Journal d’un civil (130) Tel Aviv

Mardi 13 février

Aujourd’hui, je pars à Tel Aviv. Debout tôt, préparations, petit déjeuner. A six heures quarante-cinq, départ, bus jusqu’à la gare du nord (de Be’er Sheva).

Arrivé à la gare, je me rends compte que j’ai oublié ma carte de transport. A Be’er Sheva elle est devenue inutile : je n’utilise que l’application. Mais lorsqu’il s’agit de prendre un coupon journalier illimité, il faut le charger dans la carte de transport. Au guichet, je demande au préposé si je peux voyager sans. Il me dit : tu vas où ? – Tel Aviv. Il prend une carte qui traîne, charge le passe, et merci au-revoir. Le pragmatisme israélien ne finira jamais de me surprendre.

Dans la salle d’attente, il y a un piano. Quelqu’un s’assied et commence à jouer. Il me faut un moment pour finir par écouter ce qu’il joue. Et je me rends compte que c’est un vrai pianiste. Il a choisi un morceau calme ; tout le monde en profite pour boire son café en étant au concert. Bon début de journée.

A sept heure trente-cinq, je prends l’express, qui amène à Tel Aviv en une heure. J’ai un peu l’impression d’être un provincial qui monte à la grande ville.

Arrivé à la gare de Tel Aviv, je me rends compte que c’est toujours autant le bazar. Ils sont en train de construire plusieurs lignes de tramway, et toute la ville est en travaux. Je pensais, naïvement, que ce serait terminé et que je pourrais prendre le tram jusqu’au centre. Grave erreur. Depuis la dernière fois que je suis venu (en mai), il ne s’est pour ainsi dire rien passé.

L’arrêt de bus que j’utilise d’habitude est fermé. Je marche jusqu’au suivant : il est fermé également. Je décide de me rendre au centre-ville à pied. Je slalome dans les allées qui longent les tranchées, je remonte une rue que je ne connais pas et je tombe, surprise, sur un arrêt du bus que je voulais prendre. Il arrive cinq minutes plus tard, fait trois arrêts, et je dois descendre, encore loin de mon lieu de rendez-vous, à cause d’une déviation. On aura vu des chasses au trésor moins compliquée.

Je termine à pied, une petite vingtaine de minutes de marche, et voilà que j’arrive en avance à mon rendez-vous.

Ce matin, je prends un café avec mon rabbin. Il est venu de Paris avec sa femme pour rendre visite à leur fille. Et, comme à chaque fois qu’il vient, on se retrouve pour un petit déjeuner et une longue conversation sur tous les sujets possibles.

Aujourd’hui, bien sûr, le sujet principal est la « situation ». La guerre, l’antisémitisme, les pressions internationales, et tout ce qui va avec.

Je lui demande comment il trouve le pays, lui qui le connaît si bien. Il me dit que le contraste avec le mois d’octobre est frappant. Il était là pendant les vacances de la Toussaint, juste après le début de la guerre. A ce moment-là, il fallait aller aux abris plusieurs fois par jour à Tel Aviv. Mais, explique-t-il, il y avait toujours quelqu’un pour prendre une guitare et jouer des chansons folk des années 50/60. Ou quelqu’un pour faire des blagues bien noires. Il dit que c’est là qu’il a su que le pays irait bien.

D’après lui, depuis qu’il est revenu, le changement est net : avant, tout était fermé. Maintenant, tout est ouvert. Les gens ont souvent l’air déprimé, mais ils font ce qu’ils ont à faire.

Vers onze heures et demie, je pars pour la suite de mes aventures. Comme la ville est pleine de travaux et que les bus sont pris dans les embouteillages, je fais tout à pied. La sciatique commence à me lancer.

Premier arrêt dans une boutique des beaux arts pour acheter quelques carnets. Puis direction Lev Dizengoff, le grand centre commercial qui ressemble à un escape game tant l’intérieur est fait de niveaux et d’allées enchevêtrées. Je passe à la boutique lego, je m’arrête dans l’une des grandes librairies de la ville, et puis, après m’être perdu trois fois, je finis par émerger au grand jour.

Direction ma librairie d’occasion favorite. Il y a toujours quelque chose d’intéressant, et ça ne loupe pas : je trouve trois volumes de poésie. Marot, Apollinaire, Claudel. De quoi embellir ses pensées. Coup de chance, le volume de Marot est le second, celui qui contient sa traduction des trente premiers psaumes, que je voulais me procurer depuis longtemps.

Avec toute cette marche, la sciatique est à nouveau en colère. Je m’assois sur un banc et je passe un coup de fil à ma grand-mère, en France. Elle me dit : alors, à quoi ressemble Tel Aviv ? Bonne question. La réponse l’étonne : exactement à ce à quoi ça ressemblait il y a six mois.

J’imagine que la ville a dû passer par plusieurs stades de transformations, mais arrivé mi-février, j’ai l’impression de retrouver la ville que je connais.

Une chose m’a frappé cependant au premier abord : il y a peu de signes concernant la guerre ou les otages. A Be’er Sheva, il y a des panneaux et des affiches partout. Ici, entre la gare et le souk, j’ai croisé un drapeau, une affiche sur un poteau et une pancarte sur un chantier de construction. Étrange.

Mais c’est au fur et à mesure de la journée que je me rends compte qu’en réalité, les signes sont différents. Je vois par exemple de longs rubans en satin jaune accrochés aux poignées des portes. Des chaises jaunes également, symbolisant l’absence de quelqu’un dont on attend le retour. Sur la place de Habima, on a accroché la photo d’un soldat tué le sept octobre, accompagné de deux poèmes. Dans les branches, des cœurs ont été suspendus, pleins de messages et de dessins.

Au final, ce n’est pas qu’il y a moins de signes, c’est juste que la sémiotique est différente. Ici, le jaune est la couleur qui domine, alors qu’à Be’er Sheva, c’est le rouge, qui se trouve sur les affiches avec le nom des otages.

Après avoir terminé les courses, c’est l’heure de rentrer. On n’est qu’en début d’après-midi, mais la route va être longue jusqu’à la maison.

Je prends un bus pour retourner à la gare, il est pris dans les embouteillages, et je loupe le train à cinq minutes près. Le prochain est dans une heure.

Comme j’ai de plus en plus mal au dos, je profite de ce moment pour m’asseoir sur un banc, sortir mon petit plateau repas fait maison, et prendre enfin mon déjeuner.

Le trajet retour dure presque trois heures. Le train n’est pas un train express, et le bus que j’attrape ensuite est pris dans les embouteillages. Dans les deux derniers kilomètres, il ralentit, ralentit, et finit par s’arrêter , à trois arrêt de chez moi, en panne !

A seize heures trente, je rentre enfin à la maison. Fin de l’expédition à Tel Aviv. Retour au bercail, heureux d’habiter dans le Néguev.

Fin du 130ème jour, 13 février 2024, 4 adar I 5784.