Journal d’un civil (112) La Cour Internationale de Justice (II)

Vendredi 26 janvier.

Ce matin, tout le monde se réveille à une heure absurde. J’ouvre le bal à quatre heures, comme tous les matins depuis un moment. Impossible de me rendormir. A quatre heures vingt, mon fils se lève : il vient dans la chambre et me demande s’il peut s’allonger sur le canapé. Je lui dis bien sûr, et je l’accompagne pour voir s’il a tout ce dont il a besoin. Parfois, il se rendort ainsi, pelotonné sous une couverture au crochet faite par sa grand-mère. A quatre heures vingt-deux, ma fille se réveille en hurlant. Personne n’a fait de bruit : elle a dû faire un cauchemar. Elle est debout dans son lit, à pleurer à chaude larmes. Je lui donne un biberon en espérant qu’elle se rendorme. Elle ne se rendort pas. Et à quatre heures vingt-cinq, ma femme se réveille.

Magnifique.

La journée qui commence alors que le soleil n’est même pas levé, c’est toujours un grand moment.

Ma femme part s’occuper de ma fille, qui est toujours inconsolable, et je retourne me coucher. J’espère me rendormir un peu, mais c’est peine perdue. Ça y est, la journée commence, et j’ai déjà envie qu’elle se termine pour espérer retrouver un peu de repos.
Le grand moment de la journée est à quatorze heures. La cour internationale de Justice rend ses conclusions concernant la plainte de l’Afrique du Sud. Elle va se prononcer sur les questions préliminaires : est-ce qu’elle a juridiction ? Est-ce que l’Afrique du Sud est habilitée à déposer sa plainte ? Etc. A ce stade elle ne va pas statuer sur el fond. L’enjeu principal concerne un potentiel cessez-le-feu qu’elle pourrait demander en attendant de pouvoir statuer sur le fond.

A ce sujet, le hamas, qui est en de plus en plus mal dans la bataille de Khan Yunis depuis quelques jours, a publié un communiqué dans lequel il déclarait que

Si la Cour internationale de justice de La Haye décide d’un cessez-le-feu, le Hamas s’y engagera tant que l’ennemi s’y engagera.

Le Hamas libérera les prisonniers israéliens qu’il détient si Israël libère les prisonniers palestiniens qu’il détient.

L’ennemi doit mettre fin au siège imposé à Gaza depuis 18 ans et apporter l’aide nécessaire aux habitants de la bande.

Plusieurs articles reviennent sur la composition de la cour. Elle est composée de :
Elle est présidée par Joan E. Donoghue (USA), vice-président Kirill Gevorgian (Fédération de Russie). Les juges actuels sont : Peter Tomka (Slovaquie), Ronny Abraham (France), Mohamed Bennouna (Maroc), Abdulqawi Ahmed Yusuf (Somalie), Hanqin Xue (Chine), Julia Sebutinde (Ouganda), Dalveer Bhandari (Inde), Patrick Lipton Robinson (Jamaïque), Nawaf Salam (Liban), Yuji Iwasawa (Japon), Georg Nolte (Allemagne), Hilary Charlesworth (Australie), Leonardo Nemer Calderia Brant (Brésil). Deux juges ad-hoc sont également présents : Aaron Barak pour Israel et Dikgang Moseneke pour l’Afrique du Sud.
A quatorze heures la retransmission commence (cette fois-ci, il m’a fallu trois secondes et demie pour la trouver).

La présidente lit l’ordonnance d’une voix lente et monocorde, et passe en revue toutes les questions. Est-ce que la cour a juridiction ? Oui. Est-ce que l’Afrique du Sud est bien habilitée à porter plainte ? Oui. Est-ce qu’il y a bien dispute entre les deux parties ? Oui. Elle rappelle également le contexte : le 7 octobre, l’invasion du hamas et les pogroms.
Après un (long) moment pendant lequel on repasse une couche sur les accusations contre Israël, on en arrive aux mesures conservatoires : qu’est-ce que la cour demande d’Israël ?

1. L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention [qui définit précisément le terme de génocide, dans une définition plus large que la définition courante]. 15 juges ont voté pour, deux contre (Sebutinde et Barak).

2. L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus (15 pour, 2 contre : Sebutinde et Barak).

3. L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza (16 pour, 1 contre : Sebutinde).

4. L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza (16 pour, 1 contre : Sebutinde).

5. L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza. (15 pour, 2 contre : Sebutinde et Barak).

6. L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci (15 pour, 2 contre : Sebutinde et Barak).

La première chose qu’on voit, c’est qu’il n’y a pas de demande de cessez-le-feu. La deuxième, c’est qu’il y a une juge qui a systématiquement voté contre toutes les mesures conservatoires : la juge ougandaise. La troisième, c’est que les demandes de la cour sont en réalité assez légères : il faut faire un rapport dans un mois pour dire qu’on fait déjà les points qu’on nous demande. Ça devrait aller. (A Brooklyn, les gens disent « I’m gonna write a lettuh ».)

Le plus romanesque, à mon avis, est la position de Barak, qui ressemble de plus en plus à un personnage balzacien. Il faut imaginer la situation dans laquelle se trouve cet homme : survivant de la shoah, sommité juridique du pays, partisan d’une certaine conception du droit et des institutions internationales, et le voilà qui se retrouve à devoir expliquer à une partie de ces mêmes institutions que ce sont des pignoufs. Il a écrit une décision contradictoire qui doit être publiée séparément.

Quelques commentaires :

“Israël prend au sérieux son obligation de prévenir les génocides. C’est pourquoi nous combattons les monstres terroristes qui ont réduit en cendres des familles entières le 7 octobre et qui nous disent qu’ils recommenceront si nous ne les arrêtons pas.” (Eylon Levy)

La CIJ dénigre Israël pendant 35 minutes, puis Israël gagne. (Titre du Jerusalem Post)

Fin du 112ème jour, 26 janvier 2024, 16 shevat 5784.