Journal d’un civil (45) Le tir de barrage

Lundi matin. Début de la semaine, début d’une nouvelle semaine. J’ai l’impression d’avoir déjà écrit cela auparavant. Comme j’ai l’impression d’avoir déjà vécu cette journée auparavant. Tout comme j’ai l’impression d’avoir déjà lu les nouvelles de ce matin auparavant. Le temps coule de façon étrange depuis ce sept octobre. Quelqu’un a posté une image qui résume tout : un agenda électronique qui semble normal jusqu’au 7, puis toutes les dates qui suivent sont les mêmes. Répétition du même jour jusqu’au vertige.

Ce matin, nous revenons dans l’ancien appartement pour finir le déménagement. Il nous reste dix jours pour tout boucler. On a déjà emporté 90 % des affaires, mais les 10% qui restent semblent ne jamais finir. D’autant qu’il va falloir régler quelque chose de très important : faire venir quelqu’un pour transporter la machine à laver, le canapé et les sommiers du lit. Jusqu’à présent ça ne servait à rien, on avait encore besoin de ces éléments dans l’ancien, mais maintenant que nous avons fait le changement, ils commencent à manquer dans le nouveau.

Il y a bien sûr la question de la porte : est-ce que le canapé va passer ? Un ami me dit : mais pas de problème, il suffit de le soulever et de le faire pivoter. Voilà une idée tout à fait intéressante. Je devrais en faire une vidéo.

Vers onze heures, alors qu’on est en train de charger la voiture avec quelques cartons, et que le vent souffle fort, l’agent immobilier appelle. Il veut faire visiter l’appartement là, tout de suite, à quatre heures. C’est bien une idée d’Israélien : comme si on n’avait strictement rien d‘autre à faire.

Ma femme lui dit que ça n’est pas possible, le gars s’offusque. Mais pourquoi ? Ma femme lui répond, avec sa patience et son accent de Brooklyn que c’est parce qu’elle travaille, et qu’elle a donc autre chose à faire.

L’après-midi, je retourne à l’appartement avec mon fils. Je range un peu et puis j’emmène mon fils manger une glace.

Cela ressemble à une journée normale. Jusqu’à dix-huit heures.

A dix-huit heures, gros tir de barrage sur le centre du pays. La carte des alertes est impressionnante : Entre 18:01 et 18:03 : Pi Glilot compound, Southern Sharon Regional Council, Ganot, Cinema City Glilot, Shefayim, Shoham, Rishpon, Ramot Meir, Kiryat Ekron, Tzafria, Ptachia, Pdaya, Azaria, Sitria, Na’an, Mishmar HaShiva, Mazkeret Batya, Kfar Truman, Kfar Chabad, Kfar Bilu, Yatzitz, Yad Rambam, Yagel, Tirat Yehuda, Hemed, Hadid, Zeitan, Ganei Yochanan, Ganei Hadar, Givat Brenner, Bareket, Beit Arif, Beit Uziel, Beit Nechemia, Beit Hashmonai, Beit Dagan, Arsuf, Achiezer, Industrial area Hevel Modi’in, Zrifin Industrial Zone, Hatzav Industrial Zone, Ramla, Ramot HaShavim, Rinatya, Rosh HaAyin, Einat, Ayanot, Adanim, Ness Ziona, Nir Zvi, Neta’im, Nachshonim, Nechalim, Nofech, Neveh Yarak, Matzliach, Mazor, Magshimim, Lod, Ben Shemen Youth Village, Kafr Misr, Yashresh, Yarkona, Hod HaSharon, Ganei Tikva, Ganei Am, Gan Sorek, Ginaton, Giv’at Ko’ah, Bnei Atarot, Ben Shemen, Beit Oved, Beit Hanan, Be’erot Itzhak, Be’er Yacov, Elad, Irus, Ahisemech, Nesher Industrial Zone (Ramla), Ra’anana, Ramat HaSharon, Ramat Gan – East, Rehovot, Rishon LeZion – West, Rishon LeZion – East, Kiryat Ono, Petach Tikva, Palmachin Industrial Park, Savyon, Netzer Sireni, Mikveh Israel, Maas, Kfar Shmaryahu, Kfar Sirkin, Kfar Daniel, Yehud-Monosson, Herzeliya – Center and Glil Yam, Herzeliya – West, Gat Rimon, Gan Shlomo, Gimzo, Gibton, Givat Shmuel, Givat Hen, Givat HaShlosha, Bat Yam, Bnei Brak, Azor, Or Yehuda, Bnei Darom, Maon Tzofia, Shdema, Kvutzat Yavne, Asseret, Neveh Mivtach, Bnei Darom Compound, Misgav Dov, Meishar, Kerem BeYavne, Kfar Mordechai, Kfar Aviv, Givat Washington, Bnaya, Ben Zakai, Beit Gamliel, Kannot Industrial Zone, Kidron, Kfar HaNagid, Gdera, Ge’alya, Beit Elazari, Yavne, Givatayim, Tel Aviv – East, Holon, Tel Aviv – South and Jaffa, Nir Galim, Ashdod – Northern Industrial Zone and port, Ramat Gan – West, Tel Aviv – Across the Yarkon, Tel Aviv – City Center, Palmachim.

Je me rends compte à quel point nous avons de la chance, ici, à Be’er Sheva, de ne pas avoir eu d’alerte depuis une semaine. Cela nous a permis de nous reposer un peu, de nous changer les idées, même si cela nous a presque installé dans un sentiment de sécurité et de normalité retrouvée tout à fait précaire.

Je repense à ce que j’ai fait aujourd’hui : tous les allers venus, toutes les sorties, tous les petits actes du quotidien auxquels j’aurais réfléchi par deux fois au début du conflit. Et voilà que je me surprends à avoir cru que ça pourrait être terminé.

C’est loin d’être terminé. Après six semaines de guerre, les capacités opérationnelles de l’ennemi sont toujours actives, toujours capables de viser le pays et d’essayer de lancer la terreur sur la population civile. Ce soir, je dois poser la plume, et arrêter là. – Fin du 45ème jour, 20 novembre 2023, 7 kislev 5784.