi ce soit. Ma femme et ma fille sont également encore malades. Mon fils, lui, est un roc. Il est parti à l’école comme une fusée, pressé que la semaine commence.

Le reste de la famille passe la matinée sur le canapé à regarder des films. Comme ma fille est là, on ne peut pas mettre tout et n’importe quoi. On se limite à des films pour enfants qui soient regardables pour un adulte.

Et dans cette catégorie, il faut dire qu’il y a des pépites magnifiques. Un film pour enfant moyen est souvent supérieur à un film pour adulte médiocre. J’aime beaucoup l’idée qu’avait formulé Isaac Bashevis Singer quand on lui avait demandé pourquoi c’était plus difficile d’écrire pour les enfants que pour les adultes. Il avait répondu en substance : parce qu’on ne peut pas mentir à un enfant. Un adulte, on peut lui raconter n’importe quoi, faire des grandes phrases et lui faire croire que c’est un grand livre. Pas à un enfant. Si c’est mauvais, après deux pages, il s’arrête.

La sélection du jour consiste à revoir L’Apprentie sorcière, un film que j’ai vu deux cents fois, par fragments. Très peu connu du public français, il était censé être une sorte de suite à Mary Poppins, un film « dans l’esprit de ». Au point que l’une des chansons avait été écrite pour Mary Poppins mais n’avait pas été retenue étant donné que la séquence au parc était déjà longue.

Le film se passe pendant la Seconde guerre mondiale, sur la côte anglaise. Une dame habite seule dans un manoir et, pour aider à l’effort de guerre, se voit confier la garde de trois orphelins. Ils découvrent que c’est une apprentie sorcière, qui suit des cours par correspondance. Mais les cours se sont arrêtés. Ils partent à Londres pour trouver le responsable, et c’est le début d’une grande aventure. La fin en particulier est magnifique. C’est drôle pour un enfant, mais il y a quelque chose d’extrêmement profond pour un adulte si on réfléchit à la manière dont ils gagnent la bataille.

Le second film : Kirikou et la sorcière. Un classique. A chaque fois que le revois, je suis bluffé par la profondeur des thèmes abordés en moins d’une heure et demie. C’est un conte de fée moderne, qui suit le langage des contes de fée. Extrêmement rare : la plupart des contes modernes ne savent pas résister au méta-commentaire, ce qui détruit aussitôt leur tentative initiale.

Ces trois dernières années, j’écrivais un essai de 3 000 à 4 000 mots par semaine. Au mois de janvier, je commençais l’année avec un article consacré à un film pour enfants que j’essayais de décortiquer. Cette année je voulais faire Ponyo, avec un angle que, à mon avis, peu de gens remarquent. Mais Kirikou serait aussi un très bon candidat. C’est une méditation extrêmement intéressante sur les rapports entre l’animus et l’anima, qui mérite d’être analysé.

Dernier film, une fois que ma fille part faire la sieste : Harry Potter. Là, les thèmes me paraissent intéressants, mais je n’aurais pas grand-chose à dire en tant qu’analyste. En revanche, ce qui me fascine chez J. K. Rowling, c’est son incroyable talent de conteuse.

Petite parenthèse technique ici : je distingue les livres bien écrit des livres bien racontés. Un livre bien écrit, c’est un livre avec du style, des phrases qui claquent et des images qui marquent. Un livre bien raconté, c’est un livre qu’on a du mal à poser, avec des personnages inoubliables, une histoire à couper le souffle et un rythme totalement maîtrisé. Dans leur version les plus extrêmes, on considère (à mon avis à tort) que les premiers sont la « vraie » littérature, et les seconds sont au mieux, de la littérature populaire, ce qu’on appelle en mauvais franglais des « page turners ».

Parfois, un auteur combine les deux : grand prosateur et grand conteur. Ceux-là sont à mettre sur nos meilleures étagères.

J. K. Rowling a un talent de conteuse fabuleux. Tout est pensé à l’avance, mais ne prend un sens qu’au fur et à mesure. A chaque fois que je relis ou que je revois, je découvre de nouveaux détails. Du très grand art. C’est le genre d’écrivain que j’adorerais interviewer pour parler travail et jeter un coup d’œil dans les coulisses de ses livres. Pour l’instant, le film suffira.

Repos et acamol ; thé et gâteaux secs.

Ça devrait suffire à terrasser le virus.

Fin du 107ème jour, 21 janvier 2024, 11 shevat 5784.