Journal d’un civil (157) La semaine des deux lundis

Lundi 11 mars

La semaine israélienne a la particularité d’avoir deux lundis : le dimanche-lundi et le lundi-lundi.

Le dimanche-lundi, c’est le premier jour de la semaine. C’est un dimanche, mais c’est comme un lundi dans le monde occidental. On ne se lève pas toujours avec entrain, encore un peu ensuqué par le week-end, et il faut plus de café que de raison pour vraiment se mettre au travail et reprendre le rythme.

Le lundi-lundi, c’est le deuxième jour de la semaine israélienne, mais c’est le vrai lundi de la semaine occidentale. Et quand on travaille en lien avec un pays européen ou avec l’Amérique du nord, il faut se synchroniser avec les collègues qui, eux, vivent leur véritable lundi, et qui sont donc encore ensuqués par le week-end, etc.

Deux lundis d’affilés, deux fois plus de chances de mal démarrer la semaine. Et comme en ce moment, je suis en retard sur tout, la panique s’installe deux fois plus vite.

Pour ne rien arranger, ce matin, je suis encore plus fatigué que d’habitude. J’ai dormi à peine quatre heures la nuit passée, mais les enfants, eux, débordent d’énergie. La matinée passe cahin-caha. Ma fille grimpe partout, j’écris deux mots. Ma fille court partout, je lis un paragraphe. Ma fille saute partout, j’écris un paragraphe.

Vers onze heures, je mange un sandwich aux œufs dans la plus pure tradition new-yorkaise. Omelette, mayonnaise ketchup, mais avec une variante régionale, puisque je la mets dans une pita. De quoi requinquer un homme ! Et requinqué il faut l’être, car le chti quinquin continue à courir partout, et moi, je dois monter deux nouvelles étagères.

Je déballe le carton, je sors les planches, j’étudie la notice. Je prends soin de vérifier que les planches sont installées dans le bon sens, et je monte ensuite tout. Une fois le meuble achevé, je me rends compte que j’ai installé deux planches à l’envers ; il va falloir tout remonter. Faire et défaire, c’est toujours travailler ? Avec quatre heures de sommeil dans les pattes, je m’en passerai bien.

Vers treize heures, c’est censé être l’heure de la sieste pour ma fille, mais elle ne veut pas dormir. Elle ne connaît pas la chance qu’elle a d’avoir la possibilité de s’allonger et de fermer les yeux. Au lieu de cela, elle préfère jouer au pois sauteur dans son petit lit. On la met dans la poussette et on va se promener dehors en espérant qu’elle s’assoupisse ainsi. On en profite pour aller à la boulangerie acheter des pitotes et des pâtisseries.

Sur le chemin du retour, effectivement, ma fille s’est endormie. Je récupère mon fils au bus et on va s’installer dans le petit parc est en bas de chez nous. Pendant quelques heures ça va être notre QG. Je croise une de nos voisines avec qui je discute en hébreu. Elle est arrivée du Maroc dans les années 50/60 et elle a conservé une petite pointe d’accent arabe. Ce qui fait que je la comprends parfaitement et que j’ai l’impression de parler beaucoup plus couramment qu’avec des Israéliens natifs.

J’en profite pour continuer à travailler. Paradoxalement, c’est au parc, pendant que les enfants jouent ou dorment, que j’ai le plus de temps et de silence pour pouvoir avancer dans tous mes dossiers en retard.

Je ne sais pas quand j’arriverai à rattraper le retard en question. Parfois je me dis que ça sera uniquement après la fin de la guerre. Mais quand va-t-elle se terminer ? Je me demande souvent comment les gens qui vivaient la seconde Guerre mondiale percevaient la durée de celle-ci. En 41, est-ce qu’ils imaginaient qu’il y en avait encore pour quatre ans ? En 42, pour trois ? Où est-ce qu’à l’inverse, en 43, ils se disaient : on en a peut-être encore pour 10 ans ? J’ai commencé ce journal en me disant je le terminerai à la fin de la guerre, mais j’en ai pris pour combien exactement ? Combien de mois ? Peut-être combien d’années ?

Vers seize heures, ma fille se réveille. On rentre à la maison et c’est l’heure de prendre une collation. Vers 17h30, enfin, c’est l’heure de se partir. Ce soir, on va voir un nouveau match de basket. Be’er Sheva contre Herzliyah. Israël du sable contre Israël du silicium. Mon fils se plaint d’être fatigué, mais dès qu’il apprend qu’on va partir au basket, il semble trouver un second souffle et se met à courir partout.

Sur place, il tient pendant le premier quart temps, la moitié du second, et puis il demande à s’asseoir sur mes genoux. Quelques minutes après, il s’endort en dépit du bruit extrêmement fort de l’arène. Ça ne paraît pas le gêner. Il dort, il dort, il dort.

Je le réveille au moment de la mi-temps et je lui demande s’il veut rentrer. Les yeux encore englués de sommeil, il répond d’une toute petite voix : oui.

On rentre à la maison. Il est vingt heures et quelques. Je le mets au lit, et, quelques minutes plus tard, c’est mon tour. Pour la première fois depuis des semaines, je dors 8h d’affilée sans me réveiller une seule fois.

Fin du deuxième lundi.

Fin du 157ème jour, 11 mars 2024, Roch Hodesh Adar II 5784.