Journal d’un civil (28) Le vocabulaire

Vendredi 3 novembre 2023.

                Ce matin, le programme est double : atelier cuisine et atelier construction. L’atelier cuisine pour préparer shabbat, l’atelier construction pour préparer le nouvel appartement. Bâtir le temps et bâtir l’espace, pour faire en sorte qu’ils se retrouvent.

                L’atelier cuisine : préparation des légumes que l’on a reçus hier soir grâce à notre merveilleux panier fermier.

                Il y a un sujet agriculture depuis quelques semaines. Un grand nombre des kibboutz autour de Gaza sont des kibboutz agricoles. Les habitants évacués, que faire des cultures et des élevages ? Des volontaires vont travailler dans les champs, les soldats arrosent les plantes et une grande chaîne de supermarché nous a même envoyé des messages pour dire qu’ils distribuaient la production. Idem pour les élevages de poulets, qui ont dû être abattus en plus grand nombre que prévu : il y a surproduction, et le grand magasin de viande de Be’er Sheva propose des prix très bas.

                C’est d’ailleurs le plat de ce soir : poulet rôti, avec des légumes et du riz.

                L’autre grand moment de cuisine, c’est la préparation de la hallah, le pain de shabbat. Ma femme essaye de le faire elle-même depuis quelques semaines. Comme c’est un pain brioché, il y a une technique très particulière qu’utilisait son père (qui était boulanger) et qu’elle montre depuis à notre fils.

                La hallah est délicieuse, mais on a du mal à trouver un levain qui fonctionne vraiment. On utilise un levain sec qu’il faut réhydrater, pas très convaincant, mais on n’a pas encore réussi à trouver le « vrai » levain de boulanger.

                Deuxième atelier : la construction des dernières bibliothèques. On prend quelques cartons de livres, on les charge sur la poussette double, et on va au nouvel appartement. Mon fils est ravi : il aide Papa à faire du bricolage. Il apprend la différence entre un tournevis cruciforme et un tournevis plat, il enfonce les chevilles dans les planches, il essaye d’utiliser le marteau.

                Après deux heures de travail, tout est prêt : les bibliothèques sont montées, elles sont installées là où il faut, et on peut même faire une pause petits gâteaux.

                L’après-midi passe à toute vitesse. Avec le changement d’horaire, shabbat entre à quatre heures et demie. On essaye d’être prêt pour quatre heures, mais c’est un vœu pieux.

                J’essaye de travailler un peu pendant que ma fille fait la sieste. Aujourd’hui je veux m’attacher à une question spécifique. Avant de devenir diariste à temps presque complet, j’écrivais un article par semaine. Parmi les sujets qui m’occupaient beaucoup : la rectification des noms, un concept que j’ai emprunté à la philosophie chinoise classique (un peu Confucius, mais surtout Xun Zi). L’idée centrale est simple : étudier la manière dont les mots, briques primordiales de la pensée, sont utilisés pour construire les discours qui circulent dans la cité.     

Depuis le sept octobre, je continue cette étude. Je relève les mots centraux, et j’essaye de noter la manière dont ils sont employés. J’en ai relevé onze que je veux étudier en détail. Faute de temps, mon travail sur ces mots précis est encore insuffisant.

Mais il y a une bonne nouvelle : l’école est censée rouvrir lundi, quatre heures chaque matin. Ce qui devrait me permettre de travailler un peu plus. Mon premier sujet sera donc de prendre ces concepts un par un et d’appliquer la méthodologie de la rectification des noms. Pour simplifier, il s’agira à chaque fois de :

  1. Etudier l’étymologie du mot et le contexte historique dans lequel il a commencé à être employé.
  2. Etudier la manière dont il a évolué jusqu’à aujourd’hui.
  3. Etudier les différentes définitions qu’il a aujourd’hui.
  4. Voir si l’une d’elle peut s’appliquer à la situation historique actuelle.
  5. Le cas échéant, dresser la carte de la manière dont le terme est dévoyé.

Les termes que je compte étudier sont les suivants : pogrom, terroriste, crime de guerre et crime contre l’humanité [ces deux termes seront peut-être intégrés en préambule d’un autre], racisme, apartheid, épuration ethnique, génocide, colonisation, proportionnalité, réfugiés, camps de réfugiés.

                Autant dire qu’il y a du boulot. J’ai déjà beaucoup de choses sur ces différents sujets, mais si vous avez des ressources intéressantes à partager, n’hésitez pas.

                 J’ai le temps d’écrire le plan général, mais shabbat arrive déjà. J’éteints l’ordinateur. Le travail attendra. – Fin du 28ème jour, 3 novembre 2023, 19 heshvan 5784.