Les blogs, c’était mieux avant

Dans le cadre de notre série de billets intitulés « c’était mieux avant », aujourd’hui : les blogs, c’était mieux avant.

Pourquoi ?

Parce qu’à la grande époque des blogs (disons entre 2000 et 2010 ?), tout le monde avait un blog. Parce que les gens laissaient des commentaires, et que certains étaient même intéressants. Et parce qu’il y avait une section du menu qui s’intitulait généralement « liens », dans lequel on pouvait découvrir d’autres blogs que l’auteur aimait bien, ce qui permettait d’explorer la blogosphère, encore peu cartographiée, selon un principe d’affinités qui était tout à fait sympathique.

Les blogs ont ouvert un espace d’expression sans commune mesure. Tout le monde pouvait s’exprimer sur tous les sujets, sans la moindre barrière à l’entrée, et sans le moindre contrôle de contenu (dans beaucoup de cas). On y trouvait tout et n’importe quoi : c’était l’intérêt. Mais on trouvait surtout des spécialistes de tous les sujets possibles et imaginables, qui créaient des contenus de qualité, et ouvraient des pistes de réflexion, de découverte et de contacts jusque-là inédits. Ajoutez à cela une diversité de voix, d’opinions et de contenus : comment ne pas, en comparant avec aujourd’hui, se dire « vraiment, les blogs, c’était mieux avant ».

Les blogs ont vécu, dépassés par les réseaux sociaux, à commencer par Facebook, qui permettait d’écrire des posts dans un lieu centralisé où tout le monde pouvait ensuite les partager.

Car c’était leur principal talon d’Achille : chacun pris séparément pouvait être excellent, mais il n’existait que loin des autres, et, mis à part le système des rings (qui connectaient tous les blogs d’un même thème, par exemple la science-fiction, la série X-Files, les jouets Hello Kitty, que sais-je), on naviguait au petit bonheur la chance.

Dans la phase suivante de la grande histoire des blogs, on a vu apparaître des sites qui permettaient d’héberger son blog : blogger, 20six et autres Skyblogs. Choisir l’un ou l’autre revenait à choisir son camp : tout ce qui était en dehors semblait appartenir à un autre monde. Les blogs étaient connectés, mais on était encore dans le monde amateur. Il fallait professionnaliser tout ça.

D’où l’apparition d’un système comme medium.com, qui proposait, en plus, de rémunérer les auteurs les plus lus, ou, plus récemment de Substack, qui réinvente la newsletter, tout en permettant aux créateurs de contenu de gérer leur public et d’avoir des abonnés, gratuits ou payants. Bien sûr tous ces systèmes privilégient l’anglais et les Etats Unis, ce qui les rend peu attractif pour le public français et francophone.

Il y a eu également le grand moment où les journaux ont ouvert des blogs dans tous les sens : on pouvait bloguer chez Le monde, bloguer au Huffington Post ou bloguer chez Times of Israel. Pour les publications, c’était l’assurance d’avoir une grande source de contenus produit gratuitement, dont les meilleurs pouvaient être mis en avant par la ligne éditoriale classique, et, pour les auteurs, c’était le moyen d’obtenir ce qui manquait cruellement au format blog classique : une certaine forme de reconnaissance institutionnelle. Le côté négatif : le retour de la sélection, souvent peu transparente, alors que l’intérêt du blog était que tout le monde pouvait en ouvrir un, ce qui permettait de faire émerger des voix qui n’auraient jamais eu accès au monde médiatique classique.

On nous dit : les blogs c’est fini, maintenant les gens veulent des formats courts. Ils veulent un tweet de 280 caractères, une image sur Instagram accompagnée de quelques mots, une vidéo d’une minute sur Tik-Tok, et c’est tout.

Mais si cette analyse était fausse ? Elle semble tout droit sortie d’un argumentaire marketing de l’un de ces réseaux. Parce que, à analyser ces mêmes réseaux, on voit le besoin d’un format plus long, voire d’un format très long. Sur Twitter, c’est l’apparition du fil (thread, fonction apparue en 2017), une concaténation de messages court qui permet d’élaborer un discours plus long. Sur YouTube, on a vu apparaître dès 2015 dans sa version américaine, des chaînes qui proposaient des contenus longs (interviews de plus d’une heure) et qui, au final, réinventaient les émissions de télé sur des segments très spécifiques. Depuis deux ans environ, le YouTube français suit la même route, après que les créateurs ont expérimenté des formats alternatifs qui n’ont intéressé personne (voir par exemple la grande mode des chaînes télé sur le web à base d’abonnement).

Il n’y a pas de raison que le format écrit reste corseté dans deux cent quatre-vingt caractères ou dans des posts Facebook où plus personne ne va. Il existe des blogueurs qui continuent à produire du contenu de qualité, et qui utilisent les réseaux sociaux pour diffuser leur production. Mais on est loin de la puissance de feu potentielle : les posts vraiment efficaces sont ceux qui sont pensés directement pour la plate-forme : d’où par exemple la supériorité d’un thread sur un lien qui pointerait sur le même contenu hébergé sur un blog tiers.

Nous voilà dans une période de flottement. Twitter satisfait de moins en moins d’utilisateurs. Facebook semble faire parti d’un monde ancien. Medium.com et Substack sont câblés pour des utilisateurs américains, en tous cas fortement anglophone. Les plates-formes centrales ne sont plus visitées (20six.fr -disparu en 2018- et compagnie font désormais partie du « web d’avant », et qui utilise cette fonction sur WordPress ?) et les grands médias ne sont plus vraiment intéressés par le fait d’avoir des personnes extérieures (essayez d’ouvrir un blog sur le Figaro ou Times of Israel).

Pourtant la demande est là. On voit par exemple sur Twitter quelques blogueurs actifs de qualité, et en face une appétence pour les formats longs et des voix différentes. Inadéquation de l’offre et de la demande, moment de flottement. Moralité : les blogs, c’était mieux avant, mais il n’y a aucune raison que ça ne soit pas mieux demain.


Image : capture d’écran du site 20six.fr (où se trouvait mon premier blog), dans son habillage du 8 avril 2005.