Après avoir énervé la moitié de notre lectorat en publiant un portrait du gauchiste, nous allons, par soucis d’équilibre, énerver l’autre moitié en publiant cette semaine un portrait de son comparse sémantique : le droitard.
Le droitard est un homme en retard. En retard sur son temps et en retard sur l’Histoire. Il considère qu’il n’est pas né à la bonne époque. Si on lui donnait le choix, il aurait préféré que les années soixante ne finissent pas, ou que le Second Empire continuât, ou qu’Henri IV ne fût jamais assassiné, et qu’il eût continué à servir la poule au pot chaque dimanche. Mais là est le paradoxe du droitard : fût-il né à n’importe laquelle de ces époques, il l’aurait détestée tout autant.
Car en réalité, le droitard est lui aussi un idéaliste. Mais son idéal est un idéal de lenteur. Il veut que le temps décante peu à peu le réel pour qu’il n’en reste que le meilleur. C’est de ce meilleur qu’il a la nostalgie, pensant parfois qu’elle était tout.
Ces derniers temps, le droitard n’existe que face au gauchiste. Seul, il ne sait pas qui il est. Seul, il ne sait pas ce qu’il vaut. Seul, il est un point d’interrogation flottant dans le grand peut être.
Le gauchiste lui amène l’occasion d’exister, c’est a dire de se définir. Le gauchiste veut changer le monde ? Il s’agira de le conserver. Le gauchiste veut détruire la morale ? Il s’agira de l’exalter. Le gauchiste veut remodeler la société ? Il s’agira de prétendre que tout va bien.
Le droitard se cherche. Étant donné que le gauchiste occupe l’espace depuis un peu près un siècle le droit tard peine à se tailler un espace. Il est pris entre deux feux d’une part dès qu’il y ait quelque chose il se fait traiter de fasciste par le gauchiste. D’autre part il est considéré par les vrais fascistes comme un gauchiste.
Alors le droitard essaie de se réinventer. Et pour ça il regarde de l’autre côté de l’Atlantique. Il cherche un modèle à émuler. Les vêtements, la rhétorique, voire même les armes, il essaie de se dresser un personnage qui pourrait être le droitard du vingt-et-unième siècle.
Il est intéressant de voir l’émergence du mot droitard à ce titre. Le mot gauchiste est un terme déjà ancien (sa popularité monte dans le sillage de la seconde guerre mondiale et atteint un pic au milieu des années 70) tandis que le mot droitard est une invention récente. Un peu comme si les gauchistes étaient en manque de vocabulaire et qu’ils avaient besoin de désigner un nouvel ennemi, ce qui présuppose que celui-ci n’était pas vraiment virulent auparavant.
A observer les droitards actuels, plusieurs thèmes émergent. Commençons par l’extérieur : le droitard aime la sape. Il s’habille de façon élégante et il remet la mode masculine au centre du jeu politique. Pour lui l’esthétique est importante : elle est l’un des chemins d’accès au vrai.
Le droitard considère ensuite que la virilité est dégradée. Il se propose de la ressusciter et de revenir à une virilité certes rêvée, mais authentique. Cette virilité ne s’excuse pas d’exister et sait se battre pour les valeurs qu’elle défend.
D’ailleurs le droitard, comme le gauchiste, est attiré par la violence mais pour des raisons différentes. Le gauchiste y voit une tactique, le droitard, une esthétique. Il considère un corps musclé et vif comme une preuve d’intelligence. Il rêve parfois de revenir à une époque moyenâgeuse où on réglait les comptes à coup de duel à l’épée et où les bagarres se faisaient avec des masses d’arme.
Sur un plan psychologique, le droitard est un angoissé permanent. Il vit dans la tension entre un passé révolu et un futur qui n’advient pas. Entre les deux, il se prépare des nuits d’insomnie à n’en plus finir. Alors le droitard veut s’échapper, et il s’échappe dans l’imaginaire : dans les jeux, dans les films et dans les livres. A ce niveau, le droitard est ainsi plus créatif que le gauchiste. C’est lui qui a ainsi créé tout un monde imaginaire de fantaisie. Si on devait donner des étiquettes politiques aux genre littéraires, la science-fiction et les histoires de fantaisie serait absolument et résolument de droite : tentatives de revenir vers l’avant et de le rêver pour aujourd’hui.
Le droitard est en pleine renaissance, mais il a encoredu travail sur la planche, à commencer par un travail linguistique. Car son vocabulaire est pauvre. Le vocabulaire gauchiste rempli des pages et des pages et des pages de dictionnaire. C’est lui qui fixe l’agenda. Le droitard se contente de réagir. C’est dans sa nature. Le jour où il se mettrait à proposer de nouveaux mots, il se sentirait glisser vers la gauche et commencerait à avoir des bouffées de chaleur.
Les déclinaisons contemporaines des gauchistes et droitards sont surprenantes. Le gauchiste est en train de devenir un puritain. Il n’aime pas manger, il n’aime pas jouir, il n’aime pas jouer : il est d’une tristesse à pleurer. Ce qui laisse une avenue extraordinaire au droitard, qui récupère dans la foulée la boustifaille, la joie de vivre et le rire rabelaisien. A ce titre, on ne s’étonnera pas que, actuellement, le droitard arrive souvent avec un accent du sud. Impossible d’être puritain lorsqu’on produit de l’Armagnac.
Le droitard est un homme du terroir ; le gauchiste est un homme universel. Les deux se regardent sans se comprendre mais les deux se regardent droit dans les yeux. Ils s’imaginent se mépriser l’un l’autre. En réalité, ils admirent en l’autre ce qui manque en eux. Éternelle danse du gauchiste et du droitard.
Image : Lutte de Jacob avec l’ange, Eugène Delacroix. Photo de Jean-Pierre Dalbéra , sous licence Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0).