Journal d’un civil (160) Le jardin d’enfants

Jeudi 14 mars.

Aujourd’hui, c’est la rentrée. On dirait pas comme ça, en plein mois de mars, alors que le ciel est couvert de nuages et qu’on est en fin de semaine. Mais pour ma fille, qui n’a pas encore tout à fait deux ans, c’est la rentrée. Aujourd’hui, elle va à la crèche pour la première fois.

En hébreu, techniquement, elle va au maon. Le mot « gan », employé couramment, est l’apocope de l’expression gan yeladim : jardin d’enfants. Gan devrait être réservé à la maternelle, où les enfants vont, comme en France, à partir de trois ans, et pour trois années, mais tout le monde l’emploie à tort et à travers. Moralité, ma fille entre au gan, même si c’est un maon.

Cela longtemps qu’on y pense, et cela fait longtemps qu’on essaye. Les structures pour accueillir les enfants sont un problème dans tous les pays où j’ai vécu.

En France, mon rabbin, qui a quatre enfants, m’avait dit : la crèche, c’est pas compliqué, tu réserves dès que tu sais que ta femme est enceinte (!).

Aux USA, il est relativement facile de trouver une structure, mais le prix est totalement prohibitif. C’est bien simple, la première année, 95% de mon salaire de professeur servait à payer la crèche. Tous les matins, je partais m’occuper d’enfants qui n’étaient pas les miens, pour payer quelqu’un que je ne connaissais qu’à moitié pour qu’il s’occupe du mien. L’avantage : je pouvais rappeler à l’équipe avec qui je travaillais que je n’étais clairement pas là pour l’argent.

En Israël, le système est mixte, et me paraît beaucoup ressembler à la France. Il existe des structures plus ou moins officielles, dont le tarif varie en fonction des revenus des parents. Etant donné que les places sont bon marché, elles sont chères. Il faut s’inscrire longtemps à l’avance (mi-février pour la rentrée de septembre/octobre), faire des vœux en fonction de l’endroit où on habite, et remplir des kilomètres de paperasse.

On s’est inscrit sur les listes pour la rentrée, mais en attendant, il fallait trouver une alternative. Ma fille est à l’âge où elle veut tout explorer, tout découvrir, tout essayer, et étant donné que les deux parents travaillent depuis la maison, on était arrivé au moment où, pour continuer à travailler à peu près correctement, il faut que les enfants aient un système de garderie.

On a contacté l’ancien gan de mon fils, celui où il a commencé à apprendre l’hébreu, quand nous sommes revenus, entre deux épisodes de Corona, et qu’il avait à peu près l’âge que sa sœur a aujourd’hui.

La directrice nous a dit : pas de problème ! Je marie mon fils dans quinze jours, ça va prendre la semaine, venez la semaine d’après.

La semaine en question étant arrivée, on envoie un message pour demander : on peut venir demain ? Réponse : on peut commencer le mois prochain (soit dans trois semaines). On dit : mais il y quinze jours, vous nous avez dit dans quinze jours ! Ah. Alors jeudi. (Dernier jour de la semaine, arg).

Jeudi matin, à huit heures trente, tout le monde est prêt. Ma fille est habillée de pied en cap, fière comme Artaban. Elle sait tout à fait ce qu’il se passe : elle a réclamé le petit sac qui était accroché à l’entrée et qui a été acheté pour l’occasion.

Ma femme lui donne un petit panneau qui dit « premier jour de maon 14 mars 2024 », et on prend quelques photos avant de nous mettre en route.

Le trajet est beaucoup plus court que celui que je faisais lorsque nous habitions l’ancien appartement. Ce n’était pas beaucoup plus loin, mais il fallait traverser deux grandes rues, ce qui demandait, pour peu qu’on arrive à un mauvais moment dans la synchronisation des feux, un temps certain.

Il me fallait environ 15 minutes pour y aller, 15 minutes pour revenir, deux fois par jour : au minimum une heure par jour. C’est l’époque où j’avais besoin de bon podcasts !
Depuis le nouvel appartement, c’est moins de dix minutes en prenant son temps.
Arrivé sur place, nous sommes accueillis par la directrice. Ma fille est un peu réticente. Elle reste dehors un moment, à jouer avec les jeux d’extérieur. Elle trouve un citron, qui est tombé de l’arbre qui se trouve dans la cour. Elle le prend avec elle comme si c’était un merveilleux trésor.

A l’intérieur, on s’assied dans la salle des petits. Ma fille commence à se familiariser avec les lieux. Elle paraît hésitante, mais les autres enfants viennent jouer avec elle. Peu à peu, d’autres arrivent, y compris la fille d’un couple d’amis.

Après une bonne demi-heure, la directrice nous explique que ça pourrait être une bonne idée de partir. On dit au-revoir à notre fille, et on quitte les lieux aussi discrètement que possible. Ce matin, elle ne reste que deux heures, pour commencer à s’acclimater. Ma femme a un rendez-vous non loin de là ; je rentre à la maison travailler. Espérons que la matinée se passera aussi bien que possible.

Epilogue : tout s’est bien passé. La ganenette nous a même fait remarquer : elle comprend l’hébreu ? Vous aviez dit qu’elle ne comprenait pas, mais elle comprend tout ce que je lui dis. Elle a dû apprendre avec son frère.