Journal d’un civil (132) Le plan Biden

Jeudi 15 février.

Cela fait un moment que la rumeur circule, mais elle commence à être suffisamment persistante pour qu’on puisse en parler : il semblerait que ça démange l’administration Biden de proposer un nouveau plan de paix, voire de reconnaître un état palestinien.

Alors admettons que l’on suive leur feuille de route et que l’on installe un état en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Comment est-ce que monsieur Biden répondrait aux quelques questions suivantes :

Comment fonctionnerait un état avec une discontinuité territoriale ? Entre Gaza et la Cisjordanie, il y a un pays qui existe déjà : Israël. Quel serait le plan exactement ? Couper Israël en deux et faire un corridor entre les deux ? Construire un tunnel pour permettre aux Palestiniens de passer de l’un à l’autre ? Historiquement, ce genre de situation a déjà existé au XXème siècle : lorsque l’Inde a été partagée, le Pakistan était censé être un état uni, qui comportait une partie à l’ouest et une partie à l’est. La partie Est est finalement devenue un pays à part entière : le Bengladesh.

Que deviendraient les 500 000 Juifs qui vivent actuellement en Cisjordanie ? Est-ce qu’ils pourraient rester dans ce futur palestinien et obtenir tous les droits civiques afférents ? Ou est-ce qu’ils devraient déménager et revenir en Israël ? Le cas échéant, quelle serait la contrepartie ?

Et cet état, quelle forme prendrait-il ? Dans la région, la démocratie libérale à l’occidentale n’est pas vraiment la forme de gouvernement qui réussit le mieux. Pourrait-on enfin réfléchir à ces questions en partant des données immédiates plutôt que de vœux pieux ? Et intégrer par exemple le fait que certaines sociétés ont une dimension tribale incontournable et que cette structure ne se prête pas forcément aux modèles politiques occidentaux ?

Mais passons ces questions, dont, quelques soient les réponses, on sait d’avance qu’elles ne seraient que des paroles en l’air prononcées par des occidentaux qui se donnent des airs.

Allons au cœur de la question du scénario à deux états : Israël dans ses frontières actuelles, et une Palestine hypothétique en Cisjordanie et à Gaza. Le scénario est intéressant, parce que, d’une certaine manière, il a déjà été testé. Israël s’est totalement retiré de la bande de Gaza en 2005. Il y avait de facto un proto-Etat palestinien. Et a quoi a servi cette zone ? A être une tête de pont pour continuer le projet génocidaire explicite du hamas, à créer une société entièrement tournée vers la haine d’Israël et sa destruction, à être un proxy iranien, et à lancer des milliers de missiles sur Israël.

Comment croire que ce ne serait pas la même chose en Cisjordanie ?

Un état terroriste en Cisjordanie placerait les capacités d’attaque à huit kilomètres de l’aéroport Ben Gourion, et, au niveau le plus étroit (entre Netanya et Herzliya), le pays ferait à peine 14 kilomètres de large. Autrement dit, une situation sécuritaire qui serait d’emblée défavorable à Israël. Quel premier ministre l’accepterait en son âme et conscience ?

Sans compter le découpage des frontières. Car dans l’état actuel de la ligne verte, qui servirait de point de départ et qui n’est que la ligne d’armistice de 49, une partie de Jérusalem ne serait pas en Israël. En particulier la vieille ville, et donc le mont du Temple et le mur occidental, le lieu le plus saint du judaïsme et du peuple juif. Les occidentaux qui étaient si heureux (à juste titre) que le mur de Berlin tombe, voudraient en installer un à Jérusalem ?

Et cet état palestinien, qui en aurait les clés ? Pour l’instant les Américains disent : il faut une Autorité Palestinienne renouvelée. Et voilà que depuis quelques semaines, effectivement, l’Autorité Palestinienne se bouge et discute avec d’autres factions puissantes en Cisjordanie afin de former un gouvernement d’unité. Au premier plan desquelles on trouve le hamas.

Autrement dit, on en serait à récompenser un mouvement terroriste en lui offrant les clés d’un état : quelles conséquences cela aurait-il sur le plan des relations internationales ? Combien de groupes, ailleurs dans le monde, seraient ravis de prendre les armes pour émuler leur modèle hamastique, afin d’obtenir, eux aussi leurs revendications ?

Quant à la population de cet hypothétique pays, sur quelles valeurs construirait-elle sa société ? Sur celles que lui ont inculqué l’UNRWA depuis 1949 ? Sur le projet scandé par les manifestants partout à travers le monde ? « De la mer à la mer, la Palestine sera arabe ? » (Equivalent en arabe de “from the River to the sea, Palestine shall be free”). Le projet génocidaire sera-t-il dans la constitution, comme il l’est dans la charte du Hamas ?

On nous dit « il y aura des garantis internationale ». Je ris. Les mêmes qu’on nous avait promis sur le couloir de Philadelphie qui est devenue la plus grande passoire commerciale du monde ? Ou la garantie de la frontière nord, où la France devait veiller à ce que le hezbollah se tiennent suffisamment loin ? Celle-là même où les soldats de l’ONU étaient censés se tenir, et depuis laquelle plus de 2 000 missiles ont été tirés sur Israël depuis le 7 octobre ?

Quant à la signature américaine, qui y croit encore totu à fait ? On peut regretter que l’oncle Sam ne tienne pas tous ses engagements et ne soit plus la force positive qu’il fut un jour. Mais il faut regarder 2024 pour ce qu’il est : un pays endetté, divisé comme jamais, dirigé par un vieil homme qui a des trous de mémoire et une administration qui avance masquée. Il reste la première armée du monde, mais leur position stratégique diminue, et leur atout fondamental, le dollar, qui était la monnaie mondiale, est en train de fondre peu à peu, à cause de leur propre politique.

Enfin, et c’est peut-être ce qui doit le plus interroger : pourquoi s’acharner avec ce projet spécifique, alors qu’il n’est qu’un parmi au moins une dizaine d’autres pour organiser les souverainetés nationales, territoriales et politiques dans la région ? Pourquoi n’en regarder aucun autre, et ne se concentrer que sur celui qui met le plus en difficulté Israël, un accord que nous n’accepterons pas ? Quel est le projet derrière ? Quel est le coup suivant dans cette partie d’échecs ?

Dans le cas américain, on nous dit : les élections. Ils veulent imposer une situation irréversible avant les présidentielles de novembre. Dans quel but ? Il semblerait que l’élection se joue dans quelques états clés extrêmement divisés, qui peuvent pencher d’un côté ou de l’autre à peu de voix près. Le Minnesota en particulier paraît important aux démocrates, et ils ne veulent pas fâcher les 100 000 musulmans qui y vivent, et qui, dans leur analyse, sont anti-Israéliens. Quel spectacle pour le reste du monde, qui, à nouveau prend des notes.

Résumons le projet occidental : prendre des terres historiques du peuple juif, les donner à nos ennemis, ennemis dont le projet explicite est, au final, de détruire Israël et de tuer les Juifs, et dire très sérieusement que tout ira bien. Qui peut encore les prendre au sérieux ?

Je continue à penser qu’une paix durable finira par émerger au Moyen Orient. Mais ça serait une paix par ses habitants et pour ses habitants. Pas une paix imposée par d’anciennes puissances coloniales qui continuent à s’imaginer que la région doit s’adapter à leurs intérêts, à leurs calendriers et à leurs valeurs.

Fin du 132ème jour, 15 février 2024, 6 adar I 5784.