Journal d’un civil (71) Shabbat Mikets

16 novembre.

Ce matin est un matin comme on les connaissait avant. Un matin calme, un matin de début d’hiver, un matin frais, plein de la lumière du désert.

On se lève, on attrape aussitôt une petite laine, et on va prendre le petit déjeuner, l’esprit encore un peu embrumé.

Vers neuf heures, ma femme part avec mon fils pour aller à l’office du matin, et je reste avec ma fille. Je finis de me préparer et nous sortons à notre tour. Pour la première fois depuis longtemps, on peut jouer ensemble sans se soucier de l’heure ou d’avoir quelque chose à faire.

Je l’emmène dans un petit parc où il y a des instruments de musique. Ou, pour être plus précis, des objets sur lesquels elle peut taper pour faire du bruit. Une seule pensée occupe l’arrière de mon esprit : que faire s’il y a une alerte ? Le miklat le plus proche me semble à plus d’une minute de distance, même en courant. Et les maisons qui nous entourent sont trop basses pour offrir une protection vraiment conséquente.

J’essaye de chasser cette idée de ma tête : cela fait plus d’une semaine qu’il n’y a rien eu sur Be’er Sheva. Peut-être que la série va continuer ? C’est typiquement un raisonnement erroné (le passé ne laisse pas présager de l’avenir dans ce cas précis), mais ce matin, je fais avec.

Ce matin il n’y a pas d’alertes, mais le ciel est bruyant. Des avions, des hélicoptères, des drones. Toutes les dix minutes il y a quelque chose. On imagine le désert silencieux, mais c’est comme la campagne : c’est parfois plus bruyant que la ville.

Et en dépit de l’absence d’alertes, nous y pensons tous. Mon fils demande tous les jours, plusieurs fois par jour : « c’est quoi ce bruit » ? Au début, je pensais que c’était une habitude qu’il avait prise à l’école. Tiens, il y a quelque chose de nouveau, qu’est-ce que c’est ? Mais j’ai fini par comprendre que non, en réalité, ce qu’il demandait c’est « est-ce que c’est la sirène » ? Alors maintenant je le rassure à chaque fois. Je lui dis : « ce n’est pas une sirène, et s’il y a une sirène, il faut chercher un adulte, qui te dira ce qu’il faut faire ». J’en profite pour lui expliquer l’origine du mot sirène, mais ça n’a pas l’air de l’intéresser tant que ça.

Vers midi, nous déjeunons. Des salades, de la hallah fraîche, du café. La cuisine n’est pas encore redevenue totalement opérationnelle, mais on commence à pouvoir l’utiliser de façon plus normale.

L’après-midi passe tranquillement. J’emmène mon fils au parc pendant que ces dames font la sieste. Le soleil est encore fort, même pour un mois de décembre, et je me rends compte, le soir, que j’ai pris des couleurs.

Vers dix-sept heures trente, on met le film de la semaine. Aujourd’hui : la Planète aux trésors, un Disney peu connu qui réimagine l’histoire de Robert Louis Stevenson dans un contexte spatial, avec des galions qui voguent dans l’espace avec un étrange air de l’œuvre de Leiji Matsumoto (Albator). J’ai été agréablement surpris, notamment par la rédemption du personnage de Long John Silver. Très prévisible, mais bon moment de cinéma familial néanmoins.

Enfin, il est l’heure de rallumer le téléphone, l’heure où notre temps familial va rejoindre le temps national, et où l’on va apprendre ce qu’il s’est passé pendant la journée. J’aime de moins en moins ce moment, mais il est nécessaire. Ensemble nous vivons, ensemble nous avançons.

Les nouvelles du soir ne sont pas bonnes.

Elles commencent par une histoire tragique au cube. Trois otages, Yotam Haim, Samar Talalka et une troisième personne, dont la famille a demandé à ce que son identité ne soit pas communiquée, ont été tués par l’armée. Le chef d’état major Herzi Halevi, a déclaré :
“Tsahal, et moi-même en tant que commandant, sommes responsables de ce qui s’est passé, et nous ferons tout pour éviter que de tels cas ne se reproduisent dans la suite des combats.
“J’essaie de me mettre à la place du soldat de Shejaiya, après des jours de durs combats, de rencontres rapprochées, de rencontres avec des terroristes habillés en civil, qui arrivent par divers moyens détournés. Il doit être vigilant et prêt à faire face à n’importe quelle menace”.
“Une décision prise en une fraction de seconde peut se traduire par la vie ou la mort”.
Il ajoute que “les trois otages ont tout fait pour que nous comprenions [qu’ils ne représentaient pas une menace] : Ils se sont déplacés sans chemise pour que nous ne les soupçonnions pas de porter une bombe sur eux, et ils ont tenu un tissu blanc pour que nous comprenions”.
“Les tirs sur les otages ont été effectués en violation des règles relatives aux tirs à balles ouvertes. Il est interdit de tirer sur ceux qui brandissent un drapeau blanc et demandent à se rendre. Mais ces tirs ont été effectués au cours d’un combat et sous la pression”. (Source : Times of Israel).

La nouvelle est trois fois tragique. Tragique pour ces trois otages, qui avaient survécu soixante-dix jours, et pour leurs familles qui ne les reverront pas revenir. Tragique pour les soldats qui les ont mal identifiés, qui ont tiré et qui vont maintenant devoir en subir les conséquences. Tragique pour le pays, parce que nous perdons trois personnes dont nous espérions tant la libération, et parce que nos ennemis ne vont pas se priver d’utiliser cet événement pour répandre leur haine et leur poison dans le reste du monde.

Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, on découvre également un sondage Harvard CAPS/Harris sur l’état de l’opinion américaine vis-à-vis de la guerre à Gaza. Les opinions vont dans tous les sens, et sont parfois mutuellement contradictoires. 81 % des gens soutiennent Israël dans le conflit avec le hamas, mais plus de la moitié des jeunes de 18 à 24 ans pensent qu’Israël ne devrait plus exister et être remplacé par un état palestinien. On pourrait dire qu’ils sont jeunes, qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent et qu’ils font ton sur ton avec les institutions académiques qui les endoctrinent. Certes, mais quelle chute morale pour les Etats Unis.

Sur ce, je déconnecte. Demain sera un nouveau jour, demain sera une nouvelle semaine. Puisse-t-elle apporter de meilleures nouvelles. – Fin du 71ème jour, 16 novembre 2023, 4 tevet 5784.