Journal d’un civil (121) Les slogans

Dimanche 4 février.

Les maladies à rebondissements continuent. Les enfants alternent : un coup mon fils, un coup ma fille. Ça dure un jour, ça s’arrête, le second prend le relais, ça dure un jour, ça s’arrête, et le premier reprend.

Le week-end de deux jours est devenu un week-end de trois jours, qui va probablement devenir un week-end de quatre jours.

Ce matin, mon fils a un rendez-vous médical prévu depuis des mois. Comme il va mieux, il peut s’y rendre, accompagné de sa mère. Je reste à la maison avec ma fille, qui elle, est encore patraque.

Je ne me souviens pas tout à fait quand je suis sorti pour la dernière fois plus de dix minutes. Vendredi ? Jeudi ? Ça devait être jeudi.

Le rendez-vous se termine à une heure décente : mon fils a encore le temps d’aller à l’école pour quelques heures. Mais comme on n’a pas pensé à prendre son siège, il ne pourra pas prendre le bus scolaire, il faudra que j’aille le chercher.

Dans ce genre de journée, j’ai peu le temps de travailler. Je prends quelques notes, je lis des articles, je suis les réseaux, mais je n’ai pas vraiment le temps de m’installer et de faire quelque chose de suivi.

Les choses restent à l’état de fragments. Et aujourd’hui, les fragments récoltés tournent autour d’une même idée : des slogans.

Hier, il y a eu à nouveau des manifestations, dont une très grosse à Londres.

Une photo circule. Je ne sais pas exactement de quand elle date, mais le message est clair, d’autant que ce n’est pas la première fois que je le vois : « You don’t get to choose how we resist ». [Ce n’est pas à vous que revient le choix de la manière dont on résiste].

Dans l’absolu, pourquoi pas. Mais lorsque le message renvoie au sept octobre et aux actes atroces qui se sont déroulés, on sait immédiatement à qui on a à faire.

La guerre qui a commencé ce jour-là est un révélateur. Elle a tracé une ligne nette sur le sol. Elle a séparé le monde en deux camps. Ce jour-là le mal s’est exprimé. Les êtres humains qui ont perpétué les actes dont on apprend encore de nouveaux aspects, se sont comportés de la pire façon qui soit.

Pour l’opinion publique mondiale, on aurait pu penser que le choix serait simple : le dégoût, la condamnation, le combat. D’une certaine manière, c’est ce qui a eu lieu dans un premier temps. La porte de Brandebourg illuminée aux couleurs d’Israël. Le président américain qui envoie les portes avions croiser en méditerranée. Les gens anonymes qui expriment leur solidarité avec Israël, et qui découvrent, souvent, un pays qu’ils ignoraient.

Mais très vite, c’est un deuxième camp qui s’est levé. Qui s’est emparé du micro. Des réseaux. Des médias. Des institutions internationales. Et qui a lancé une machine de propagande colossale pour renverser cette sympathie première. Pour transformer les victimes en bourreaux. Et pour continuer la guerre, qu’ils ont toujours perdue, sur autant de fronts que possibles.

Le tout financé à coups de millions de dollars. Par qui ? Ce samedi, dans la manifestation de Londres, on distribuait des tracts avec une citation de Khameini, datée du 3 octobre. « The Zionist regime is dying. » Signé : « Ayatullah Sayed Ali Khameini, Leader of the muslim world. »

En Occident, ils jouent sur du velours. Ils ont récupéré le camp de ceux qui ne croient pas au mal. De ceux qui pensent que tout est une affaire de contexte. De subjectivité. D’opinion. De ceux qui, lorsqu’ils admettent qu’il peut y avoir des actes mauvais, en attribuent la cause à un facteur extérieur. Jamais à la personne qui l’a causé.

Il a suffi de leur dérouler le plan de propagande monté depuis la conférence de Durban, là où s’est élaboré la nouvelle stratégie pour vilipender l’état juif.

Ce camp du refus du mal, ce camp de l’explication contextuelle, se trouve résumé par les slogans que l’on voit dans les manifestations soi-disant pro-palestinienne, et résolument antisémites. « You don’t get to choose how we resist ».

Les mots sont clairs. Kidnapper des enfants, violer, tuer, torturer, pour eux, c’est une forme de résistance légitime.

« One man’s terrorist is next man’s freedom fighter », dit un autre slogan. De même « resistance is not terrorism ».

Autre slogan qui est devenu emblématique ces derniers mois : « from the river to the sea, Palestine will be free ». Ce qui est une adaptation de la version arabe, qui dit « de l’eau à l’eau ». Le slogan est scandé dans toutes les manifestations dans le monde anglo-saxon, par des militants qui, souvent, n’ont pas la moindre idée de sa signification. On a vu des dizaines de vidéos de gens qui vont les interviewer et qui demandent simplement : « de quelle rivière s’agit-il ? De quelle mer ? » Les réponses sont surprenantes. Un homme reconnaît : « on m’a donné le panneau ». Une femme dit : « la mer Noire ». La plupart n’ont aucune idée de quoi il s’agit.

Il s’agit bien sûr du Jourdain et de la mer Méditerranée. Autrement dit, le slogan prône la disparition d’Israël. Et ceux qui scandent ce slogan, accusent bien entendu Israël, dans le même souffle, de génocide et d’épuration ethnique.

Mayim Bialik a partagé une vidéo irrésistible à ce sujet. Dan Ahdoot, un comique qui fait du stand-up, explique : « yeah, it’s a little genocidal, but the beat slaps! Did you listen to ours? They’re awful. Because Jews like to convince you with a bunch of facts and minutia rather than just sticking to a catchy tune. Ok guys ? We’re going to do one of these chants, it goes when I say X, you say Y, ok? When I say that in 1948, there was a UN partition plan, giving a separate state of Palestine alongside the state of Isarel…” et il continue pendant plus d’une minute en déroulant l’histoire depuis 48, avant de conclure : « you say yeah! ». Et le public répond : « yeah! »

Toujours dans les manifestations du week-end, on a vu émerger un slogan tout à fait intéressant. Une jeune femme tient une pancarte qui dit : « The only place you’re indigenous to is Jahannam ! »

Ce qui mérite une petite explication. Jahannam est le mot arabe pour Géhenne, qui est la version locale de l’enfer.

Le mot hébreu original (Geh hinom) désigne une vallée proche de Jérusalem, dans laquelle on brûlait les ordures de la ville, et dans laquelle on avait pratiqué, à certaines périodes, un culte idolâtre qui consistait en des sacrifices d’enfants. D’où l’image de l’endroit comme étant un véritable enfer.

Le slogan veut dire « le seul endroit qui est le vôtre est l’enfer », mais ce que ça dit en réalité c’est : « vous êtes les habitants originels de Jérusalem ». La réalité finit toujours par être plus forte que l’idéologie.

Mais la palme du slogan revient sans conteste à un député français, qui est venu avec une petite délégation faire une opération photo près de la frontière entre l’Egypte et Gaza. Il a déclaré : « Nous avons décidé de rejoindre la Résistance de Gaza, nous sommes les héritiers de Jean Moulin ».

Fin du 121ème jour, 4 février 2024, 25 shevat 5784.