Le nationalisme selon Hazony

Le nationalisme est la question du moment. Il clive à nouveau l’échiquier politique et traverse tous les partis. On le croyait disparu, il revient par la porte du jardin. Il est derrière l’élection de Trump, derrière le Brexit et derrière le refus des pays d’Europe de l’Est de se plier aux injonctions bruxelloises.

Yoram Hazony, l’un des intellectuels israéliens les plus originaux et les plus lus du moment, replace le sujet au cœur du débat et ses analyses font mouche.

Le terme nationalisme est fortement connoté en français. Il arrive accompagné de deux fantômes, qui donnent le ton en susurrant deux phrases bien connues. La première, c’est une citation souvent attribuée à de Gaulle alors qu’elle est en réalité de Romain Gary : « le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres ». La seconde, c’est une déclaration de Mitterrand au parlement européen, qui, d’un ton mi-badin mi-ratiocinant avait conclut : « le nationalisme, c’est la guerre ».

Avec des parrains de ce genre, pas étonnant que le terme ait mauvaise presse. Ses partisans français lui ont d’ailleurs donné un nouveau nom pour éviter la question : souverainisme. Il est également mal vu en anglais, langue dans laquelle Hazony a écrit ce livre. Il commence donc par définir les termes. Le nationalisme « considère que le monde est le mieux gouverné lorsque les nations sont libres de décider de leur propre cours, de cultiver leurs traditions et de poursuivre leurs propres intérêts sans interférence ».

Et de préciser :

« Le nationalisme n’a pas toujours été considéré comme la plaie que suggère le discours public actuel, rappelle-t-il. Jusqu’à il y a quelques décennies, une politique nationaliste était généralement associée à ouverture d’esprit et générosité. Les progressistes considéraient les quatorze points du président Wilson et la charte de l’Atlantique de Franklin Roosevelt et de Winston Churchill comme des phares pour l’humanité, et ce précisément parce qu’il étaient considérés comme l’expression du nationalisme, et qu’ils promettaient l’indépendance nationale et l’auto-détermination à des peuples opprimés à travers le monde ».

Alors si le nationalisme était bien vu pendant des décennies, pourquoi l’avoir soudain chargé de tous les maux ?

La réponse tient en trois faits : deux guerres mondiales et une shoah.

Après la défaite hitlérienne, certains ont fait l’analyse que c’était le nationalisme du führer qui était la cause du désastre en général et de la Shoah en particulier. La haine d’un autre peuple, voilà ce qui serait au cœur du nationalisme exacerbé.

D’où l’idée, pour y remédier, de construire un monde post-national. Pour cela, on a mis en place des institutions supra-nationales et tout une architecture qui défait peu à peu les états nations. On peut l’appeler « nouvel ordre mondial » comme Bush senior dans les années 90, « globalisation » ou « fin de l’Histoire ». Tous ces termes renvoient, pour Hazony, à la même notion : la construction d’un ordre qui n’est plus basé sur l’existence de nations libres dont les peuples choisissent pour eux-même leur propre destin.

Tout ceci porte un nom, un nom presque tombé en désuétude, en tous cas vilipendé : c’est la construction d’un empire. Historiquement, l’empire vise à unifier sous un même régime politique le plus grand territoire possible. Hammourabi disait déjà vouloir, il y a plus de quatre mille cinq cents ans, « unifier les quatre coins du monde sous la même volonté ». L’empire promet toujours la paix et la prospérité, mais le prix à payer est celui de l’effacement de la souveraineté au profit d’une autre nation. Car, rappelle-t-il, tous les empires fonctionnent toujours, de tout temps et partout sur le même principe : une nation prend les commandes et les autres doivent suivre.

On trouvera étrange à première vue, en français, de dire que l’Union Européenne est une forme d’empire. Elle en a pourtant toutes les caractérstiques : la volonté de regrouper des nations sous un même ordre politique, la dissolution des caractéristiques propres, et la prise de contrôle de facto par une des nations sur les autres. Les Français avaient espérés s’en rendre maître et refaire une sorte d’empire napoléonien, mais les Allemands ont fini par être les grands vainqueurs. Qui pourra nier que c’est eux qui ont les commandes aujourd’hui ?

Hazony soutient d’ailleurs l’idée qu’il y a eu erreur de diagnostic sur le cas allemand. Pour lui, hitler n’était pas un nationaliste mais bien impérialiste. Son objectif n’était pas la souveraineté de l’Allemagne, mais la conquête de l’Europe. Son modèle n’était pas l’état nation issu de l’ordre westphalien, mais l’Empire Romain Germanique et sa consœur l’empire autrichien (voir par exemple la devise de l’empereur Frédéric III : Austriae est imperare orbi universo). La preuve ? En allemand, empire se dit Reich. Le troisième Reich auquel il faisait référence, c’était le successeur du saint empire romain germanique (le premier) et de l’empire allemand (le deuxième).

Hazony déploie sa démonstration sur près de deux cents pages. Il passe au crible tous les sujets politiques de notre époque : l’Union Européenne, la mondialisation, l’ONU, tout prend un jour différent sous sa plume. Et il ne recule devant aucune question, y compris celle de réfléchir au nationalisme juif (le sionisme) et à sa place dans le monde d’aujourd’hui.

Le résultat : un ouvrage précis, qui fournit un vocabulaire extrêmement fin pour toute personne qui veut penser la souveraineté au vingt-et-unième siècle. Hazony est d’ailleurs l’un de penseurs les plus intéressants de ce qu’on pourrait appeler un nouveau mouvement conservateur.

Dans un entretien accordé à Dave Rubin, il explique que pendant très longtemps il sentait que la ligne de front dans le combat des idées était situé en Israël, raison pour laquelle il a passé la majeure partie de sa carrière à y travailler. Mais depuis quelques années, il considère que la nouvelle ligne de front est aux Etats Unis et en Europe. Il a ainsi lancé une conférence annuelle à Washington ainsi qu’un Think Tank (Edmund Burke Foundation). Là, il travaille à élaborer une nouvelle pensée conservative, dont il trace les grandes lignes ainsi : « un conservatisme qui croit en l’idée de nation et d’héritage et qui cherchera à maintenir son indépendance » (1).

Peut-être le sujet d’un prochain ouvrage ?

Les Vertus du nationalisme, Yoram Hazony, chez J. C. Godefroy.

N’ayant pu consulter l’ouvrage en français, les traductions sont miennes.

(1) Interview avec Dave Rubin.