Journal d’un civil (44) La poussière

19 novembre.

Ce matin, j’ai allumé mon ordinateur de bureau. Il se trouve dans le salon, dans le coin qui me sert désormais de bureau.

J’étais en train de travailler ardemment (lire : de somnoler en regardant Twitter/X), lorsque mon fils passe derrière moi et me demande pourquoi il y a de la pluie.

Je regarde l’icône qu’il pointe du doigt : c’est la météo qui est dans la barre des tâches. Il a raison, le nuage pleut. Etrange. A regarder par la fenêtre, c’est plutôt dégagé. Je clique sur l’icône, la page de la météo s’ouvre, et là, catastrophe. Grosse alerte pluie sur toute la zone côtière (niveau orange) et sur le Néguev (niveau jaune). Aucune idée à quoi correspondent ces niveaux, mais l’heure semble grave.

Manque de bol, les affaires de pluie sont encore dans l’ancien appartement. Coup de bol : d’après la météo, ça ne pleuvra comme vache qui pisse qu’à partir de 13h. On rentrera de l’école à ce moment-là, on va peut-être arriver à passer à travers les gouttes.

J’ai quelques doutes sur la fiabilité du service météo de la barre de tâche. Pendant longtemps, il y a eu toute une histoire autour de la station météo qui se trouvait dans le sud du pays, et qui ne fonctionnait qu’à moitié pour je ne sais plus quelle raison (une histoire israélienne invraisemblable à tous les coups, il faudra que je retrouve la source). Si ça se trouve, ça va être beau temps toute la journée.

Manque de bol, toute la matinée, le ciel s’assombrit. La lumière est sale, la pression atmosphérique est très désagréable. Je vois passer des images de Gaza : une pluie torrentielle et un vent à décorner à renverser les palmiers (c’est littéralement le sujet de la vidéo : un palmier qui résiste à peine aux bourrasques).

Vers 13h, ma femme rentre avec ma fille et quelques courses. Le bus qui était censé passer n’est jamais passer, et, voyant que l’horizon s’assombrissait de plus en plus, elle a décidé de rentrer à pied. Un nuage de poussière arrive ; la tempête de sable risque d’être derrière.

Je n’ai vécu qu’une seule vraie tempête de sable pour l’instant. C’était dans l’Arava, lorsque nous faisions notre intégration et que nous allions à l’oulpan pour améliorer notre hébreu. Ça a duré une bonne après-midi. J’étais à l’intérieur, ma femme attendait le bus pour rentrer d’un autre kibboutz. Elle a dû s’abriter contre un mur avec un foulard sur le visage pour se protéger le temps que le transport arrive. La tempête s’est calmée en quelques heures, mais ses conséquences ont duré des jours et des jours. Il y avait du sable partout. Partout, partout, partout. On en retrouvait dans des endroits improbables, et il fallait constamment balayer.

J’espère que ça ne va pas être le cas ici. On vient à peine d’arriver, j’aimerais que l’appartement reste intact au moins une semaine. Coup de bol : le nuage de poussière ne semble pas être le prologue à une tempête de sable.

Je vais chercher mon fils à l’école, on rentre rapidement, et, dans la dernière ligne droite, manque de bol, comme prévu par la météo pour treize heures, il se met à pleuvoir. Poussière et pluie : ça va être un après-midi à la maison.

Comme il est d’usage, il va falloir trouver une activité pour temps de pluie. Aujourd’hui, je propose à la maisonnée un atelier théâtre de marionnettes.

On commence par faire quelques recherches sur Internet. Je montre à mon fils différents styles de castelets. On peut en faire un grand, qui nécessite de s’asseoir derrière en étant au sol, ou un plus petit, qu’on posera sur le comptoir, ce qui permettra au marionnettiste de rester debout. Il choisit le petit modèle pour comptoir.

Je fais un dessin sur Paint pour lui montrer à quoi ça va ressembler et on choisit ensemble les différentes couleurs.

Puis, c’est le moment de la réalisation. Coup de bol : je trouve dans le bureau un morceau de carton absolument parfait. Rien à faire : il y a trois volets et c’est la bonne taille. Je dois juste évider le volet central pour ouvrir l’espace dramatique, et couper un bout du rectangle pour l’installer perpendiculairement au carton, de façon à créer une petite scène où on pourra poser des objets.

En quelques coups de cutter l’affaire est réglée, et on installe tout ça sur le comptoir. Comme ma fille vient de finir sa sieste, elle est ravie de se joindre au spectacle. On installe un foulard sur le haut du castelet afin de dissimuler les marionnettistes qui se cachent derrière le comptoir, et en route.

Mon fils installe des chaises et va chercher sa mère : elle ne peut pas louper ça. Elle est obligée de reporter sa réunion. Motif ? Spectacle de marionnettes.

Le spectacle commence avec le gendarme (ma main sur le comptoir) qui frappe les trois coups. Le rideau s’ouvre et arrive le premier personnage : Mamar l’éléphant, la version pirate de Babar (avant qu’il ne soit dans le domaine public).

Ça n’est pas un franc succès. Il se fait agresser par un membre du public qui vient lui prendre la trompe. Il n’a pas le temps de raconter son histoire et retourne dans les coulisses fort marri.

Qu’à cela ne tienne, le petit cheval (dans le mauvais temps) prend sa place. C’est une marionnette à doigt, qui vient pour annoncer l’histoire.

Quelqu’un hurle dans le public : “Moche Rabbenou !”

Je précise : “non, c’est son cheval”.

Le cheval non plus n’a pas beaucoup de succès : il est renvoyé côté jardin pour aller manger un peu de foin.

Mamar et le cheval ont échoué, il est temps de sortir la grosse artillerie. Dans le sac qui est à côté de moi, je prends la marionnette faite avec une chaussette en velours côtelé. Elle est rigolote, mais elle n’a qu’un œil.

Alors je la fais venir en scène et je dis : « c’est la marionnette de Moché Dayan, qui va nous raconter son expérience pendant la guerre des six jours ».

Gros éclats de rire dans le public.

Quelqu’un crie : « Moche Rabbenou » !

Je dis : « non, c’est Moché Dayenou » !

Nouveaux éclats de rire dans le public. C’est une blague de niche, mais un tiers du public (ma femme) part dans un fou rire incontrôlable. Un autre tiers du public se lève pour essayer d’aller attraper le faux Moché Dayan, qui réussit à s’enfuir in extremis.

Nouveaux éclats de rire, cette fois du dernier tiers : ma fille se met à rire aux éclats en voyant cette marionnette maison mal rafistolée faire mine de se battre avec son frère (le frère de ma fille, pas de la marionnette).

Je me dis qu’on n’arrivera pas à faire mieux : c’est le moment de tirer le rideau. Sous les applaudissements.

Finalement, les après-midi de pluie et de poussière, c’est pas si mal. Et, pour la première fois depuis des semaines, nous avons ri. – Fin du 44ème jour, 19 novembre 2023, 6 kislev 5784.