Journal d’un civil (161) De la polis israélienne

Le sénateur de l’ état de New York, Chuck Schumer, a fait une déclaration qui disait en substance qui fallait remplacer Netanyahou, que le premier ministre avait complètement déraillé, que le monde avait changé depuis le sept octobre, et que par conséquent il fallait des élections anticipées pour que les Israéliens puissent élire un nouveau premier ministre, plus en phase avec l’époque. Rien que ça.

Il avait néanmoins oublié quelques éléments en chemin.

Premièrement, Netanyahou a été élu, par les électeurs israéliens, et pas qu’une fois. Il a toute sa légitimité pour continuer.

Deuxièmement, ce n’est pas à un sénateur américain de décider quand doivent avoir lieu des élections en Israël, ou si son principal dirigeant est la bonne personne au bon endroit. Venant d’un membre du parti démocrate, et vu l’état de leur président candidat, c’est même franchement comique.

Troisièmement, il s’imagine qu’en cas d’élections anticipées, Netanyahou ne serait pas réélu. Rien n’est monde sûr. La liste des gens qui ont prédit sa défaite est sans fin, mais lui est toujours là. Et il se porte bien: le dernier sondage le donne même en tête, renversant la tendance de ces dernières semaines qui plaçait Gantz et son parti en première place. Bizarrement, cela fait suite aux déclarations de la semaine écoulés de Biden qui lui aussi expliquait très tranquillement ce qu’on devait faire, comme si Israël était une colonie américaine. Ce n’est pas demain qu’on dira aux Israéliens quoi faire.

Enfin, quatrièmement, et c’est peut être le plus important, toutes ces analyses sont produits par Washington, qui se trouve à dix mille kilomètres d’Israël, par des gens qui n’ont pas encore intégré une nouvelle donnée, pourtant fondamentale, dans l’équation politique : la nature profonde de la société israélienne et de son rapport à la politique a changé.

Pour expliquer pourquoi, il faut faire un petit détour par la science politique. Les Grecs avaient inventé une typologie des régimes politiques en fonction de différents critères (qui est au pouvoir ou combien sont au pouvoir).

Flacius Josèphe, qui était hellénophone puisqu’il venait de la partie orientale de l’empire romain, avait inventé un autre mot pour décrire l’organisation politique juive, qu’il considérait comme différente de l’organisation des autres polis, qu’elles soient de son époque ou des siècles classiques.

Il appela l’organisation de la cité juive “théocratie”.

Le mot prête à confusion parce qu’il a pris un autre sens de nous jours. Aujourd’hui ce qu’on appelle théocratie c’est le pouvoir donné aux religieux, ce qu’on devrait appeler, de façon plus rigoureuse, cléricocratie.

La théocratie, selon Josephe, c’est la polis où le pouvoir appartient à Dieu.

For their government, though human in its origin, is nevertheless in accordance with that of a theocracy, as if it were administered by the direction of some superior power.” (La Guerre des Juifs, Livre II, Chapitre 8, Section 11, Flavius Josèphe).

A ce sujet il d’ailleurs intéressant d’étudier l’organisation géographique de la cité juive par rapport à la cité grecque.

Quelles étaient les institutions au centre de la cité athénienne par exemple ? La Pnyx, où s’assemblaient les citoyens, le théâtre, où ils recevaient une forme d’instruction morale, le temple d’Athéna, dédié à la sagesse et à la raison, et l’agora, dédié au commerce et au débat philosophique.

Quelle était l’instruction centrale à Jérusalem ? Le Temple, dédié au Dieu unique. Et dans ce temple,qu’y trouvait-on? Dans le premier on trouvait l’arche d’alliance, qui contenait les lois fondamentales sur lesquelles devaient vivre la société. Dans le second, on ne trouvait rien de matériel. Le saint des saints était vide : il n’y avait rien d’autre que la présence de Dieu, c’est à dire la possibilité de la rencontre, d’un face à face, entre le Créateur et sa créature.

Josèphe ne sort pas cette idée de nulle part. C’était un prêtre, extrêmement éduqué, qui consistait sa Torah et sa tradition comme personne. Or c’est un thème qui revient extrêmement souvent dans la Bible hébraïque : Dieu est le roi, le couvercle de l’arche d’alliance est son marché pied, et sous celui-ci se trouve les termes de l’alliance passée entre l’Eternel et le peuple qu’il a choisi pour être son représentant, une alliance éternelle.

Dans cette perspective, tout gouvernement ne peut être que limité. Il ne peut s’inscrire que dans un cadre déjà donné, qu’il ne peut pas modifier. Toute politique doit se soumettre à un ordre supérieur, un ordre moral contre lequel elle ne peut pas légiférer ou agir, un ordre directement ici du divin.

C’est en ce sens que la polis hébraïque est une théocratie: Dieu est au-dessus de la loi des hommes.

A ce stade il faut préciser que par Dieu, on entend le Dieu de la Bible hébraïque, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu qui révèle a Moise les dix commandements et aux prophètes la vision des temps messianique, lorsque l’humanité, réconciliée, connaîtra enfin la paix et la prospérité universelle.

Cette théocratie a été détruite par les Romains en 70. Elle n’a plus existe nulle part ailleurs. Certains s’en sont inspirés (c’est l’origine de la notion de roi de droit divin : l’origine, mais pas la mise en musique), mais on ne l’a plus vue depuis 1900 ans.

Jusqu’au 7 octobre 2023. Peut être le 8.

J’ai déjà parlé de nombreuses fois de l’unité qui s’est révélée dans le sillage de cette journée noire. Mais ce n’est pas la seule transformation qui s’est opérée.

Une autre a eu lieu, qui a beaucoup étonné en dehors d’Israël et qui a souvent donné lieu à des remarques qui tombaient à l’eau faute de prendre en compte le changement complet de tableau.

Toute la société s’est organisée, de façon spontanée, pour faire ce qu’elle avait à faire. Sans aucune intervention de l’état, du gouvernement ou de quelques fonctionnaires que ce soit.

Ce qui a été critiqué par certains : l’état ne fait rien, rendez-vous compte, les gens sont obligés de tout faire eux même !

Ce qu’on voyait n’était pas une défaillance de l’état : c’était le réveil de la polis hébraïque, qui n’existe jamais aussi bien que lorsqu’on la laisse faire ce qu’elle a à faire.

Toute la question est de savoir si c’est un réveil temporaire ou si effectivement c’est un changement profond.

Si c’est le cas, les conséquences sont nombreuses. Y compris sur le plan politique. La société sait ce qu’elle a à faire, dans toutes ses composantes. La question à laquelle vont devoir répondre les politiques : vont-ils aller avec la société ou contre ? Vont-ils devenir les bergers dont on a besoin ou vont-ils essayer de plier notre volonté à la leur ? Vont-ils aider à la mutation de la polis hébraïque ou tenter d’enrayer son fleurissement ?

Tout ne fait que commencer. Tout ne fait que recommencer.

Fin du 161ème jour, 15 mars 2024, 5 Adar II 5784.

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Citation de Chuck : “Netanyahu is an obstacle to peace, his coalition is harming Israel. It cannot hope to succeed as an ostracized country, that operates contrary to the rest of the world.