Journal d’un civil (42) La collecte

17 novembre.

Aujourd’hui, vendredi, premier jour du week-end, j’ai une mission un peu spéciale : j’ai rendez-vous à l’autre bout de la ville pour participer à une collecte de sang. Je veux y aller depuis longtemps, mais encore faut-il qu’il y ait une collecte dans les parages et que je sois disponible à ce moment-là.

Or voilà que j’ai reçu un message à propos d’une nouvelle campagne à Be’er Sheva. Je me suis inscrit il y a quelques jours, j’ai sauvegardé l’adresse, et, ce matin, je prends le bus à la fraîche. J’arrive même en avance.  

La collecte a lieu dans un matnass, une structure qui sert de salle des fêtes, de lieu de conférence et d’endroit où organiser les événements dont le quartier a besoin. Il y a deux salles : l’accueil et la salle de collecte. L’ambiance est très détendue : on procède leat, leat, tranquillement.  

C’est le Magen David Adom qui réalise la collecte (littéralement l’étoile de David rouge), ce qui est l’équivalent des premiers secours. L’année dernière j’ai d’ailleurs fait leur formation premier secours, celle où on apprend à faire un massage cardiaque et à utiliser un défibrillateur.

Le plus difficile ? Remplir le pré-formulaire d’admission. Tout est en hébreu, et le vocabulaire médical est hyper précis. Ça me prend près d’une demi-heure pour tout remplir, sans compter que le téléphone a bugué à mi-chemin.

Puis on me prend la tension, on vérifie mon niveau d’hémoglobine (152 de mémoire, aucune idée de ce à quoi ça correspond), et en voiture Simone.

Dans la salle de prélèvement, il y a une quinzaine de lits. Ils sont déjà tous occupés par ceux qui savent remplir un formulaire. Après un petit moment ça commence à se libérer, on m’envoie vers le fond. Je m’allonge et on commence les préparatifs. La personne qui s’occupe de moi a à peine vingt ans. Elle commence. Elle cherche la veine dans mon bras gauche, et, comme à chaque fois qu’on me fait un prélèvement, la veine se cache. Elle me demande de jouer avec la balle en mousse qu’elle a mis dans la paume de ma main, mais ça n’a pas l’air de fonctionner tant que ça : il faut appeler la chef.

La chef arrive, bonjour monsieur, alors que se passe-t-il ? – Je vois pas la veine. – Attend, on refait le garrot.

Elle desserre le morceau de plastique, et le resserre deux fois plus fort. Pour un peu elle aurait presque posé le pied pour serrer encore plus fort. Mais elle avait raison : la veine ressort. La collègue n’attend pas un instant, elle la pique au vol, et le prélèvement commence.

C’est la première fois que je donne mon sang. J’avais voulu le faire il y a de nombreuses années, à Paris, alors qu’il y avait un point de collecte près de mon université. Sur la porte du local, il y avait un panneau qui disait « si vous avez visité les lieux suivants depuis moins de six mois, vous ne pouvez pas participer ». Il y avait des pays avec des crises épidémiques en cours (pays d’Afrique et pays équatoriaux) et… Israël. Pourquoi ? Aucune idée. J’ai tourné les talons et je suis rentré chez moi.

Je reste donc allongé une dizaine de minutes, à fixer le plafond pendant que la poche raccordée à mon bras par un mince tube en plastique se remplit. C’est dans ce genre de moment qu’on sent à quel point notre corps est un système biomécanique. J’ai des images de Matrix dans la tête, des images de H. R. Giger, des images de corps, de tuyaux et de fluides. J’essaye de penser à autre chose. Je savais que j’aurais dû mettre mon oreillette et écouter du Mozart.

Une fois le prélèvement terminé, on me dit de tenir le bras en l’air, et on me donne un papier à lire en attendant. Il y a deux colonnes : “vous pouvez faire” (après tant de temps), “vous ne devez pas faire” (avant tant de temps). Comme tout est en hébreu, et à qu’à nouveau il y a plein de termes techniques, je ne comprends pas tout. Mais je lis et je rends le papier. En gros je dois me reposer pendant vingt-quatre heures.

A dix heures, tout est réglé. Je mange quelques cookies offerts par la maison, je bois un peu d’eau et je repars. Une des volontaires me voit partir avec un gros pansement sur le bras. Elle me dit que je dois m’asseoir et attendre dix minutes. Je lui dis que c’est déjà fait. Elle acquiesce. Alors shabbat shalom.

Je rentre à la maison en prenant le bus. On passe à travers les halles de Be’er Sheva. Il y a un gros embouteillage. Tout le monde est en train de faire ses courses pour shabbat.

Aujourd’hui mon épouse est un peu malade, ma fille se remet à peine de son rhume et comme je n’ai pas le droit de faire d’efforts, le reste de la journée va être compliqué, d’autant qu’on doit préparer shabbat. Mais ma femme a eu une idée brillante : elle a demandé à notre groupe d’amis de nous aider, étant donné que c’est notre premier shabbat dans notre nouvel appartement et que tout n’est pas encore en place.

Et voilà qu’à midi, quelqu’un frappe à la porte. Je vais ouvrir : ce sont les enfants d’un couple d’amis qui habitent à côté de chez nous. Ils nous amènent des hallot qui viennent de sortir du four. L’odeur de pain frais envahit aussitôt la maison, c’est un vrai bonheur.

Un peu plus tard, un autre couple d’amis doit nous amener des tacos maison. Et, si j’ai le courage, j’irai chercher deux trois choses utiles dans l’ancien appartement. Ça sera un shabbat un peu camping, mais il y aura tout ce qu’il faut.

– Fin du 42ème jour, 17 nov. 2023, 4 kislev 5784.