Journal d’un civil (142) L’Eurovision

Dimanche 25 février.

Il y a un petit drame en Israël, qui semble dérisoire, mais qui en dit long sur ce que nous traversons.

Chaque année, Israël envoie un chanteur au concours de l’Eurovision. Parfois ils sont très bons, parfois ils sont un peu moins bons, mais ils sont là, et ils représentent le pays, à côté de la grosse trentaine d’autres pays qui participent.

Le terme en lui-même est un peu trompeur : euro, mais une Europe très large, puisqu’elle inclut le Moyen Orient et (parfois) la Russie.

Israël a gagné quatre fois : avec Izhar Cohen et Alphabeta en 1978 pour la chanson A-Ba-Ni-Bi. Avec Milk and Honey en 1979 pour la chanson Hallelouyah. Avec Dana International en 1998 pour la chanson Diva, et, enfin, avec Netta en 2018 pour la chanson Toy. (A cela j’ajouterai la chanson Oleh oleh, interprétée par Izhar Cohen en 1985, qui, bien qu’elle n’ait pas gagné, est une chanson immensément populaire en Israël).

Lorsque Netta a gagné, j’étais dans un oulpan au fin fond du désert, mais, coïncidence, j’ai passé une nuit à Tel Aviv quelques jours après la victoire. Netta a donné un concert spécial sur la place Rabin. Elle avait été magnifique. Modeste, pétulante, électrisante.

La chanson de cette année sera interprétée par Eden Golan, qui a gagné cette saison de Hakokhav Haba’ah, l’équivalent israélien de la Nouvelle star, dont le gagnant représente Israël à l’Eurovision (ce fut le cas de Netta). La chanson s’intitule Pluie d’octobre. Elle a été composée en hommage aux victimes du festival Nova, qui s’était tenu dans la nuit du 6 au 7 octobre. Celui-là même d’où Mia Schem avait été enlevé, et sur le poignet de laquelle on peut lire, depuis sa libération : We will danse again.

Plusieurs pays ont protesté de la présence d’Israël dans la compétition. Ça a commencé par l’Islande, qui a menacé de boycotter la manifestation. Puis la mode s’est répandue : la Finlande et la Norvège ont voulu en être. En Finlande, une pétition signée par mille quatre cents artistes, exige qu’Israël soit exclu du concours.

Il est déjà surprenant qu’un pays comme la Finlande en ait contre nous. Mais il encore plus surprenant qu’on y trouve mille quatre cents artistes prêts à pétitionner pour condamner… Pour condamner quoi au juste ? La pétition explique : « Il n’est pas conforme à nos valeurs qu’un pays qui commet des crimes de guerre et poursuit une occupation militaire bénéficie d’une scène publique pour polir son image au nom de la musique. » Ok, on en prend note. Lorsqu’on verra un pays à qui cela s’applique, on lui dira.

Les organisateurs de l’Eurovision ont répondu quant à eux nenni : Israël participera.

Gloire à eux.

Jusqu’à ce qu’ils trouvent un truc. Les chansons étaient jusque-là inconnues, mais elles ont été remises à l’organisateur.

L’organisateur a pris ses lunettes, les a chaussées d’un air nonchalant, et là, boum ! De quoi s’est-il rendu compte ? Mais que les paroles israéliennes, ça ne va pas du tout, mais alors pas du tout ma pauvre dame. C’est politique ! Et la politique, à l’Eurovision, on n’en fait jamais ! Jamais ! Promis, juré ! On aurait aimé pouvoir dire oui, mais là ce n’est pas possible. Vous ne pouvez pas jouer avec nous.

On est un peu surpris, alors on regarde le contenu de la chanson, maintenant qu’elle est disponible. Et niveau politique, on repassera.

” Écrivains de l’histoire
Reste à mes côtés
Regarde dans mes yeux, et tu verras
Les gens vont et viennent, mais nous ne sommes jamais séparés

Quelqu’un a volé la lune la nuit dernière
Il m’a enlevé ma lumière
Tout est noir et blanc
Qui t’a dit
Que les garçons ne pleurent pas

Des heures et encore des heures et des fleurs
La vie n’est pas un jeu pour ceux qui ont le cœur fragile
Pourquoi le temps devient-il fou ?

Chaque jour, je perds ma naïveté
Je m’accroche à ce mystérieux voyage
Danser dans la tempête
Nous n’avons rien à cacher
Ramène-moi à la maison

Laisse le monde derrière toi
Et je te promets, plus jamais
Suis-je encore trempé dans la pluie d’octobre
La pluie d’octobre

Vivre dans la fantaisie
Dans l’extase
Tout est censé être
Nous pouvons mourir, mais l’amour ne meurt jamais

Chaque jour, je perds ma naïveté
Je m’accroche à ce mystérieux voyage
Dansant dans la tempête

Et je te promets, plus jamais
Suis-je encore trempé dans la pluie d’octobre
La pluie d’octobre
La pluie d’octobre

[En hébreu :]
Il n’y a plus d’air à respirer
Il n’y a plus d’endroit où se trouver d’un jour à l’autre
Les bons enfants de tout le monde, un par un.”

Le premier mouvement en Israël a été unanime : qu’ils aillent se faire voir, on ne changera pas une ligne. Israël a même annoncé se retirer si les organisateurs exigeaient une modifications des paroles.

Mais le président est intervenu, et Bougi a dit, en substance : on peut avoir raison, mais des fois ce n’est pas la meilleure politique. Se retirer, ça serait leur donner une victoire, et tout le monde, dans le pays, a envie que nous soyons représentés à l’Eurovision.

Alors actuellement, les musiciens sont retournés faire leurs devoirs et le pays attend la nouvelle mouture. Ira, ira pas ?

Suspense.

Fin du 142ème jour, 26 février 2024, 16 adar I 5784.